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04/10/2018 | FRANCE | N°16DA01704

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 04 octobre 2018, 16DA01704


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association " Thiérache à contrevent ", le groupement agricole à responsabilité limitéeX..., M. D...L..., M. A...B..., M. M... T..., Mme P...U..., M. R... U..., M. G...O..., M. S... W..., M. K...C..., M. H...X..., M. F...X..., M. AB...Y..., M. V...Q...ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les arrêtés du 6 mars 2015, par lesquels le préfet de la région Picardie a délivré à la société Les Royeux Energies et à la société Le Haut-Bosquet Energies, les autorisations d'exploiter s

ix éoliennes et deux postes de livraison, situés sur le territoire des communes ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association " Thiérache à contrevent ", le groupement agricole à responsabilité limitéeX..., M. D...L..., M. A...B..., M. M... T..., Mme P...U..., M. R... U..., M. G...O..., M. S... W..., M. K...C..., M. H...X..., M. F...X..., M. AB...Y..., M. V...Q...ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les arrêtés du 6 mars 2015, par lesquels le préfet de la région Picardie a délivré à la société Les Royeux Energies et à la société Le Haut-Bosquet Energies, les autorisations d'exploiter six éoliennes et deux postes de livraison, situés sur le territoire des communes d'Haution, La Vallée au Blé et Voulpaix.

Par un jugement n° 1502659 du 30 juin 2016, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 septembre 2016 et des mémoires, enregistrés le 20 septembre 2017, le 2 janvier 2018 et le 6 mars 2018, l'association " Thiérache à contrevent ", le groupement agricole à responsabilité limitéeX..., M. A...B..., M. R...U..., M. S... W..., M. H...X..., M. F...X..., Mme Z...Q..., représentés par Me N...I..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les arrêtés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et des sociétés Les Royeux Energies et Le Haut-Bosquet Energies la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'aviation civile ;

- le code de l'environnement :

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;

- le décret n° 2011-984 du 23 août 2011 ;

- le décret n° 2011-2019 du 29 décembre 2011 ;

- l'arrêté du 25 juillet 1990 relatif aux installations dont l'établissement à l'extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel Richard, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,

- et les observations de Me J...E..., représentant les sociétés Les Royeux Energies et Le Haut-Bosquet Energies, et de M.AA....

Une note en délibéré présentée par les sociétés le Haut-Bosquet Energie et Les Royeux Energies a été enregistrée le 28 septembre 2018.

Considérant ce qui suit :

1. Le 28 juin 2012, les sociétés Les Royeux Energie et Le Haut-Bosquet Energies ont déposé des demandes d'autorisation d'exploiter dix éoliennes nos 1 à 10 et deux postes de livraison sur le territoire des communes d'Haution, La Vallée au Blé et Voulpaix (Aisne). L'enquête publique commune aux demandes de permis de construire et d'autorisation d'exploiter s'est déroulée du 25 février au 29 mars 2013. Par quatre arrêtés du 29 septembre 2014, le préfet de la région Picardie, au titre de son pouvoir d'évocation, a délivré des permis de construire pour ce projet de parc éolien. Par un arrêté du 6 mars 2015, le préfet a autorisé la société Les Royeux Energies à exploiter cinq éoliennes (E1 E2 E3 E4 et E10) et leur poste de livraison. Par un arrêté du même jour, il a également autorisé la société Le Haut-Bosquet Energies à exploiter l'éolienne E5 et son poste de livraison après avoir refusé l'exploitation des éoliennes E6 à E9. L'association " Thiérache à contrevent " et autres relèvent appel du jugement du 30 juin 2016 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à l'annulation des arrêtés du 6 mars 2015 autorisant l'exploitation du parc éolien en cause.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le 18 avril 2016, l'association " Thiérache à contrevent " et autres ont transmis au tribunal administratif d'Amiens un mémoire comprenant des moyens de procédure dirigés contre les arrêtés du 6 mars 2015 qu'ils n'avaient pas soulevés dans leurs écritures précédentes. Il ressort des termes du jugement litigieux que le tribunal administratif d'Amiens, s'il a visé le mémoire du 18 avril 2016, n'a pas procédé à l'analyse des nouveaux moyens que ce mémoire comprenait alors même que les requérants l'avaient transmis au tribunal avant l'intervention de la clôture d'instruction, ce dont le tribunal avait, au demeurant, été averti dans le cadre d'une note en délibéré précisant les conditions de transmission par fax et par courriel du mémoire en cause. Par suite, l'association " Thiérache à contrevent " et autres sont fondés à soutenir qu'en décidant de statuer sur leur demande sans prendre en compte l'ensemble des moyens invoqués devant lui avant la clôture d'instruction, le tribunal administratif d'Amiens a entaché son jugement d'irrégularité. Par suite, ce jugement du 30 juin 2016 doit être annulé.

3. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par l'association " Thiérache à contrevent " et autres sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité du jugement contesté.

Sur les fins de non-recevoir opposées en première instance :

En ce qui concerne l'association " Thiérache à contrevent " :

4. En vertu l'article 2 de ses statuts approuvés le 8 juin 2012, l'association " Thiérache à contrevent " a pour but, " dans toutes les communes de la Thiérache du centre (cantons de La Capelle, Le Nouvion-en-Thiérache, Sains-Richaumont et Vervins) ", de " lutter contre toutes les atteintes qui pourraient être portées à l'environnement et à la qualité de vie des habitants ", de " protéger et défendre les espaces naturels et l'identité culturelle de nos paysages " et de " défendre le patrimoine bâti de nos villages ".

5. Les communes d'Haution, de Laigny, de la Vallée-au-Blé et de Voulpaix font partie de la communauté de communes de la Thiérache du Centre formée en 1992 à partir des cantons alors composés de ceux de La Capelle, Le Nouvion-en-Thiérache, Sains-Richaumont et Vervins. La circonstance que postérieurement à l'édiction des statuts de l'association, les communes de Voulpaix et de La Vallée-au-Blé ont été rattachées au canton de Marle est sans incidence sur l'intérêt donnant qualité pour agir de l'association requérante au regard du ressort géographique d'intervention de cette association.

6. Compte tenu de la situation du projet contesté et de sa nature, l'objet social de l'association " Thiérache à contrevent ", mentionné au point 2, lui confère un intérêt suffisant pour lui donner qualité pour agir à l'encontre des arrêtés en litige.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 6 que la fin de non-recevoir tirée du défaut intérêt pour agir de l'association requérante doit être écartée.

8. Il résulte de l'article 11 des statuts de l'association " Thiérache à contrevent " que son président est habilité à présenter tous les recours devant les juridictions administratives et judiciaires. Par suite, la fin de non-recevoir tirée d'un déf aut de qualité à agir du président de l'association dans le cadre du litige doit être écartée.

En ce qui concerne les autres requérants :

9. Pour pouvoir contester une décision prise au titre de la police des installations classées pour la protection de l'environnement, les tiers, personnes physiques, doivent justifier d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux.

10. M.B..., Mme Q...et M. X...indiquent sans être sérieusement contestés qu'un niveau significatif d'émergence a été calculé à proximité de leurs habitations selon certaines conditions météorologiques, ainsi que cela ressort de l'étude d'impact elle-même. Ils justifient ainsi d'un intérêt suffisamment direct et certain pour contester les arrêtés préfectoraux en litige en tant qu'ils portent sur des aérogénérateurs situés à proximité de leurs habitations, alors même que le bruit produit par les éoliennes autorisées ne dépasserait pas les normes en vigueur.

11. En revanche, les autres personnes physiques se bornent à faire état des nuisances sonores susceptibles de résulter du fonctionnement des éoliennes sans produire de commencement de preuve de la réalité et de l'intensité du bruit qui en émanerait. Par ailleurs, leurs photomontages destinés à mesurer l'impact visuel des machines sur leur environnement souffrent de nombreuses insuffisances méthodologiques mises en évidence par les sociétés pétitionnaires. Dans ces conditions et compte tenu de l'absence de tout bâtiment d'habitation dans un rayon d'un kilomètre autour des éoliennes, l'intérêt pour agir des personnes physiques requérantes autres que celles visées au point précédent ne peut être regardé comme suffisamment direct et certain.

12. Enfin, le groupement agricole X...ne justifie d'aucun intérêt suffisamment direct et certain auquel les arrêtés en litige sont susceptibles de porter atteinte.

Sur la légalité des arrêtés du 6 mars 2015 :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence du préfet de région :

13. Aux termes de l'article 2 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements: " (...) le préfet de région peut également évoquer, par arrêté et pour une durée limitée, tout ou partie d'une compétence à des fins de coordination régionale. Dans ce cas il prend les décisions correspondantes en lieu et place des préfets de département ".

