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04/05/2017 | FRANCE | N°16DA00421

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 04 mai 2017, 16DA00421


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Nord-Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 000 000 euros au titre des frais de remise en état de l'écluse Loubet du port de Boulogne-sur-Mer et, à titre subsidiaire, de nommer un expert judiciaire ayant pour mission d'établir le lien de causalité entre le défaut d'entretien de cet ouvrage par l'Etat et le préjudice subi résultant de la ruine de l'ouvrage.

Par un jugement n° 1301118 du 14 décembr

e 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de la région Nord-P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Nord-Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 000 000 euros au titre des frais de remise en état de l'écluse Loubet du port de Boulogne-sur-Mer et, à titre subsidiaire, de nommer un expert judiciaire ayant pour mission d'établir le lien de causalité entre le défaut d'entretien de cet ouvrage par l'Etat et le préjudice subi résultant de la ruine de l'ouvrage.

Par un jugement n° 1301118 du 14 décembre 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de la région Nord-Pas-de-Calais.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 février 2016, la région Nord-Pas-de-Calais, désormais dénommée région Hauts-de-France, représentée par la SELARL Latournerie, Wolfrom avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 000 euros sauf à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête par le tribunal ;

3°) en tout état de cause, d'ordonner une expertise afin de déterminer le montant des investissements consentis par l'Etat, de constater l'état de l'ouvrage avant et après le transfert, de déterminer l'étendue, l'origine et les causes des dommages et le coût de la réparation de l'ouvrage et de se prononcer sur les responsabilités ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en sus les dépens.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- l'Etat a manqué, avant le transfert de l'écluse Loubet, à son obligation d'entretien et de conservation de l'affectation de cette partie de son domaine public, fondée sur les articles L. 3111-1 et L. 2121-1 du code général des propriétés des personnes publiques, de telle sorte que les désordres qui l'affectent rendent désormais impossible l'utilisation de cet ouvrage conformément à son affectation ;

- cette faute a conduit à la minoration du volume d'investissements programmés, entrainant une minoration de la compensation financière qui lui a été accordée ;

- son consentement à la convention de transfert de ce bien a été vicié par les manoeuvres dolosives de l'Etat qui ne l'a pas suffisamment informée de la gravité du délabrement qui affectait l'écluse Loubet au moment de son transfert ;

- l'expertise est utile compte tenu de la technicité de l'ouvrage et de l'ampleur du dommage ;

- elle a la qualité de tiers ou, à défaut, d'usager d'un ouvrage public mal entretenu, qui lui a causé un dommage lorsque l'Etat en était propriétaire.

Par un mémoire, enregistré le 13 juin 2016, la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer a conclu au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des propriétés des personnes publiques ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 ;

- le décret n° 2005-1509 du 6 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public.

1. Considérant que, par une convention du 22 décembre 2006, établie en application du III de l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales et du décret du 6 décembre 2005 pris pour l'application de l'article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, l'Etat a transféré à la région Nord-Pas-de-Calais, désormais région Hauts-de-France, la propriété, l'aménagement, l'entretien et la gestion du port de Boulogne-sur-Mer à compter du 1er janvier 2007 ; qu'en avril 2011, l'écluse Loubet a subi une avarie au niveau du vantail aval sud ayant entraîné l'altération des organes de manoeuvre et mis en évidence son état de délabrement ; que la région, qui sollicite de l'Etat la réparation de ses préjudices ou, à tout le moins, la désignation d'un expert, relève appel du jugement du tribunal administratif de Lille qui a rejeté sa demande ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que le tribunal administratif, qui avait préalablement estimé au vu des moyens et des pièces dont il était saisi que la responsabilité de l'Etat n'était pas engagée, a pu, sans entacher son jugement d'irrégularité, rejeter implicitement mais nécessairement les conclusions de la région tendant à la désignation d'un expert à titre subsidiaire dès lors qu'il résultait nécessairement du jugement qu'une telle expertise, qui n'aurait pu en tout état de cause porter sur des questions de droit, était dépourvue d'utilité ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public :

