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23/11/2017 | FRANCE | N°15DA01939

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3, 23 novembre 2017, 15DA01939


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...G...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Péronne à l'indemniser des conséquences dommageables de sa prise en charge dans cet établissement à compter du 2 septembre 2005. La caisse de mutualité sociale agricole de Picardie a demandé la condamnation de cet établissement au remboursement des prestations servies à la victime.

Par un jugement n° 1302740 du 1er octobre 2015, le tribunal administratif d'Amiens a condamné le centre hospitalier de Pér

onne à verser, d'une part, à Mme G..., une indemnité de 28 900 euros assortie des...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...G...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Péronne à l'indemniser des conséquences dommageables de sa prise en charge dans cet établissement à compter du 2 septembre 2005. La caisse de mutualité sociale agricole de Picardie a demandé la condamnation de cet établissement au remboursement des prestations servies à la victime.

Par un jugement n° 1302740 du 1er octobre 2015, le tribunal administratif d'Amiens a condamné le centre hospitalier de Péronne à verser, d'une part, à Mme G..., une indemnité de 28 900 euros assortie des intérêts et de leur capitalisation, et, d'autre part, à la caisse de mutualité sociale agricole de Picardie, une somme de 6 270,51 euros en remboursement de ses débours, et a mis à la charge de cet établissement les dépens de l'instance, l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et une somme de 1 500 euros à verser à Mme G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 décembre 2015 et le 11 janvier 2016, le centre hospitalier de Péronne, représenté par Me A...E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de première instance de Mme G... et de la caisse de mutualité sociale agricole de Picardie.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- et les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public.

1. Considérant que Mme B...G..., victime le 1er septembre 2005, à la suite d'une chute de cheval, d'une fracture fermée à grand déplacement à l'union du tiers médian et du tiers inférieur du fémur gauche, a été admise au centre hospitalier de Péronne ; que, le 2 septembre 2015, elle a subi une ostéosynthèse par enclouage centromédullaire et verrouillage, dit " dynamique ", par deux vis à l'extrémité inférieure du clou ; que si les suites de l'intervention ont été marquées par une bonne consolidation, la patiente a notamment présenté un raccourcissement significatif du membre inférieur gauche de l'ordre de 3,5 cm, confirmé en décembre 2005 par une radiographie de contrôle, entraînant une bascule du bassin, un déficit fonctionnel douloureux et une boiterie ; que le centre hospitalier de Péronne relève appel du jugement du 1er octobre 2015 par lequel le tribunal administratif d'Amiens l'a condamné à indemniser Mme G... des conséquences dommageables de cette prise en charge et à rembourser à la caisse de mutualité sociale agricole de Picardie les prestations servies à la victime ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés " ;

3. Considérant qu'il résulte des motifs mêmes du jugement, que le tribunal administratif d'Amiens a expressément répondu aux moyens soulevés devant lui ; qu'il n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties ; qu'en particulier, après avoir précisé qu'il se fondait sur les " expertises médicales des Drs Jean-Jacques F...et BrunoC... " produites par Mme G... et que celles-ci n'étaient remises en cause par aucune pièce du dossier, le tribunal a explicité, aux points 5 et 6 du jugement, les faits selon lui à l'origine du dommage et les raisons de leur caractère fautif ; qu'après avoir ainsi, implicitement mais nécessairement, écarté les conclusions de l'expert désigné en référé, selon lesquelles aucune faute médicale ne pouvait être reprochée au centre hospitalier de Péronne, et estimé que les éléments contenus dans ce rapport ne pouvaient utilement contredire les éléments médicaux présentés par la requérante, le tribunal s'est prononcé avec une précision suffisante sur le principe même de la responsabilité de l'établissement de santé ; que, par suite, le centre hospitalier de Péronne n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Péronne :

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) " ;