14. Par un arrêté du 14 juin 2012, le préfet de la région Picardie, préfet de la Somme, a décidé d'évoquer sa compétence à compter du 30 juin 2012 jusqu'au 31 décembre 2016 au plus tard, afin d'assurer " à l'échelle des trois départements de la région Picardie, l'harmonisation de l'instruction des dossiers et des décisions accordant ou refusant les permis de construire et les autorisations d'exploiter les éoliennes terrestres ". Cet arrêté permet ainsi, conformément aux dispositions de l'article 2 du décret du 29 avril 2004 cité au point précédent de coordonner, pour une durée limitée, l'instruction et la délivrance des autorisations d'exploiter susceptibles de favoriser le développement de l'énergie éolienne et de respecter ainsi les objectifs internationaux de la France relatifs à la réduction des gaz à effet de serre visés dans l'arrêté préfectoral d'évocation. La circonstance que le schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie de Picardie comprenant le schéma régional éolien, a été annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 16 juin 2016 est resté sans incidence sur la légalité de l'arrêté préfectoral d'évocation dès lors que le préfet de région a entendu maintenir un cadre d'implantation cohérent des éoliennes en Picardie. Par suite, l'association " Thiérache à contrevent " et autres ne sont pas fondés à soutenir que le préfet de région n'avait pas régulièrement évoqué sa compétence relative à la délivrance des autorisations d'exploiter les éoliennes et que, par conséquent, l'arrêté préfectoral en litige aurait été signé par une autorité incompétente.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence de consultation des maires et propriétaires :

15. Il résulte de l'instruction que les avis des maires et propriétaires visés au 7° du I de l'article R. 512-6 du code de l'environnement ont été produits dans le dossier de demande d'autorisation des sociétés pétitionnaires. Par suite, le moyen tiré de l'omission de ces avis dans le dossier de demande d'autorisation doit être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence d'informations relatives aux modalités de constitution des garanties :

16. Il résulte de l'instruction que les sociétés pétitionnaires ont produit dans leur dossier de demande d'autorisation le formulaire type précisant les modalités de constitution des garanties financières à souscrire à la date de la délivrance de l'autorisation conformément aux articles R. 553-1 et R. 553-6 du code de l'environnement en indiquant qu'une somme de 50 000 euros était fixée pour chaque machine autorisée au titre de ces garanties sous la forme d'un cautionnement bancaire. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance du dossier de demande d'autorisation sur ce point doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence des avis des ministres en charge de l'aviation civile et de la défense :

17. Il résulte du dossier de demande d'autorisation présenté par les sociétés pétitionnaires qu'il comprenait, en son annexe 5, les avis rendus par les ministres en charge de l'aviation civile et de la défense sur le projet de parc éolien en litige. Par suite, le moyen tiré de l'absence de ces avis au dossier doit être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne le moyen tiré des insuffisances de l'étude d'impact :

18. En vertu du 1 de la rubrique n° 2980 ajoutée par le décret du 23 août 2011 modifiant la nomenclature des installations classées, le projet d'aérogénérateurs en litige est soumis à autorisation au titre des installations classées pour la protection de l'environnement. En vertu du 4° de l'article R. 512-6 du code de l'environnement, la demande d'autorisation qui doit être déposée pour ces installations, comporte une étude d'impact prévue à l'article L. 122-1 du code de l'environnement. Le XIV de l'article 2 du décret du 29 décembre 2011 portant réforme des études d'impact des projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements, a prévu que le contenu de l'étude d'impact est défini par l'article R. 122-5 du code l'environnement et complété par l'article R. 512-8 du même code. Cette disposition, entrée en vigueur le 1er juin 2012, était applicable au projet en litige qui a fait l'objet d'un dossier déposé le 28 juin 2012. Aux termes de l'article R. 512-8 du code de l'environnement alors applicable : " I.-Le contenu de l'étude d'impact mentionnée à l'article R. 512-6 doit être en relation avec l'importance de l'installation projetée et avec ses incidences prévisibles sur l'environnement, au regard des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1. / II.-Le contenu de l'étude d'impact est défini à l'article R. 122-5. Il est complété par les éléments suivants (...) /2° a) Les mesures réductrices et compensatoires mentionnées au 7° du II de l'article R. 122-5 font l'objet d'une description des performances attendues, notamment en ce qui concerne la protection des eaux souterraines, l'épuration et l'évacuation des eaux résiduelles et des émanations gazeuses ainsi que leur surveillance, l'élimination des déchets et résidus de l'exploitation, les conditions d'apport à l'installation des matières destinées à y être traitées, du transport des produits fabriqués et de l'utilisation rationnelle de l'énergie (...) ".

