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12/04/2018 | FRANCE | N°15DA01036

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre - formation à 3, 12 avril 2018, 15DA01036


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...D...a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune d'Auby à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'arrêté du 1er juillet 2011 par lequel le maire de cette commune a mis fin à son détachement dans l'emploi fonctionnel de directeur général des services et à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral dont elle a fait l'objet depuis mars 2010.

Par un jugement n° 1202169 du 21

avril 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure deva...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...D...a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune d'Auby à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'arrêté du 1er juillet 2011 par lequel le maire de cette commune a mis fin à son détachement dans l'emploi fonctionnel de directeur général des services et à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral dont elle a fait l'objet depuis mars 2010.

Par un jugement n° 1202169 du 21 avril 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 juin 2015 et le 28 octobre 2017, MmeD..., représentée par Me F...C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 21 avril 2015;

2°) de condamner la commune d'Auby à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de l'arrêté du 1er juillet 2011 ainsi que la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral dont elle a fait l'objet depuis mars 2010 ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Auby la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me F...C..., représentant Mme E...D..., et de Me A...B..., représentant la commune d'Auby.

1. Considérant que Mme E...D..., attachée territoriale, a été nommée par voie de mutation à la mairie d'Auby (Nord), par un arrêté du 14 septembre 2007, puis détachée par un arrêté du 18 janvier 2008 du maire de cette commune dans l'emploi fonctionnel de directeur général des services, à compter du 15 septembre 2007 ; que par un arrêté du 1er juillet 2011, le maire d'Auby a mis fin à son détachement et l'a maintenue, en qualité d'attachée principale , en surnombre dans la commune durant un an, en l'absence d'emploi vacant ; que Mme D...relève appel du jugement du 21 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice résultant de cet arrêté du 1er juillet 2011 ainsi que la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice né du harcèlement moral dont elle aurait fait l'objet depuis mars 2010 ;

Sur l'illégalité fautive de l'arrêté du 1er juillet 2011 :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 53 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Lorsqu'il est mis fin au détachement d'un fonctionnaire occupant un emploi fonctionnel mentionné aux alinéas ci-dessous et que la collectivité ou l'établissement ne peut lui offrir un emploi correspondant à son grade, celui-ci peut demander à la collectivité ou l'établissement dans lequel il occupait l'emploi fonctionnel soit à être reclassé dans les conditions prévues aux articles 97 et 97 bis, soit à bénéficier, de droit, du congé spécial mentionné à l'article 99, soit à percevoir une indemnité de licenciement dans les conditions prévues à l'article 98./ Ces dispositions s'appliquent aux emplois :/ de directeur général des services, de directeur général adjoint des services des communes de plus de 2 000 habitants (...) ; Il ne peut être mis fin aux fonctions des agents occupant les emplois mentionnés ci-dessus, sauf s'ils ont été recrutés directement en application de l'article 47, qu'après un délai de six mois suivant soit leur nomination dans l'emploi, soit la désignation de l'autorité territoriale. La fin des fonctions de ces agents est précédée d'un entretien de l'autorité territoriale avec les intéressés et fait l'objet d'une information de l'assemblée délibérante et du Centre national de la fonction publique territoriale ; elle prend effet le premier jour du troisième mois suivant l'information de l'assemblée délibérante " ;

3. Considérant qu'il peut être mis fin au détachement des agents occupant les emplois fonctionnels mentionnés par les dispositions précitées pour des motifs tirés de l'intérêt du service ; qu'eu égard à la nature particulière des responsabilités qui lui incombent, le fait, pour un directeur général des services d'une commune, d'être placé dans une situation ne lui permettant plus de disposer, de la part du maire, de la confiance nécessaire au bon accomplissement de ses missions, peut légalement justifier qu'il soit, pour ce motif, déchargé de ses fonctions ; qu'il incombe, en principe, à l'autorité compétente de la collectivité ou de l'établissement qui souhaite mettre fin au détachement d'un agent territorial occupant un emploi fonctionnel, dans le cas où la mesure est prise en considération de la personne, de veiller à ce qu'il n'existe aucun risque d'ambiguïté quant à l'objet de l'entretien auquel l'article 53 de la loi du 26 janvier 1984 impose de convoquer l'intéressé, afin notamment de mettre ce dernier à même de prendre communication de son dossier ;

4. Considérant que l'arrêté du 1er juillet 2011 relève que " les rapports de nécessaire confiance entre la directrice générale des service et le maire d'une part et les responsables de services d'autre part ont été fortement altérés par différents incidents qui caractérisent l'impossibilité pour Mme D...d'entretenir des rapports de collaboration et d'autorité satisfaisants, certaines de ses interventions ou initiatives ont débordé le cadre normal de ses fonctions. En outre, elle a remis en cause l'autorité du maire à plusieurs reprises " ; que cet arrêté correspond ainsi à une mesure prise en considération de la personne ; que la commune d'Auby soutient que la réalité de la perte de confiance est établie notamment par une lettre du 7 décembre 2010, rédigée par un chef de service, se plaignant d'un vif incident qui serait intervenu dans le hall de la mairie entre Mme D...et lui, en présence de fonctionnaires et d'usagers, et au cours duquel cette dernière aurait tenu des propos humiliants se rapportant à sa vie privée et remettant en cause ses compétences professionnelles ; qu'il résulte toutefois de l'instruction, et notamment de la production, par la commune d'Auby, de la nomenclature des pièces du dossier personnel de MmeD..., que cette lettre ne figurait pas dans le dossier de celle-ci ; que Mme D...soutient, sans être contredite, n'en avoir eu connaissance que par le second mémoire de la commune d'Auby produit le 12 septembre 2012 devant le tribunal administratif de Lille ; que, dans ces conditions, si la requérante a été autorisée à consulter son dossier, le 27 avril 2011, elle ne peut être regardée, compte tenu de l'absence de la lettre précitée dans ce dossier, comme ayant été mise en mesure de présenter utilement sa défense ; qu'ainsi, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, l'arrêté du 1er juillet 2011 est entaché d'illégalité ; que cette illégalité engage la responsabilité de la commune d'Auby ;

