Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme I...D...épouseA..., son fils, M. G...A..., et la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Rouen à verser, d'une part, à Mme A...une somme totale de 231 200 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis à la suite de sa prise en charge médicale le 25 mars 1974 et à M. A...la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice résultant des dommages subis par sa mère et, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie la somme de 53 765,93 euros au titre de ses débours et la somme de 997 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n° 1202886 du 29 janvier 2015, le tribunal administratif de Rouen, après avoir rejeté l'exception de prescription de l'action indemnitaire de Mme A...opposée par le centre hospitalier régional universitaire de Rouen et estimé que la responsabilité de cet établissement hospitalier était engagée à raison de la seule faute découlant du diagnostic erroné posé le 25 mars 1974, a condamné le centre hospitalier régional universitaire de Rouen à verser, d'une part, à Mme A... la somme de 19 080 euros en réparation de l'ensemble des ses préjudices avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2012, capitalisés à compter du 2 juillet 2013 ainsi qu'à chaque échéance annuelle et, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime, les sommes de 8 531,89 euros en remboursement de ses débours et de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et rejeté le surplus des conclusions de sa demande ainsi que celle de M.A....
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 23 mars 2015 sous le n° 15DA00467, Mme A...et son fils, M. G...A...et la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime, représentés par Me C...B..., demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rouen du 29 janvier 2015 en tant qu'il a limité à 19 080 euros la somme que le centre hospitalier régional universitaire de Rouen a été condamné à verser à Mme A...en réparation de l'ensemble de ses préjudices et rejeté le surplus de sa demande ainsi que celle de M. A...;
2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Rouen à verser à Mme A... la somme totale de 231 200 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices et à M. A...la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice propre, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ceux-ci ;
3°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Rouen à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime la somme de 53 765,93 euros au titre de ses débours et la somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ceux-ci ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Rouen le versement à Mme A...et à M. A...d'une somme globale de 2 000 euros et à la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- l'action en responsabilité entreprise n'est pas prescrite dans la mesure où Mme A... n'a eu connaissance de la faute commise par le centre hospitalier régional universitaire de Rouen qu'en 2005 ; le délai de dix ans n'a commencé à courir qu'à compter du 1er janvier 2006 et a été interrompu avant son expiration ;
- Mme A...a subi une intervention chirurgicale lourde au pancréas à la suite d'une erreur de diagnostic, aucune lésion suspecte de malignité n'ayant finalement été constatée ;
- elle a été victime d'une erreur de diagnostic lors de l'analyse histologique réalisée par le service d'anatomo-pathologie du centre hospitalier régional universitaire de Rouen ; cette erreur constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Rouen ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu un taux de perte de chance de 60 % de se soustraire aux dommages qu'elle a subis à raison de cette faute dans la mesure où l'opération réalisée était inutile ;
- en ce qui concerne les préjudices de MmeA..., elle est fondée à demander le versement d'une somme de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, de 16 200 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire et de 20 000 euros au titre des souffrances endurées ;
- elle est également fondée à demander le versement d'une somme de 60 000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent, de 15 000 euros au titre de son préjudice esthétique permanent, de 50 000 euros au titre de son préjudice d'agrément et de 50 000 euros au titre de son préjudice sexuel ;
- en ce qui concerne les préjudices de M.A..., il est fondé à demander le versement d'une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice subi en sa qualité de victime par ricochet ;
- les débours de la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime s'élèvent à la somme totale de 53 765,93 euros comprenant 28 756,63 euros pour les dépenses de santé actuelles et 25 009,30 euros pour les dépenses de santé futures et l'indemnité forfaitaire de gestion sera portée à la somme de 1 047 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 mai 2015 et le 5 juin 2015, le centre hospitalier régional universitaire de Rouen, représenté par Me E...H..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- en raison de la gravité extrême du cancer du pancréas et de la nécessité d'intervenir au plus tôt afin de prévenir le risque cancéreux, l'indication opératoire était justifiée compte-tenu des éléments dont disposaient les médecins et l'erreur de diagnostic de l'analyse anatomo-pathologique n'a pas fait perdre de chance à Mme A...d'échapper à cette intervention et aux dommages qui s'en sont suivis dans la mesure où les règles de bonne pratique médicale en 1974 préconisaient alors une prise en charge chirurgicale large, comme le confirme le rapport critique du professeur Favre du 2 mai 2015 ; par suite, aucune faute n'est de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Rouen ;
- en tout état de cause, le taux de perte de chance fixé à 60 % par les premiers juges est excessif ;
- MmeA..., qui n'exerçait aucune activité professionnelle au moment de l'intervention, n'est pas fondée à demander une indemnisation au titre de l'incidence professionnelle ;
- il a été fait une juste évaluation du déficit fonctionnel temporaire total de trois mois subi par l'intéressée puis de 25 % pendant deux ans en lui allouant la somme de 4 500 euros avant application du taux de perte de chance ;
- il en est de même en ce qui concerne la somme de 4 500 euros allouée à Mme A...au titre des souffrances endurées ;
- le taux de 65 % au titre du déficit fonctionnel permanent invoqué par Mme A...n'est pas justifié et ne peut ainsi être retenu ;
- il a également été fait une juste appréciation du préjudice esthétique qui a été évalué à 1 sur une échelle de 7 en lui allouant une somme de 480 euros après application du taux de perte de chance ;
- la requérante ne justifie pas de la réalité du préjudice d'agrément qu'elle allègue ;
- M. A...ne démontre pas par la seule attestation qu'il a rédigée, qui n'est pas circonstanciée et ne repose sur aucun élément précis, de la réalité de son préjudice.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 6 septembre 2016, les consorts A...concluent aux mêmes fins que leur requête.
