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15/02/2018 | FRANCE | N°17DA00868

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 15 février 2018, 17DA00868


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 mars 2017 par lequel le préfet du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il doit être reconduit et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1702854 du 3 avril 2017, le magistrat désigné par le président du tri

bunal administratif de Lille a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 mars 2017 par lequel le préfet du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il doit être reconduit et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1702854 du 3 avril 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 mai 2017, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M.C....

......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code pénal ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Sur le motif d'annulation retenu par le jugement attaqué :

1. Considérant, d'une part, qu'aux termes du I de l'article 225-4-1 du code pénal : " La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation dans l'une des circonstances suivantes : / 1° Soit avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manoeuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ; / 2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; / 3° Soit par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ; / 4° Soit en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage. / L'exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l'un de ses organes, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit. / La traite des êtres humains est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende (...) " ;

2. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée à l'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. / En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident est délivrée de plein droit à l'étranger ayant déposé plainte ou témoigné " ; qu'aux termes de l'article R. 316-1 du même code : " Le service de police ou de gendarmerie qui dispose d'éléments permettant de considérer qu'un étranger, victime d'une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme prévues et réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, est susceptible de porter plainte contre les auteurs de cette infraction ou de témoigner dans une procédure pénale contre une personne poursuivie pour une infraction identique, l'informe : / 1° De la possibilité d'admission au séjour et du droit à l'exercice d'une activité professionnelle qui lui sont ouverts par l'article L. 316-1 ; / 2° Des mesures d'accueil, d'hébergement et de protection prévues à la section 2 du présent chapitre ; / 3° Des droits mentionnés à l'article 53-1 du code de procédure pénale, notamment de la possibilité d'obtenir une aide juridique pour faire valoir ses droits. / Le service de police ou de gendarmerie informe également l'étranger qu'il peut bénéficier d'un délai de réflexion de trente jours, dans les conditions prévues à l'article R. 316-2 du présent code, pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d'admission au séjour mentionnée au deuxième alinéa. / Ces informations sont données dans une langue que l'étranger comprend et dans des conditions de confidentialité permettant de le mettre en confiance et d'assurer sa protection (...) " ;

3. Considérant que les dispositions de l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile chargent les services de police d'une mission d'information, à titre conservatoire et préalablement à toute qualification pénale, des victimes potentielles de faits de traite d'êtres humains ; qu'ainsi, lorsque ces services ont des motifs raisonnables de considérer que l'étranger pourrait être reconnu victime de tels faits, il leur appartient d'informer ce dernier de ses droits en application de ces dispositions ; qu'en l'absence d'une telle information, l'étranger est fondé à se prévaloir du délai de réflexion pendant lequel aucune mesure d'éloignement ne peut être prise, ni exécutée, notamment dans l'hypothèse où il a effectivement porté plainte par la suite ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.C..., de nationalité vietnamienne, a été entendu par les services de police dans le cadre fixé par l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le 26 mars 2017, alors qu'il venait d'être interpellé sur le site du tunnel sous la Manche ; qu'il a été interrogé sur son identité, sur les raisons de son départ de son pays d'origine et sur son parcours, qu'il a détaillé, sur ses objectifs, sur sa situation familiale et administrative et sur ses moyens de subsistance ; qu'il a enfin été informé de la possibilité qu'une mesure d'éloignement soit prise à son encontre et interrogé sur l'existence éventuelle d'autres éléments qu'il aurait souhaité porter à la connaissance de l'autorité administrative ; qu'à aucun moment au cours de cette audition M. C...n'a indiqué avoir été victime d'agissements susceptibles de caractériser l'infraction de traite des êtres humains, ni même, au demeurant, avoir contracté une dette auprès d'un réseau de " passeurs " ; que, dès lors, les services de police n'avaient pas, en l'espèce, de motifs raisonnables de considérer que l'intéressé pouvait être reconnu victime de faits de traite d'êtres humains ; que si M. C...a déclaré, lors de l'audience de première instance, qu'il se trouverait dans l'obligation de travailler sans rémunération afin de rembourser la dette qu'il a contractée auprès d'un réseau de " passeurs " afin de gagner l'Europe, il ne se déduit pas de cette déclaration, laquelle est en tout état de cause postérieure à l'audition de l'intéressé par les services de police comme à la décision attaquée, que celle-ci n'aurait pas été précédée d'un examen sérieux de sa situation personnelle ; que, dès lors, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté attaqué ;