5. Considérant que les faits relatés par le courrier d'un chef de service communal du 7 décembre 2010 mentionné au point 4 ci-dessus, dont l'inexactitude matérielle ne résulte pas de l'instruction, justifiaient à eux seuls qu'il soit mis fin au détachement de Mme D...dans l'emploi fonctionnel de directeur général des services, compte tenu de la perte de confiance qui en résultait ; que l'illégalité externe entachant l'arrêté du 1er juillet 2011 a, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, causé à Mme D...un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 2 000 euros ;

Sur le harcèlement moral allégué :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la commune :

6. Considérant que Mme D...a adressé à la commune une réclamation préalable tendant à l'indemnisation du préjudice résultant, selon elle, du harcèlement moral dont elle a fait l'objet et a chiffré son préjudice moral à la somme de 20 000 euros ; que cette réclamation a lié le contentieux à hauteur de ce montant ;

En ce qui concerne la responsabilité de la commune :

7. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel./Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération :/1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ;/2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ;/3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés./ Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus./Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public " ;

8. Considérant qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

9. Considérant que Mme D...affirme, avoir été victime d'actes de harcèlement moral jusqu'au 3 janvier 2012, date de son départ en congé maladie pour dépression dans un contexte de vive tension professionnelle consécutif à sa décharge de fonctions du 1er juillet 2011 ; que s'il est constant que le maire a refusé de lui accorder deux semaines de congé en décembre 2010, il ressort des pièces du dossier que les droits à congés de la requérante étaient épuisés, de sorte que ce refus ne peut être regardé comme révélant un harcèlement moral ; que la diminution de son régime indemnitaire est liée à sa décharge de fonctions ; que s'agissant du non versement de l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires, la commune d'Auby a reconnu son erreur et a régularisé la situation ; que les frais professionnels engagés par Mme D...lui ont été remboursés ; que si la requérante reproche à la commune de ne pas avoir saisi la commission de réforme, compte tenu de son état de santé, elle reconnait qu'elle pouvait elle-même saisir régulièrement cet organisme ; que si elle a été contrainte de changer de bureau, il résulte de l'instruction que la plupart des agents ont dû eux aussi rejoindre un autre bureau en raison des travaux d'extension de la mairie ; que, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'existence d'un harcèlement moral ne peut être regardée comme établie s'agissant de la période antérieure au 3 janvier 2012 ;

10. Considérant, toutefois, que s'agissant de la période postérieure au retour de Mme D...à la mairie d'Auby en juin 2013, à l'issue de son congé de maladie, la requérante soutient qu'aucun travail effectif ne lui a été confié ; que si elle a été chargée, à compter du 1er juillet 2013, de la mise en place, pour la commune d'Auby du plan d'action " Agenda 21 " relatif au développement durable, il ne résulte pas de l'instruction que cette unique mission était susceptible d'occuper à temps plein un attaché principal territorial ; que, par ailleurs, la requérante soutient, sans être sérieusement contestée, qu'elle ne figurait plus dans l'organigramme de la mairie, qu'un casier destiné à son courrier ne lui a été attribué que cinq mois après son retour, qu'elle ne disposait plus de code d'accès au système de gestion électronique des documents, que n'étant rattachée à aucun des pôles fonctionnels de l'administration communale, elle n'a pu formuler aucune proposition budgétaire pour l'année 2014 et qu'elle n'a plus bénéficié de la nouvelle bonification indiciaire, attribuée depuis 1999 à l'ensemble des agents de la commune d'Auby ; que ces éléments, non sérieusement contestés par la commune, révèlent une volonté de mise à l'écart de Mme D...après son retour de congé de maladie ; qu'ainsi, l'existence d'un harcèlement moral doit être regardée comme établie, pour cette période ;

11. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme D...du fait du harcèlement moral dont elle fait l'objet en l'évaluant à la somme de 2 000 euros ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est fondée à demander la condamnation de la commune d'Auby à lui verser la somme totale de 4 000 euros et à soutenir que c'est à tort, que par le jugement du 21 avril 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté, à hauteur de ce montant, ses conclusions indemnitaires ; que le surplus de ses conclusions indemnitaires doit être rejeté ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Auby le versement à Mme D...d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que les conclusions présentées par la commune d'Auby au titre des mêmes dispositions ne peuvent qu'être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La commune d'Auby est condamnée à verser à Mme D...la somme de 4 000 euros.

Article 2 : Le surplus des conclusions de Mme D...est rejeté.

Article 3 : La commune d'Auby versera une somme de 1 500 euros à Mme D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune d'Auby au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le jugement du 21 avril 2015 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...D...et à la commune d'Auby.

Copie sera adressée, pour information, au préfet du Nord.

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N°15DA01036

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15DA01036
Date de la décision : 12/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme Petit
Rapporteur ?: M. Jean-Jacques Gauthé
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : MEYER VERVA DUPONT LEZAN GUERIN

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-04-12;15da01036 ?
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