19. Le raccordement de l'électricité produite par les éoliennes aux postes sources ne correspond pas au " transport des produits fabriqués " visé à l'article R. 512-8 du code de l'environnement cité au point précédent. L'étude d'impact n'avait donc pas à comprendre la description précise des mesures réductrices et compensatoires relatives à cet aspect du projet. En tout état de cause, les études d'impact relatives au parc éolien en cause précisent que le raccordement au réseau électrique sera réalisé sous forme de réseau enterré " en accord avec la politique nationale d'enfouissement des réseaux " et que son cheminement empruntera essentiellement celui du réseau routier. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact concernant les mesures compensatoires envisagées pour le raccordement du parc éolien, qui n'est assorti d'aucune autre précision, doit être écarté.

20. Aux termes du II de l'article R. 122-5 du code de l'environnement dans sa version applicable au présent litige : " l'étude d'impact présente : (...) / 4° Une analyse des effets cumulés du projet avec d'autres projets connus. Ces projets sont ceux qui, lors du dépôt de l'étude d'impact ont fait l'objet d'un document d'incidences au titre de l'article R. 214-6 et d'une enquête publique ; / - ont fait l'objet d'une étude d'impact au titre du présent code et pour lesquels un avis de l'autorité administrative de l'État compétente en matière d'environnement a été rendu public. / (...) ".

21. Il est constant qu'un avis de l'autorité environnementale a été rendu pour le projet de parc éolien de la société Eoliennes de la Vallée, situé à proximité immédiate des projets de la société Le Haut-Bosquet Energie et de la société Les Royeux Energies le 28 septembre 2012, soit postérieurement au dépôt du dossier comprenant l'étude d'impact des sociétés pétitionnaires effectué le 27 juin 2012. Il s'en suit, au regard des dispositions citées au point précédent du 4° de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, que les études d'impact des sociétés pétitionnaires n'avaient pas à présenter une analyse des effets cumulés de leur projet avec celui de la société Eoliennes de la Vallée. En outre, il résulte, en tout état de cause, de l'instruction qu'à la demande du préfet, les sociétés pétitionnaires ont complété leur dossier de demande d'autorisation d'une étude des impacts cumulés de leurs projets, notamment sur l'environnement et les paysages, avec les autres parcs éoliens existants et notamment celui de la société Eoliennes de la Vallée, ainsi qu'en rendent d'ailleurs compte les rapports du service instructeur sur les demandes d'autorisation en litige. Par suite, et alors que l'association requérante se borne à faire état d'une insuffisance de principe, le moyen tiré des carences de l'étude d'impact sur ce point doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré du caractère vicié de l'avis de l'autorité environnementale :

22. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. À cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou cas par cas. (...) ".

23. L'article L. 122-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition des articles 2 et 6 de cette directive, dispose, dans sa rédaction applicable en l'espèce, que : " I. - Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact.(...) / III. - Dans le cas d'un projet relevant des catégories d'opérations soumises à étude d'impact, le dossier présentant le projet, comprenant l'étude d'impact et la demande d'autorisation, est transmis pour avis à l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement. (...). / IV.- La décision de l'autorité compétente qui autorise le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage à réaliser le projet prend en considération l'étude d'impact, l'avis de l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement et le résultat de la consultation du public (...) ".

24. La directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement comme celle 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ont pour finalité commune de garantir qu'une autorité compétente et objective en matière d'environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'évaluation environnementale des plans et programmes ou sur l'étude d'impact des projets, publics ou privés, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences. Eu égard à l'interprétation des dispositions de l'article 6 de la directive du 27 juin 2001 donnée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l'affaire C-474/10, et à la finalité identique des dispositions des deux directives relatives au rôle " des autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement ", il résulte clairement des dispositions de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d'ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu'une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné.

25. Les projets en litige étaient soumis à la réalisation d'une étude d'impact préalable et, en conséquence, ont fait l'objet d'un avis de l'autorité environnementale visé au III de l'article L. 122-1 du code de l'environnement. Il résulte de l'instruction qu'en l'espèce, ces avis ont été émis le 14 décembre 2012 par le secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) " pour le préfet de région ". Cette autorité, ni davantage la direction régionale pour l'environnement, l'aménagement du territoire et le logement (DREAL) qui a procédé à l'instruction et préparé ces avis, ne disposaient d'une autonomie réelle vis-à-vis du préfet de région qui a pris ensuite les décisions autorisant les projets. Ainsi, le préfet de région, en agissant comme autorité environnementale, n'a pas été, en l'espèce, placé dans les conditions lui permettant de remplir la mission de consultation qui lui était confiée et de donner ainsi un avis objectif sur les projets concernés. L'association " Thiérache à contrevent " et autres sont donc fondés à soutenir que les avis du 14 décembre 2012 ont été émis dans des conditions irrégulières.