3. Considérant qu'en cas de défaut d'entretien normal de l'ouvrage public, la responsabilité de la collectivité qui a la qualité de maître de l'ouvrage ne peut être recherchée que par la victime d'un dommage de travaux publics ; qu'à la date à laquelle le dommage est survenu, la région Nord-Pas-de-Calais n'avait pas la qualité de tiers ni celle d'usager de l'écluse Loubet ; qu'elle n'a pas davantage subi un dommage résultant de la présence ou du fonctionnement de cette écluse lorsque l'Etat en était propriétaire ; qu'ayant la qualité de maître d'ouvrage lors de la constatation de son délabrement, elle ne saurait rechercher, sur le fondement du défaut d'entretien normal, la responsabilité sans faute de l'Etat, dans les droits et obligations duquel elle a été substituée par application du III de l'article 30 de la loi du 13 août 2004, à compter du 1er janvier 2007 ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour défaut d'information :

4. Considérant qu'aux termes du I de l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : " La propriété, l'aménagement, l'entretien et la gestion des ports non autonomes relevant de l'Etat sont transférés, au plus tard au 1er janvier 2007 et dans les conditions fixées par le code des ports maritimes et au présent article, aux collectivités territoriales ou à leurs groupements dans le ressort géographique desquels sont situées ces infrastructures " ; qu'aux termes des deux premiers alinéas du III du même article : " Pour chaque port transféré, une convention conclue entre l'Etat et la collectivité territoriale ou le groupement intéressé, ou, à défaut, un arrêté du ministre chargé des ports maritimes dresse un diagnostic de l'état du port, définit les modalités du transfert et fixe sa date d'entrée en vigueur. / La collectivité ou le groupement bénéficiaire du transfert succède à l'Etat dans l'ensemble de ses droits et obligations à l'égard des tiers " ;

5. Considérant que l'annexe 3-1-1 à la convention de transfert du port de Boulogne-sur-Mer, négociée entre l'Etat et la région Nord-Pas-de-Calais et signée le 22 décembre 2006, comporte un état des lieux au moment de la cession dont il ressort que l'écluse Loubet, commandant l'accès 24h sur 24h au bassin Loubet selon des horaires de sassements prédéfinis et qui a été fréquentée par 12 474 navires en 2004, au cours de 5 627 mouvements, constitue un ouvrage mobile stratégique, fortement sollicité, devant faire l'objet d'attentions particulières dans son exploitation et ses opérations d'entretien ; qu'il est précisé que " la programmation des opérations de gros entretien doit respecter scrupuleusement le calendrier établi. Toute interruption de fonctionnement est très vite et très durement ressentie par les usagers et les entreprises qui vivent de la transformation du poisson (...) " ; que l'annexe 16 à cette même convention indique, au titre des opérations d'investissement en cours d'exécution, " l'amarrage de l'écluse Loubet " pour 500 000 euros, " le carénage de l'écluse Loubet " pour 960 430 euros, " le carénage de la porte aval de l'écluse Loubet " pour 200 000 euros et, au titre des travaux à prévoir avec un niveau de propriété 1, " la restauration du centre de commande, des terre-pleins de l'écluse Loubet et de l'éclairage du secteur " pour un budget de 600 000 euros avec la mention de ce que la consistance de ce projet reste à valider ; que la région avait par ailleurs été auparavant destinataire d'un dossier d'information détaillé sur l'état des ouvrages et dépendances du port le 28 décembre 2005, qui n'a, comme la convention de transfert et ses annexes, suscité aucune remarque, demande de complément d'information ou d'expertise de sa part ;

