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06/12/2018 | FRANCE | N°16DA01458

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 06 décembre 2018, 16DA01458


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G...H...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 474 491 euros en réparation des préjudices qu'il a subis à raison d'une exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français en Algérie et de mettre à la charge de l'Etat le montant des frais d'expertise.

Par un jugement n°1200891 du 23 juin 2016, le tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etat à verser à M. H...la somme de 70 228 euros, a mis le montant des frais

et honoraires d'expertise à la charge de l'Etat et a rejeté le surplus des conclu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G...H...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 474 491 euros en réparation des préjudices qu'il a subis à raison d'une exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français en Algérie et de mettre à la charge de l'Etat le montant des frais d'expertise.

Par un jugement n°1200891 du 23 juin 2016, le tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etat à verser à M. H...la somme de 70 228 euros, a mis le montant des frais et honoraires d'expertise à la charge de l'Etat et a rejeté le surplus des conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 août 2016, le ministre de la défense demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 23 juin 2016 du tribunal administratif d'Amiens ;

2°) de rejeter la demande de M. H...devant ce tribunal.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 et notamment son article 113 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me D...C..., représentant les consortsH....

Considérant ce qui suit :

1. M. G...H..., né en 1937, a servi en qualité d'appelé du contingent en Algérie du 20 septembre 1959 au 26 février 1960 à Reggane, comme chauffeur au 157° bataillon du génie. Durant cette période, le premier essai nucléaire français Gerboise bleue a été effectué le 13 février 1960. M. H...a été atteint en 1995 d'un cancer du rein droit, en 2014 d'un cancer du rein gauche et en 2015 d'un cancer de la vessie. Par une décision du 17 février 2012, le ministre de la défense, suivant la recommandation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation. Par un jugement avant-dire droit du 15 mai 2014, le tribunal administratif d'Amiens a ordonné une expertise comportant un volet radiologique et un volet médical. A la suite du rapport d'expertise, par un jugement du 23 juin 2016, dont le ministre de la défense relève appel, ce tribunal a condamné l'Etat à verser à M. H...la somme de 70 228 euros en réparation du préjudice né du cancer du rein droit et du cancer de la vessie et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. Par la voie de l'appel incident, les consortsH..., à la suite du décès le 17 septembre 2017 de M. G...H..., demandent à la cour de réformer ce jugement en tant qu'il a limité l'indemnisation des préjudices de leur mari et père à la somme de 70 228 euros et de la porter à la somme à 257 921 euros.

Sur l'appel principal :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./ Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné :/ 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ;/ 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française./ (...) ".

3. L'article 4 de cette même loi, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 février 2017, disposait : " I. - Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...) / V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) ".

4. Aux termes de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, applicable aux instances en cours au lendemain de la publication de cette loi, comme en l'espèce : " I.- Au premier alinéa du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots et la phrase : " à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé. " sont supprimés./ II.- Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions du I de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du

5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la présente loi, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s'il estime que l'entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision. Il en informe l'intéressé ou ses ayants droit s'il est décédé qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l'actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur ou ses ayants droit s'il est décédé peuvent également présenter une nouvelle demande d'indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la

présente loi./(...)".

5. Par lettre du 30 octobre 2018, la cour a communiqué aux parties le moyen relevé d'office tiré de ce que, saisie d'un recours de plein contentieux, elle entendait régler le litige sur le terrain des dispositions de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 rappelées ci-dessus, lesquelles ont supprimé les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de

la loi du 5 janvier 2010, relatives à la condition tenant à l'existence d'un risque non négligeable à laquelle était subordonnée l'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

6. Il résulte des dispositions précitées que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements.

7. Ainsi qu'il est dit au point 1, M. H...a séjourné, en qualité d'appelé du contingent, du 20 septembre 1959 au 26 février 1960 en Algérie, à Reggane, soit dans l'une des zones et pendant une période définie à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. Il a développé deux cancers des reins et un cancer de la vessie, maladies inscrites sur la liste mentionnée à l'article 1er de cette même loi et annexée au décret du 15 septembre 2014. Cette pathologie est, par suite, présumée imputable aux essais nucléaires réalisés en Algérie.

8. Le ministre fait valoir, d'une part, que le jour du tir nucléaire, M. H...était à cinquante-cinq kilomètres au nord du lieu de l'explosion et que les retombées nucléaires ont eu lieu vers l'est et que, d'autre part, la dosimétrie reconstituée avait prouvé que le personnel n'étant pas rentré en zone contrôlée n'avait pas reçu de dose externe mensuelle supérieure à 0,2 millisievert.