5. Considérant que le docteur PhilippeD..., expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, a conclu que l'ostéosynthèse par enclouage centromédullaire, réalisé avec un verrouillage " dynamique " assuré par des vis fixées à l'extrémité inférieure du clou, était conforme aux règles de l'art ; que cet expert a, en effet, estimé que l'excellent contact opératoire du clou et des corticales obtenu sur une longueur d'environ 15 cm au niveau du foyer supérieur de la fracture n'imposait pas la mise en place d'un verrouillage dit " statique ", par la fixation de vis aux deux extrémités du clou, et que cette seconde technique aurait permis d'obtenir une consolidation moins rapide et nécessité une réintervention ; que, toutefois, Mme G... a produit un rapport médical rédigé le 9 janvier 2012, à sa demande, par un médecin généraliste spécialisé en évaluation du dommage corporel qui a consulté un professeur émérite en orthopédie à l'Université catholique de Louvain ; que, selon l'avis de ce dernier, qui repose sur une lecture précise des clichés radiographiques préopératoires, postopératoires et de contrôle, une fracture du fragment inférieur libéré par la fracture initiale est survenue lors de l'intervention, transformant cette dernière fracture, qui était initialement transversale et stable, en une fracture comminutive plus instable dont les caractéristiques imposaient, conformément aux bonnes pratiques alors admises, une stabilisation par verrouillage statique, alors que le verrouillage dynamique réalisé a autorisé un déplacement du fragment proximal du fémur et un chevauchement des corticales à l'origine d'un raccourcissement excessif de l'os ; qu'alors même que le centre hospitalier de Péronne conteste l'impartialité de ces médecins, que ne suffisent pas à remettre en cause les termes dans lesquels le Dr F...s'est adressé au Dr C...pour lui transmettre le dossier, il demeure, à l'issue du débat contradictoire auquel leur rapport a été soumis tant en première instance qu'en appel, que le DrD..., qui s'est borné à justifier la technique d'enclouage dynamique utilisée pour une fracture transversale sans évoquer la survenance d'une fracture per-opératoire comminutive, n'a pas expressément intégré dans son analyse les données factuelles sur lesquelles se fondent les Drs F...etC..., tout en notant cependant " qu'on peut de nouveau discuter le rôle d'un enclouage initial statique avec verrouillage supérieur mais il n'apparaissait pas initialement nécessaire ", réserve qui va dans le sens des critiques formulées par les rapports retenus par les premiers juges ; que le tribunal, qui n'était pas tenu de suivre les conclusions de l'expert qu'il avait lui-même désigné, a pu s'en écarter eu égard aux données factuelles ci-dessus mentionnées non prises en compte par ce dernier, pour retenir celles des Drs F...etC..., circonstanciées, concordantes et étayées par les pièces du dossier médical, les éléments médicaux sur lesquels repose leur argumentation n'étant pas utilement contredits par l'instruction ; qu'il est ainsi établi, sans qu'il soit besoin de prescrire une nouvelle expertise, qu'en omettant d'adapter le traitement de la fracture à la complication non fautive per-opératoire, le chirurgien a, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, commis une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Péronne ;

6. Considérant que la circonstance que Mme G... a rejeté toute proposition d'une intervention chirurgicale destinée à corriger le dommage résultant de l'inégale longueur de ses membres inférieurs, alors que celui-ci est la conséquence directe de la faute commise par le centre hospitalier de Péronne, n'est pas de nature à exonérer, même partiellement, cet établissement de sa responsabilité ;

7. Considérant, toutefois, que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

8. Considérant, en l'espèce, que l'absence de prise en charge correcte a compromis les chances de Mme G...d'obtenir une consolidation de la fracture avec un raccourcissement n'excédant pas les 2 cm communément admis ; qu'ainsi, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la faute imputable au centre hospitalier de Péronne n'engage pas la responsabilité de l'établissement pour l'intégralité du dommage, mais seulement à raison de cette perte de chance ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'ampleur de la chance perdue en l'évaluant à 95 % ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