Ils soutiennent en outre, que :
- le rapport critique du professeur Favre du 2 mai 2015 produit par le centre hospitalier régional universitaire de Rouen dans ses dernières écritures est un document non-contradictoire qui ne peut remettre en cause l'erreur de diagnostic qui constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Rouen ;
- c'est à tort que le centre hospitalier régional universitaire fait valoir qu'aucune perte de chance ne peut être retenue.
II. Par une requête, enregistrée le 30 mars 2015 sous le n° 15DA00508, et des mémoires enregistrés le 11 mai 2015 et le 5 juin 2015, le centre hospitalier régional universitaire de Rouen, représenté par Me E...H..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 29 janvier 2015 ;
2°) de rejeter les demandes des consorts A...et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime présentées devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- à titre principal, la créance de Mme A...est prescrite ; Mme A...a été informée en 1991 de l'erreur de diagnostic commise à la suite de l'analyse anatomo-pathologique pratiquée en 1974, ainsi que cela résulte de la lettre du docteur Hivet à son confrère, le docteur Touchard, le 29 novembre 1991 ;
- à titre subsidiaire, compte-tenu de la difficulté à diagnostiquer le carcinome de la papille du pancréas, y compris après une analyse anatomo-pathologique, en l'état des connaissances médicales de l'époque, l'erreur de diagnostic commise à la suite de cette analyse pratiquée en 1974 ne saurait être regardée comme une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Rouen, comme le confirme le rapport critique du professeur Favre du 2 mai 2015 ;
- en tout état de cause, en raison de la gravité extrême du cancer du pancréas et de la nécessité d'intervenir au plus tôt afin de prévenir le risque cancéreux, l'indication opératoire était justifiée compte-tenu des éléments dont disposaient les médecins et l'erreur de diagnostic de l'analyse anatomo-pathologique n'a pas fait perdre de chance à Mme A...d'échapper à cette intervention et aux dommages qui s'en sont suivis dans la mesure où les règles de bonne pratique médicale en 1974 préconisaient alors une prise en charge chirurgicale large ainsi que le confirme également le rapport critique du professeur Favre du 2 mai 2015 ;
- le taux de perte de chance fixé à 60 % par les premiers juges ne saurait excéder 30 %.
Par un mémoire, enregistré le 7 septembre 2016, MmeA..., son fils, M. G...A...et la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime, représentés par Me C...B..., demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rouen du 29 janvier 2015 en tant qu'il a limité à 19 080 euros la somme que le centre hospitalier régional universitaire de Rouen a été condamné à verser à Mme A...en réparation de l'ensemble de ses préjudices et rejeté le surplus de sa demande ainsi que celle de M. A...;
2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Rouen à verser à Mme A... la somme totale de 231 200 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices et à M. A...la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice propre, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ceux-ci ;
3°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Rouen à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime la somme de 53 765,93 euros au titre de ses débours et la somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ceux-ci ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Rouen le versement à Mme A...et à M. A...d'une somme globale de 2 000 euros et à la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 26 décembre 2016 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
- le code de justice administrative.
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Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public,
- et les observations de Me F...B..., représentant les consorts A...et la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime.