26. En outre, l'évaluation environnementale a pour objet d'assurer un niveau élevé de protection de l'environnement. Compte tenu du rôle joué par l'autorité environnementale au début du processus d'évaluation, de l'autonomie dont cette autorité doit disposer, ainsi qu'il a été dit au point 24, et de la portée de l'avis qu'elle rend, cette autorité et les avis qu'elle rend constituent une garantie pour atteindre l'objectif assigné à l'évaluation environnementale. En l'espèce, compte tenu des conditions dans lesquelles les avis ont été émis, cette garantie ne peut être regardée, comme ayant été assurée et, en particulier, aucun autre avis rendu avec les garanties d'impartialité requises ne permet de vérifier que l'objectif d'un niveau élevé de protection de l'environnement a néanmoins été atteint. Par suite, l'irrégularité des avis émis par l'autorité environnementale a privé le pétitionnaire, le public et l'autorité administrative d'une garantie. Une telle privation est, par suite, de nature à justifier l'annulation des autorisations préfectorales accordées le 6 mars 2015.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance des capacités financières des sociétés pétitionnaires :

27. Le moyen présenté par les requérants et tiré de " l'insuffisance des capacités financières de l'exploitant " doit être regardé, compte tenu de sa présentation et des principaux développements qui l'accompagnent, comme relevant du bien-fondé de l'arrêté.

28. Il appartient au juge du plein contentieux d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.

29. Lorsque le juge se prononce sur la légalité de l'autorisation avant la mise en service de l'installation, il lui appartient de vérifier la pertinence des modalités selon lesquelles le pétitionnaire prévoit de disposer de capacités financières et techniques suffisantes pour assumer l'ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l'exploitation et de la remise en état du site au regard des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, ainsi que les garanties de toute nature qu'il peut être appelé à constituer à cette fin.

30. Il résulte de l'instruction et notamment du dossier administratif de demande d'autorisation que l'opération doit représenter un investissement estimé à 22,5 millions d'euros pour la société Les Royeux Energies et à 4,5 millions d'euros pour la société Le Haut-Bosquet Energies. Il doit être financé, sans subvention particulière, par un apport en capital couvrant environ 15 % des besoins de financement du projet, les 85 % restants l'étant par un emprunt bancaire. S'agissant de l'apport en capital, il résulte de l'instruction que celui-ci proviendra des deux sociétés Valorem et Elicio (Ex Electrawinds France) détenant, à parts égales, le capital des sociétés pétitionnaires. Les principaux éléments financiers et comptables de la société Valorem ont été présentés et permettent de garantir la réalité de ses propres capacités financières, le dossier indiquant par exemple que le résultat net de cette société est passé de 0,8 million d'euros à 12 millions d'euros entre 2011 et 2015 pour un actif s'établissant à cette dernière date à plus de 63 millions d'euros. La société Valorem ainsi que la société Elicio ont par ailleurs produit une lettre d'engagement à fournir à concurrence de leur part dans le capital des sociétés pétitionnaires les ressources financières destinées à la réalisation des investissements programmés ainsi qu'une lettre d'intention de la Société générale affirmant l'accord de principe pour le financement bancaire du projet à hauteur de 21,6 millions d'euros pour l'ensemble du parc éolien envisagé par les sociétés Les Royeux Energies et Le Haut-Bosquet Energies et rappelant qu'elle a déjà participé au financement de cinq projets de la société Valorem représentant 112 millions d'euros. Un plan d'affaires prévisionnel a également été transmis au préfet par les deux sociétés mères reprenant l'investissement à réaliser, le financement envisagé, les produits et les charges d'exploitation. Il s'en suit que les sociétés pétitionnaires, qui bénéficieront au demeurant de l'obligation d'achat à un tarif réglementé de l'électricité produite, justifient de leurs capacités financières pour la mise en oeuvre de l'intégralité du projet. Dans ces conditions et sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception d'inconventionnalité de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale et de son décret d'application n° 2017-81 du 26 janvier 2017 ou la méconnaissance, par ces textes, du principe de non régression, le moyen tiré de l'insuffisance de ces capacités doit être écarté au regard notamment des éléments fournis en cours d'instance devant la cour.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'atteinte aux intérêts protégés visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

31. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ".