9. Considérant que le centre hospitalier de Péronne ne conteste pas que, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, la mise en place d'un enclouage dynamique a imposé à Mme G... d'interrompre temporairement son activité professionnelle d'ouvrière agricole pour une durée supplémentaire comprise entre le 31 décembre 2005 et le 3 septembre 2006 ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la perte de gains professionnels subie par l'intéressée n'ait pas été intégralement compensée par les indemnités journalières d'un montant total de 6 270,51 euros allouées durant cette période ; qu'ainsi, pour tenir compte de l'ampleur de la chance perdue, il y a lieu de ramener le montant des débours de la caisse mis à la charge du centre hospitalier de Péronne à 95 % de 6 270,51 euros, soit la somme de 5 956,98 euros, laquelle n'apparaît pas non plus, au vu de l'instruction, excéder le montant du préjudice subi par la victime ;

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

10. Considérant qu'il résulte de l'instruction, en particulier des éléments contenus dans le rapport de l'expert judiciaire, que les raccourcissements inférieurs à 2 cm communément admis dans les suites de fractures, n'entraînent normalement pas, par eux-mêmes, de retentissements cliniques ; qu'il s'ensuit que la bascule gauche du bassin avec des troubles statiques rachidiens, la gêne fonctionnelle douloureuse au niveau de la hanche gauche et la boiterie dont se plaint Mme G..., ainsi que notamment le déficit fonctionnel permanent qu'ils comportent, doivent être regardés comme exclusivement imputables au rétrécissement excessif de sa jambe gauche ; qu'il ne résulte pas de l'instruction, en l'absence d'élément apporté sur ce point par le centre hospitalier de Péronne, que le taux de l'incapacité permanente partielle correspondant serait inférieur à celui, compris entre 12 % et 15 %, retenu par le tribunal ; que compte tenu de ce taux, une juste évaluation du déficit fonctionnel subi par la victime, qui était âgée de quarante ans à la date de consolidation, fixée par l'expert judiciaire au 31 décembre 2006, devait être fixée à la somme de 17 157 euros et, compte tenu du taux de perte de chance, Mme G...avait droit à ce titre à la somme de 16 340 euros ;

11. Considérant que le centre hospitalier de Péronne n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'imputabilité à la mise en place d'un enclouage dynamique, retenue par le tribunal, du déficit fonctionnel temporaire subi par MmeG..., des souffrances qu'elle a endurées, du préjudice d'agrément résultant pour elle de l'abandon de l'équitation et du préjudice esthétique qu'elle conserve du fait de sa boiterie ; qu'il ne résulte pas de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas allégué par l'établissement requérant, que le jugement attaqué, dont il y a lieu d'adopter les motifs sur ce point, comporterait une appréciation erronée du montant de ces préjudices, évalués respectivement à 3 600 euros, 8 000 euros, 1 800 euros et 3 500 euros ; que cependant, par application du taux représentatif de la perte de chance, les sommes auxquelles Mme G...avait droit au titre de ces préjudices, s'élevaient respectivement à 3 420 euros, 16 340 euros, 1 710 euros et 3 325 euros ;

12. Considérant que, dès lors, la somme totale de 28 900 euros accordée par le tribunal à Mme G...étant inférieure au montant total de ses préjudices indemnisables qui s'élève à 32 395 euros, il n'y a pas lieu de réduire la condamnation prononcée à l'encontre du centre hospitalier au titre des préjudices extra patrimoniaux de la victime ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'établissement requérant est seulement fondé à demander que la somme de 6 270,51 euros qu'il a été condamné à verser à la caisse de mutualité sociale agricole de Picardie en remboursement de ses débours soit ramenée à 5 956,98 euros ; qu'il n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens l'a condamné à verser à Mme G... une indemnité de 28 900 euros ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Péronne, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme G... et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le montant des débours que le centre hospitalier de Péronne a été condamné à rembourser à la caisse de mutualité sociale agricole de Picardie par le jugement n° 1302740 du 1er octobre 2015 du tribunal administratif d'Amiens est ramené de 6 270,51 euros à 5 956,98 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1302740 du 1er octobre 2015 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du centre hospitalier de Péronne est rejeté.

Article 4 : Le centre hospitalier de Péronne versera à Mme G... une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Péronne, à Mme B...G...et à la caisse de mutualité sociale agricole de Picardie.

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N°15DA01939


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