Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E...A...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 27 février 2018 de la préfète de la Seine-Maritime ordonnant son transfert aux autorités portugaises.
Par un jugement n° 1800845 du 5 avril 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a fait droit à cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 avril 2018, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen du 5 avril 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Rouen.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant angolais né le 23 octobre 1988, entré en France le 9 mai 2017 selon ses déclarations, a le 7 décembre 2017 demandé l'asile auprès de la préfète de la Seine-Maritime. La consultation du système " Visabio " a révélé que l'intéressé était entré en France sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa délivré par les autorités portugaises périmé depuis moins de six mois. La préfète de la Seine-Maritime a saisi les autorités portugaises d'une demande de prise en charge, en application de l'article 12.4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé. Les autorités portugaises ont donné un accord exprès le 5 février 2018. La préfète de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 5 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 27 février 2018 décidant le transfert de M. A...aux autorités portugaises.
2. Le paragraphe 1 de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride dispose que : " 1. Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale (...) ".
3. Pour annuler l'arrêté du 27 février 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a ordonné le transfert de M. A...aux autorités portugaises, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a jugé que si la préfète de la Seine-Maritime se prévalait d'un accord des autorités portugaises du 5 février 2018 pour la prise en charge de M.A..., elle ne le justifiait pas par les seules copies produites de courriers électroniques émis par l'application DubliNET ne comportant aucune pièce jointe, ni aucun contenu. Toutefois, la préfète de la Seine-Maritime produit, en appel, la copie d'un courrier électronique du 5 février 2018 émanant des autorités portugaises les informant de ce que le Portugal était responsable de la demande d'asile et ainsi de leur accord, intervenu à la suite de la demande de prise en charge, portant le numéro d'identification FRDUB19930084348-760. En outre, il ressort des différentes pièces versées au dossier, en particulier du formulaire type de détermination de l'Etat membre responsable de la demande d'asile présentée par M. A...et de l'accusé de réception du 7 décembre 2017 émanant du réseau de communication DubliNET, qui permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile, que la demande d'asile de l'intéressé comporte le numéro d'identification FRDUB19930084348-760, soit le même que celui mentionné dans l'accord de prise en charge émanant des autorités portugaises. Par suite, et ainsi que le fait valoir la préfète de la Seine-Maritime en appel, la comparaison des numéros d'identification figurant sur la demande de prise en charge et sur ce courrier électronique du 5 février 2018 permet d'établir qu'un accord exprès a été donné par les autorités portugaises concernant de manière certaine M.A.... Par suite, la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté en litige à défaut d'un accord de prise en charge de M. A...par les autorités portugaises.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A...devant le tribunal administratif de Rouen à l'encontre de l'arrêté en litige.
5. Par un arrêté n° 18-01du 9 janvier 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Seine-Maritime du 12 janvier 2018, la préfète de la Seine-Maritime a donné délégation à Mme B...C..., chef du bureau du droit d'asile, à l'effet de signer les décisions relevant des attributions de son bureau lesquelles comprennent, notamment, l'adoption des arrêtés de transfert. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté.
6. L'arrêté du 27 février 2018 en litige, qui vise les règlements communautaires et les articles L. 742-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précise que la consultation du système Visabio a révélé que M. A...avait obtenu des autorités portugaises en Angola un visa de court séjour valable du 1er mai 2017 au 14 juin 2017, périmé depuis moins de six mois à la date du dépôt de sa demande d'asile en France et qu'il a utilisé ce visa pour entrer dans l'espace Schenghen. L'arrêté énonce ensuite que " le 7 décembre 2017, au regard des critères du chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013, les autorités portugaises ont été saisies d'une demande de prise en charge de sa demande d'asile sur le fondement de l'article 12-4 du règlement n° 604/2013 ", que " le 5 février 2018 les autorités portugaises ont explicitement accepté la demande de prise en charge de la demande d'asile de M.A... " et qu'en conséquence, les éléments en sa possession et les dispositions des articles du règlement précité permettent d'établir que le Portugal est l'Etat membre responsable de la demande d'asile de l'intéressé. Il précise également que, après un examen approfondi, sa situation familiale et personnelle ne relève pas des dérogations prévues à l'article 17 de ce règlement. L'arrêté mentionne également que M. A...indique être séparé de sa compagne, avoir deux enfants en Angola et souffrir de douleurs aux yeux. Si le requérant fait valoir que la décision n'énonce pas le critère hiérarchisé ayant permis de déterminer l'Etat responsable de sa demande, la préfète de la Seine-Maritime indique expressément dans l'arrêté litigieux s'être fondée sur les dispositions de l'article 12-4, reproduit en partie dans le corps de l'arrêté, selon lequel lorsque le demandeur d'asile est titulaire d'un visa périmé depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un Etat membre, l'Etat ayant délivré ce visa est responsable aussi longtemps que le demandeur n'a pas quitté le territoire des Etats membres. Par suite, M. A...ayant été mis à même de comprendre les motifs retenus par la préfète pour adopter l'arrêté litigieux, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation dudit arrêté doit être écarté.
7. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel (...) ". Aux termes de l'article 20 de ce règlement : " (...) 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'Etat membre concerné. (...) ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) ".
8. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie. La délivrance par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constituant pour le demandeur d'asile une garantie, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi du moyen tiré de l'omission ou de l'insuffisance d'une telle information à l'appui de conclusions dirigées contre un refus d'admission au séjour ou une décision de remise, d'apprécier si l'intéressé a été, en l'espèce, privé de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision.
9. Il ressort des pièces du dossier, que, lors du dépôt de sa demande d'asile, le 7 décembre 2017, M. A...a déclaré qu'il comprenait la langue portugaise. La préfète de la Seine-Maritime justifie, notamment par un procès-verbal, que l'intéressé s'est vu remettre par les services de la préfecture les brochures prévues par les dispositions précitées en cette langue. En outre, lors de l'entretien individuel du 7 décembre 2017 qui s'est déroulé en langue portugaise avec l'assistance d'un interprète, il a pu être vérifié qu'il avait correctement compris les informations dont il devait avoir connaissance, notamment le fait que ses empreintes digitales avaient été enregistrées au Portugal et que l'entretien s'inscrivait dans un processus de détermination de l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile. Il a, en outre, disposé d'un délai raisonnable pour apprécier en toute connaissance de cause la portée de ces informations avant le 27 février 2018, date à laquelle la préfète de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités portugaises, et de la possibilité de formuler des observations. Enfin, le compte-rendu de cet entretien a été signé par un agent de la préfecture, dont le nom y figure et qui doit, en l'absence de tout élément de preuve contraire, être regardé comme qualifié pour mener un tel entretien. Dans ces conditions, M. A...n'est pas fondé à soutenir que les dispositions des articles 4 et 5 du règlement précité auraient été méconnues.
10. L'article 53-1 de la Constitution dispose que " La République peut conclure avec les Etats européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées. / Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". En vertu de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, chaque Etat membre peut, par dérogation, examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ledit règlement.
11. Le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié. S'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le 1° de cet article permet de refuser l'admission au séjour en France d'un demandeur d'asile lorsque l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat membre de l'Union européenne en application des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime, qui a notamment relevé que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation de M. A...ne relevait pas des dérogations prévues par l'article 17 du règlement précité, a effectivement pris en compte la possibilité que la France examine la demande d'asile de M.A..., alors même qu'elle n'en était pas responsable. Par suite, M. A...n'est pas fondé à soutenir que la préfète n'aurait pas apprécié la possibilité d'examiner sa demande d'asile, ni qu'elle aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
12. Aux termes de l'article 3 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale ". Aux termes de l'article 4 de la même charte : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
13. Si M. A...fait valoir qu'il souffre de graves problèmes aux yeux dont l'absence de suivi médical constituerait un traitement inhumain et dégradant, il n'établit cependant pas, par le seul certificat médical produit, la nécessité pour lui de demeurer en France pendant l'examen de sa demande d'asile alors qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'intéressé présenterait une affection dont la nature ou la gravité exigerait son maintien sur le territoire français faute de pouvoir bénéficier de soins appropriés au Portugal. Dans ces conditions, M. A...n'est pas fondé à soutenir que la décision de transfert méconnaîtrait les stipulations des articles 3-1 et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 27 février 2018 en litige. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. A...au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1800845 du 5 avril 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. E...A...et à MeD....
Copie sera adressée à la préfète de la Seine-Maritime.
1
6
N°18DA00792