32. Bien que l'avis de l'autorité environnementale ait été émis dans des conditions irrégulières ainsi qu'il a été dit aux points 25 et 26, les requérants s'en prévalent lorsqu'il retient que les enjeux du projet sont " forts pour le paysage ". Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que le secteur de la Basse-Thiérache présente des caractéristiques paysagères particulièrement remarquables ou bénéficie d'une protection spécifique à ce titre. Aucun monument historique ne figure sur le territoire des communes d'implantation du projet en litige. Les covisibilités entre certains aérogénérateurs et certains des monuments historiques situés aux alentours, notamment diverses églises fortifiées situées entre 1,7 et 6,2 kilomètres comme l'église d'Haution, de Voulpaix, de Saint-Pierre-les-Franqueville ou encore d'Elglancourt, apparaissent très limitées eu égard à la distance et à la configuration des lieux en particulier du fait de la présence d'un relief, d'un bâti existant et de végétation. Le préfet a d'ailleurs tenu compte des effets cumulés du projet de la société Eoliennes de la Vallée avec les projets en litige autorisés par ses arrêtés du 6 mars 2015, les problèmes paysagers et de sécurité l'ayant conduit à refuser à la société Le Haut-Bosquet Energie l'exploitation des éoliennes E6 à E9 prévues dans le cadre de son projet initial.

33. Si les requérants se prévalent de la visibilité du projet depuis la nécropole de Lemé située à plus de 4 kilomètres, ils ne justifient pas de l'intérêt paysager ou patrimonial de ce lieu, ni de la réalité de l'atteinte qui lui serait causée par le parc éolien envisagé.

34. Enfin, la prescription aux termes de laquelle préfet requiert de l'exploitant qu'il prenne " les dispositions appropriées qui permettent d'intégrer l'installation dans le paysage " et que " les couleurs du poste de livraison facilitent leur insertion dans le paysage " n'apparaît pas insusceptible de pouvoir être mise en oeuvre et l'insuffisance de cette prescription n'est pas, compte tenu de ce qui vient d'être dit s'agissant de l'absence d'atteinte significative aux sites et paysages environnants, de nature à entacher l'arrêté d'autorisation d'illégalité.

35. Il résulte de ce qui a été dit aux points 32 à 34 que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le projet porterait atteinte aux intérêts mentionnés l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

34. Il résulte de tout ce qui précède que seul le moyen tiré de l'irrégularité des avis de l'autorité environnementale est, en l'état du dossier et des moyens soumis à la cour, de nature à entacher d'illégalité les arrêtés du 6 mars 2015 par lequel le préfet de région a délivré les autorisations d'exploiter le parc éolien en litige.

Sur les conséquences à tirer de du vice entachant d'illégalité l'arrêté du 3 octobre 2013 :

35. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement issu de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, alors applicable : " I.- Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II.- En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées ".

36. En application du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, et, compte tenu du moyen que la cour estime fondé et de nature à entacher d'illégalité l'autorisation accordée par les arrêtés du 6 mars 2015, il y a lieu de surseoir à statuer pour inviter les parties à faire part de leurs observations sur la mise en oeuvre éventuelle d'une procédure de régularisation également prévue par ces dispositions. Un délai d'un mois leur est laissé à compter de la lecture du présent arrêt pour communiquer à la cour leurs observations sur ce point.

DÉCIDE :

Article 1er : Avant dire droit sur les conclusions de la requête, les parties sont invitées à faire part, dans le délai d'un mois à compter de la lecture du présent arrêt, de leurs observations sur la mise en oeuvre éventuelle de la procédure de régularisation prévue au 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

Article 2 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'a pas été statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Thiérache à contrevent ", qui a été désignée à cette fin dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la société Les Royeux Energies, à la société Le Haut-Bosquet Energies, au préfet de l'Aisne, au préfet de la région Hauts-de-France et au ministre de la transition écologique et solidaire.

N°16DA01704 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA01704
Date de la décision : 04/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Energie.

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement - Régime juridique - Actes affectant le régime juridique des installations - Première mise en service.


Composition du Tribunal
Président : M. Yeznikian
Rapporteur ?: M. Michel Richard
Rapporteur public ?: Mme Fort-Besnard
Avocat(s) : MONAMY

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-10-04;16da01704 ?
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