1. Considérant que MmeA..., alors âgée de trente-six ans et souffrant de troubles gastriques et de douleurs, a été admise au centre hospitalier régional universitaire de Rouen pour y subir, le 8 mars 1974, une intervention chirurgicale pour une cholécystite aigue à l'occasion de laquelle une biopsie de la papille duodénale a été réalisée compte-tenu de la suspicion d'une tumeur ; qu'au vu des résultats de cet examen, l'intéressée a, le 24 mai 1974, subi une nouvelle intervention chirurgicale pour une duodénopancréatectomie ; qu'à la suite de la survenue de troubles digestifs et intestinaux sévères et d'une asthénie, Mme A...et son fils ont recherché la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Rouen ; que les consorts A...et la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Rouen du 29 janvier 2015 en tant qu'il a limité à 19 080 euros la somme que le centre hospitalier régional universitaire de Rouen a été condamné à verser à Mme A...en réparation de l'ensemble de ses préjudices, à 8 531,89 euros celle que le même centre hospitalier a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie et en ce qu'il a rejeté le surplus des conclusions de leurs demandes ; que le centre hospitalier régional universitaire de Rouen relève également appel du même jugement ;
Sur l'exception de prescription opposée par le centre hospitalier régional universitaire de Rouen :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis./ Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public " ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement " ; qu'aux termes de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, " les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage " ; qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 101 de la même loi, ces dispositions sont immédiatement applicables, en tant qu'elles sont favorables à la victime ou à ses ayants droit, aux actions en matière de responsabilité médicale qui n'étaient pas déjà prescrites à la date d'entrée en vigueur de la loi et qui n'avaient pas donné lieu, dans le cas où une action en responsabilité avait déjà été engagée, à une décision irrévocable ; que ces dernières prescriptions n'ont toutefois pas pour effet de relever de la prescription celles des créances qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, étaient prescrites en application de la loi du 31 décembre 1968 ; que, toutefois, faute pour le législateur d'avoir précisé les causes interruptives inhérentes au nouveau régime de prescription qu'il a institué, ces dispositions doivent s'entendre comme ne modifiant pas, pour les créances sur les collectivités publiques, les causes interruptives prévues par la loi du 31 décembre 1968 ;
3. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968 que la connaissance par la victime de l'existence d'un dommage ne suffit pas à faire courir le délai de la prescription quadriennale et que le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine du dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration ;
4. Considérant que le centre hospitalier soutient que Mme A...a été informée de l'erreur de diagnostic commise à la suite de l'analyse anatomo-pathologique pratiquée en 1974 dès le mois de juin de l'année en cause et que le délai de prescription a commencé à courir à compter du 1er janvier 1975 ; qu'il fait valoir, en tout état de cause, qu'en admettant même que l'intéressée n'ait pas été directement informée de cette erreur en 1974, elle l'a toutefois été en novembre 1991 après envoi d'une lettre du docteur Hivet à son confrère, le docteur Touchard, le 29 novembre 1991 et qu'ainsi, la prescription quadriennale était acquise lorsque cette dernière a intenté en juin 2012 une action contre lui ; que toutefois, si l'état de santé de Mme A...était consolidé depuis le 26 août 1976, il n'est pas établi que durant la période allant d'août 1976 à septembre 2005, date à laquelle les résultats d'une relecture des prélèvements de la biopsie réalisée le 8 mars ont été transmis au praticien devant pratiquer une coloscopie, que Mme A...aurait été en mesure de connaître les causes des troubles dont elle souffrait ou qu'elle aurait disposé d'indications suffisantes lui permettant d'imputer ces troubles à une faute du centre hospitalier régional universitaire de Rouen lors de sa prise en charge en 1974 ; que l'intéressée ne peut ainsi être regardée comme ayant eu connaissance de sa créance, au plus tôt, qu'à la date de septembre 2005 et qu'ainsi le délai de prescription a commencé à courir le 1er janvier 2006 pour une durée de dix ans ; qu'à la date du 29 juin 2012, à laquelle elle a adressé une réclamation préalable au centre hospitalier régional universitaire de Rouen invoquant sa responsabilité pour faute, la créance de Mme A...n'était pas prescrite ; que, par suite, l'exception de prescription opposée par le centre hospitalier régional universitaire de Rouen doit être écartée ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Rouen :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) " ;
6. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