9. Il résulte néanmoins, d'une part, de l'expertise radiologique de Mme B...A...et M. L...J..., respectivement épidémiologiste et pharmacien radiologiste à l'Institut de radioprotection et de sureté nucléaire, que M. H...doit être regardé comme pouvant avoir été exposé à des rayons ionisants à une dose qu'il n'est pas possible d'évaluer. D'autre part, l'expertise médicale du professeur Paule conclut que l'adénome à cellules claires du rein droit est en relation causale directe avec l'exposition aux retombées radioactives du tir Gerboise bleue du 13 février 1960, en dépit de sa survenance trente-cinq ans après les faits et alors que M. H...ne présentait aucun facteur de risque du cancer du rein. L'expertise médicale conclut, en revanche, que le cancer urothélial du rein gauche dont a souffert M. H...n'est pas dû aux retombées du tir nucléaire, les calculs calciciels de ce rein pour lesquels M. H...avait été traité en 1996, 1998 et 1999 constituant un facteur de risque. Enfin, l'expertise conclut que le cancer de la vessie est en relation causale directe avec l'exposition aux retombées radioactives de ce tir nucléaire. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, le ministre n'apporte pas d'éléments suffisants de nature à établir qu'au moins deux cancers dont a été victime M H...résulteraient exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires. Il s'ensuit que sa décision du 17 février 2012 par laquelle il a refusé d'indemniser M. H...pour les préjudices subis en tant que victime des essais nucléaires français doit être annulée.

10. Toutefois, eu égard à la date de la décision litigieuse et à l'office du juge tel que défini aux points 4 à 6, il n'appartient pas à la Cour de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par les consortsH.... Il lui appartient seulement de renvoyer leur demande devant le CIVEN afin que celui-ci formule une proposition d'indemnisation. Il y a lieu, dès lors, d'annuler le jugement du 23 juin 2016 du tribunal administratif d'Amiens, d'enjoindre à la ministre des armées de transmettre au CIVEN la demande des consorts H...dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt et d'enjoindre au CIVEN de réexaminer cette demande dans un délai de six mois à compter de sa réception. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir ces injonctions d'une astreinte.

11. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la défense est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 23 juin 2016, le tribunal administratif d'Amiens a statué sur la demande indemnitaire présentée par M.H....

Sur l'appel incident :

12. Eu égard à la date de la décision litigieuse et à l'office du juge tel que défini aux points 4 à 6, il ne lui appartient pas de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par les consortsH.... Les conclusions présentées à ce titre doivent, dès lors, être rejetées.

13. Il appartient seulement au juge, ainsi que les consorts H...le demandent à titre subsidiaire, de renvoyer leur demande devant le CIVEN pour réexamen, ainsi qu'il est dit au point 10.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la défense est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 23 juin 2016, le tribunal administratif d'Amiens a statué sur la demande indemnitaire présentée par M.H....

Sur les frais d'expertise :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat les frais et honoraires de l'expertise confiée au professeur Paule, taxés et liquidés pour le montant total de 1 442,92 euros par ordonnance du président du tribunal administratif d'Amiens du 21 janvier 2016 ainsi que les frais et honoraires de l'expertise confiée à Mme B...A...et M. M... J....

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Il ya lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux consorts H...d'une somme totale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 23 juin 2016 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.

Article 2 : La décision du ministre de la défense du 17 février 2012 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à la ministre des armées de transmettre au CIVEN, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, la demande indemnitaire des consortsH..., et au CIVEN de réexaminer cette demande dans un délai de six mois à compter de sa réception.

Article 4 : Les frais et honoraires d'expertise du professeur Paule, d'un montant total de

1 442,92 euros, sont mis à la charge définitive de l'Etat.

Article 5 : Les frais et honoraires d'expertise de Mme B...A...sont mis à la charge de l'Etat.

Article 6 : Les frais et honoraires d'expertise de M. M...J...sont mis à la charge de l'Etat.

Article 7 : Le surplus des conclusions des consorts H...est rejeté.

Article 8 : L'Etat versera aux consorts H...une somme totale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre des armées, à Mme E...F..., veuveH..., à Mme K...H...et à M. I...H....

Copie sera adressée, pour information, au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires

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N°16DA01458

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA01458
Date de la décision : 06/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité régie par des textes spéciaux.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : Mme Petit
Rapporteur ?: M. Jean-Jacques Gauthé
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-12-06;16da01458 ?
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