5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C...devant la juridiction administrative ;

Sur les autres moyens soulevés par M. C...à l'encontre de l'arrêté en litige :

En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté :

6. Considérant que, par un arrêté du 6 mars 2017, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. D...B..., sous-préfet de Calais, à l'effet de signer, lorsqu'il assure la permanence des membres du corps préfectoral, l'ensemble des décisions contenues dans l'arrêté attaqué ; que M. C...n'est dès lors pas fondé à soutenir que cet arrêté aurait été pris par une autorité incompétente ;

7. Considérant que l'arrêté attaqué, qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde, est suffisamment motivé ;

En ce qui concerne les autres moyens soulevés à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français :

8. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) " ; qu'il est constant que M. C...est entré irrégulièrement en France et n'est pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; qu'il entre ainsi dans le champ de ces dispositions ;

9. Considérant que M. C...ne peut utilement se prévaloir du principe de non-refoulement énoncé par les stipulations de la convention de Genève dès lors que l'obligation de quitter le territoire français n'a pas pour objet de déterminer le pays à destination duquel il sera renvoyé et n'a pas non plus pour effet de le contraindre à retourner dans son pays d'origine ;

10. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Pas-de-Calais aurait fait une appréciation manifestement erronée des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M.C... ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que M. C...n'est pas fondé à demander l'annulation de l'obligation de quitter le territoire dont il fait l'objet ;

En ce qui concerne les autres moyens dirigés contre la décision de refus de délai de départ volontaire :

12. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 11 que M. C...n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

13. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification pour rejoindre le pays dont il possède la nationalité ou tout autre pays non membre de l'Union européenne ou avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen où il est légalement admissible. (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...) " ;

14. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et qu'il n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; que, dès lors, il entre dans le champ des dispositions citées au point précédent ; qu'il ne se prévaut d'aucune circonstance de nature à écarter un risque de fuite de sa part ; que le préfet du Pas-de-Calais n'a dès lors pas commis d'erreur d'appréciation dans l'application des dispositions citées au point précédent ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 et 12 à 14 que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision lui refusant un délai de départ volontaire ;

En ce qui concerne les autres moyens dirigés contre la décision fixant le pays de renvoi :

16. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 11 que M. C...n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

17. Considérant que si M. C...soutient qu'il serait menacé en cas de retour dans son pays d'origine, il n'assortit ce moyen d'aucune précision ni d'aucun élément de preuve ; qu'il n'est dès lors pas fondé à soutenir que cette décision serait contraire à l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

18. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 6, 7, 16 et 17 que M. C...n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision fixant le pays de destination de son éloignement ;

En ce qui concerne les autres moyens dirigés contre l'interdiction de retour sur le territoire français :

19. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 11 que M. C...n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

20. Considérant qu'aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) " ;

21. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...est entré irrégulièrement en France et s'y trouvait depuis trois jours lorsqu'il a été interpellé ; qu'il n'a effectué aucune démarche visant à régulariser sa situation et s'employait à gagner clandestinement le Royaume-Uni en se cachant dans un camion ; qu'il ne se prévaut d'aucune attache privée ou familiale sur le territoire français ; que, dès lors, en prononçant à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas commis d'erreur d'appréciation au regard des critères fixés par les dispositions citées au point précédent ;

22. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 et 19 à 21 que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français ;

23. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 26 mars 2017 ; que, par voie de conséquence, les conclusions de M. C...à fin d'injonction doivent être rejetées, de même que celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille du 3 avril 2017 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.

N°17DA00868 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17DA00868
Date de la décision : 15/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. Yeznikian
Rapporteur ?: M. Charles-Edouard Minet
Rapporteur public ?: Mme Fort-Besnard

Origine de la décision
Date de l'import : 27/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-02-15;17da00868 ?
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