7. Considérant qu'il résulte du rapport de l'expertise diligentée par le tribunal de grande instance de Rouen en date du 26 mars 2008 que MmeA..., opérée le 8 mars 1974 pour une ablation de la vésicule biliaire en raison de calculs douloureux, a subi lors de cette intervention une biopsie de la papille duodénale dont le résultat, établi le 25 mars 1974, a été celui d'un adéno-carcinome ; qu'à la suite de ce diagnostic, qui s'est révélé par la suite erroné, Mme A...a subi le 24 mai 1974 une nouvelle intervention consistant en une duodénopancréatectomie céphalique ; que si le chirurgien qui a procédé à l'ablation du pancréas n'a commis aucune faute dès lors que le laboratoire d'anatomo-pathologie avait posé un diagnostic de lésion cancéreuse qui impliquait à l'époque cette intervention, le diagnostic ainsi posé par un médecin inexpérimenté du laboratoire d'anatomo-pathologie était en réalité erroné, le chef du service ayant lui-même rectifié ce diagnostic dès le 7 juin 1974, soit très peu de temps après l'intervention, en excluant tout élément pouvant permettre d'établir l'existence d'un carcinome excreto-pancréatique ; que cette erreur d'interprétation, qualifiée de colossale par le chirurgien qui a procédé à l'opération, n'a pas été conforme aux données acquises de la science de 1974 et a conduit à une intervention inutile selon l'expert ; qu'elle a ainsi constitué une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier ; que la relecture des résultats de la biopsie à laquelle il a été procédé en septembre 2005 a confirmé cette erreur d'interprétation majeure et établi que Mme A...ne présentait ni un adéno carcinome, ni même une dysplasie qui constitue une lésion précancéreuse, mais seulement une lésion hyperplasique, soit une lésion réactionnelle aux remaniements inflammatoires de la muqueuse de l'Ampoule de Vater et de la papille ; que cette erreur a été à l'origine, en l'absence de toute autre erreur dans la prise en charge médicale de MmeA..., d'une perte de chance d'éviter le dommage qui lui est advenu ; que Mme A...ne présentant aucune lésion cancéreuse, ni précancéreuse, l'erreur de diagnostic commise a été à l'origine d'une perte de chance d'éviter le dommage à hauteur de 100 % ;
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux de Mme A...:
Quant aux dépenses de santé :
Sur les dépenses actuelles :
8. Considérant que la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime justifie, par le relevé de ses débours et une attestation d'imputabilité du médecin conseil, avoir pris en charge des frais médicaux et pharmaceutiques et des frais d'hospitalisation à compter du 1er juin 1979 qui sont en lien direct et certain avec la survenue du dommage subi par Mme A...en 1974 à la suite de l'erreur de diagnostic commise par le centre hospitalier régional universitaire de Rouen ; qu'il y a lieu de condamner cet établissement à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime la somme de 28 756,63 euros au titre de ce chef de préjudice ;
Sur les dépenses futures :
9. Considérant que la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime ne justifie pas suffisamment de sa demande concernant le suivi médical régulier de MmeA... ; qu'en revanche en ce qui concerne le traitement pharmaceutique que devra suivre en permanence MmeA..., elle justifie d'une dépense annuelle de 1 486,03 euros ; que compte tenu du point de rente chiffré à 11,805 tel qu'indiqué par la revue La Gazette du Palais en 2016 pour une femme de 78 ans, âge de l'intéressée à la date du présent arrêt, cette somme s'élève à 17 542,58 euros ; qu' il y a lieu d'allouer ladite somme à la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime ;
Quant à l'incidence professionnelle :
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que Mme A...a déclaré n'avoir jamais travaillé, ni avant, ni après l'intervention qu'elle a subie le 8 mars 1974 ; que dans ces conditions, MmeA..., qui n'établit pas avoir envisagé d'exercer une activité professionnelle, ne peut prétendre à une indemnisation au titre de l'incidence professionnelle qu'elle aurait subie du fait de son incapacité ;
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux de Mme A...:
Quant aux préjudices temporaires :
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
11. Considérant qu'il n'est pas contesté que l'état de santé de Mme A...a été consolidé le 26 août 1976 ; qu'il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise qu'entre le 24 mai 1974, date de l'intervention chirurgicale subie par Mme A...et le 26 août 1976, l'intéressée a subi un déficit fonctionnel temporaire total d'une durée de trois mois et un déficit fonctionnel temporaire partiel évalué à 25 % ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme A...au titre de son déficit fonctionnel temporaire total en l'évaluant à la somme de 4 900 euros ;
S'agissant des souffrances endurées :
12. Considérant que l'intensité des souffrances physiques endurées par Mme A...a été évaluée par les experts à 3,5 sur une échelle de 1 à 7 ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices qu'elle a ainsi subis en lui allouant une somme de 5 000 euros ;
Quant aux préjudices permanents :
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
13. Considérant qu'à la date de consolidation, fixée au 26 août 1976, MmeA..., âgée de 38 ans, conservait un déficit fonctionnel permanent fixé à 15 % selon les experts ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 22 500 euros ;