6. Considérant que la région qui avait ainsi connaissance, avant la cession de l'écluse Loubet, de la nécessité des travaux qu'il lui incomberait de prendre en charge après le transfert et de leur caractère urgent ne peut donc rechercher la responsabilité de l'Etat en invoquant l'insuffisance des informations fournies alors même qu'elle n'en a sollicité aucune supplémentaire ; qu'il ne résulte, par ailleurs, pas de l'instruction que l'Etat lui aurait dissimulé certaines informations quant à l'état de l'écluse Loubet et qu'il aurait cherché à l'induire en erreur en minorant le montant des investissements devant être réalisés ultérieurement ; que, notamment, si la note du directeur du service maritime des ports de Boulogne-sur-Mer et de Calais prévoit une enveloppe de 2 111 418 euros de travaux à réaliser sur l'écluse Loubet entre 1999 et 2009, il est constant qu'au moment du transfert de l'écluse, 1 660 430 euros de travaux avaient été engagés par l'Etat et 600 000 euros étaient prévus ; que, par suite, la région n'est pas fondée à soutenir que l'Etat aurait commis des manoeuvres dolosives à son encontre ni qu'il aurait commis une faute en lui fournissant des informations erronées concernant l'état réel de l'écluse Loubet ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour insuffisance de compensation financière :

7. Considérant que l'article L. 3111-1 du code général des propriétés des personnes publiques, qui pose le principe que les biens des personnes publiques sont inaliénables, et l'article L. 2121-1 du même code qui prévoit que les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l'utilité publique, ne créent pas à la charge de la personne publique propriétaire de l'ouvrage une obligation générale, qui ne saurait résulter que de dispositions législatives particulières ou de stipulations conventionnelles, de consacrer des investissements pour l'entretien d'un ouvrage ;

8. Considérant qu'aux termes de l'article 119 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : " Sous réserve des dispositions prévues au présent article et à l'article 121, les transferts de compétences à titre définitif inscrits dans la présente loi et ayant pour conséquence d'accroître les charges des collectivités territoriales ou de leurs groupements ouvrent droit à une compensation financière dans les condition fixées par les articles L. 1614-1 à L. 1614-7 du code général des collectivités territoriales. / Les ressources attribuées au titre de cette compensation sont équivalentes aux dépenses consacrées, à la date du transfert, par l'Etat, à l'exercice des compétences transférées, diminuées du montant des éventuelles réductions brutes de charges ou des augmentations de ressources entraînées par les transferts. / Le droit à compensation des charges d'investissement transférées par la présente loi est égal à la moyenne des dépenses actualisées, hors taxes et hors fonds de concours, constatées sur une période d'au moins cinq ans précédant le transfert de compétences " ;

9. Considérant que, s'agissant des ports maritimes, le décret du 6 décembre 2005, pris pour l'application de l'article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, fixe à dix ans la période prise en compte pour le calcul des dépenses ouvrant droit à compensation des charges d'investissement transférées ;

10. Considérant que, contrairement à ce qu'allègue la région, il ne résulte ni des dispositions citées aux deux points précédents, ni d'une autre disposition, ni d'aucun principe que l'Etat était légalement tenu de lui transférer des ouvrages portuaires parfaitement entretenus ou qui ne nécessiteraient aucun investissement nouveau ;

11. Considérant qu'à supposer que l'Etat ait délibérément réduit ses dépenses d'entretien ou qu'il ait renoncé à certains investissements lorsque le transfert du port de Boulogne-sur-Mer à la région Nord-Pas-de-Calais a été envisagé à partir de 2005, il ne résulte pas de l'instruction que cette circonstance a été, en l'espèce, de nature à réduire de manière significative le montant de la compensation financière qu'il devait lui verser dès lors notamment que celle-ci a été calculée à partir des dépenses engagées au cours des dix années qui ont précédé le transfert et donc en prenant en compte une période de temps qui a largement précédé cette hypothèse d'un transfert ; qu'en tout état de cause, le montant de la compensation a été fixé en connaissance de cause en application des dispositions législatives précitées ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de prescrire l'expertise sollicitée par la région Hauts-de-France, que celle-ci n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la région Hauts-de-France est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la région Hauts-de-France et à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.

Copie en sera adressée pour information au préfet du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 6 avril 2017 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.

Lu en audience publique le 4 mai 2017.

Le rapporteur,

Signé : A. FORT-BESNARDLe premier vice-président de la cour,

Président de chambre,

Signé : O. YEZNIKIAN

Le greffier,

Signé : C. SIRE

La République mande et ordonne à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Christine Sire

N°16DA00421 2


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