S'agissant des autres préjudices :
14. Considérant, d'une part, qu'il ressort du rapport d'expertise que Mme A...n'a pas mentionné de loisirs incompatibles avec ses troubles ; qu'elle n'apporte aucun élément justificatif établissant qu'elle exerçait régulièrement une activité sportive ou de loisirs permettant de justifier de la réalité du préjudice d'agrément dont elle demande la réparation ; que, d'autre part, il ressort du même rapport d'expertise que le préjudice esthétique de Mme A...doit être fixé à 1 sur une échelle de 7 ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 955 euros ; qu'enfin, il n'est pas contesté que Mme A...a subi d'importants troubles gastriques qui ont eu un retentissement sur sa libido ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant une somme de 1 680 euros ;
Sur le préjudice subi par M. G...A... :
15. Considérant que M. A...fait valoir qu'il a apporté à sa mère une assistance quotidienne pour ses soins corporels nécessités par les troubles digestifs majeurs de celle-ci et qu'il a été privé de la possibilité de suivre des études ; qu'il ne justifie, toutefois pas, par la seule attestation qu'il a lui-même établie et qui est insuffisamment circonstanciée, de la réalité et de l'étendue de son préjudice ; que, par suite, la demande d'indemnisation de M. A...doit être écartée ;
Sur les intérêts et la capitalisation :
16. Considérant, d'une part, que Mme A...et la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime sont fondées à demander le versement des intérêts à compter du 29 juin 2012, date de la demande préalable de MmeA..., pour les sommes dues à cette date et, pour les sommes dues ultérieurement à compter de leurs dates d'échéance ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 3 octobre 2012, date d'enregistrement de la requête au greffe du tribunal administratif ; qu'à la date du 29 juin 2013, il était dû au moins une année entière d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
17. Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...)" ;
18. Considérant qu'il y a lieu de porter le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions précitées à laquelle la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime a droit et qui lui a été allouée en première instance à la somme de 1 055 euros, telle que prévue par les dispositions de l'arrêté susvisé du 26 décembre 2016 ;
Sur les dépens :
19. Considérant que la présente instance n'a occasionné aucuns dépens au sens de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ; que, par suite, MmeA..., son fils et la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime ne sont pas fondés à demander qu'ils soient mis à la charge du CHRU de Rouen ;
20. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les consorts A...sont fondés à demander que l'indemnité totale mise à la charge du CHRU de Rouen par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, en réparation des préjudices subis par Mme A...en raison de l'erreur de diagnostic commise par le centre hospitalier d'un montant de 19 080 euros,soit portée à la somme de 35 035 euros ; que la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime est également fondée à demander que le montant de la somme mise à la charge du même centre hospitalier soit portée à la somme de 46 299,21 euros ; qu'il en résulte que le centre hospitalier régional universitaire de Rouen n'est pas fondé à demander la diminution des indemnités mises à sa charge ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
21. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Rouen, qui a la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts A...et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu de rejeter la demande présentée à ce titre par la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'indemnité mise à la charge du CHRU de Rouen par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Rouen du 29 janvier 2015 est portée à la somme de 35 035 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 29 juin 2012. Ces intérêts seront capitalisés à compter du 29 juin 2013, ainsi qu'à chaque échéance annuelle.
Article 2 : L'indemnité mise à la charge du CHRU de Rouen par l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Rouen du 29 janvier 2015 est portée à la somme de 46 299,21 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 29 juin 2012. Ces intérêts seront capitalisés à compter du 29 juin 2013, ainsi qu'à chaque échéance annuelle.
Article 3 : Le centre hospitalier régional universitaire de Rouen versera à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime la somme de 1 055 euros au titre des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 4 : Le centre hospitalier régional universitaire de Rouen versera une somme de 1 500 euros à Mme A...et à M. G...A...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 29 janvier 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts A...et de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime et la requête du centre hospitalier régional universitaire de Rouen sont rejetés.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I...A..., à M. G...A..., au centre hospitalier régional universitaire de Rouen et à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe-Seine-Maritime.
N°15DA00467,15DA00508 2