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02/03/2017 | FRANCE | N°15DA00423

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre - formation à 3 (bis), 02 mars 2017, 15DA00423


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Wauquiez Boats a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 janvier 2013 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, après avoir annulé la décision de l'inspecteur du travail et retiré sa décision implicite de rejet, a refusé l'autorisation de licencier M.C....

Par un jugement du 4 G...2015, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision du 23 janvier 2013 du mini

stre chargé du travail refusant d'accorder l'autorisation de licenciement sollici...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Wauquiez Boats a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 janvier 2013 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, après avoir annulé la décision de l'inspecteur du travail et retiré sa décision implicite de rejet, a refusé l'autorisation de licencier M.C....

Par un jugement du 4 G...2015, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision du 23 janvier 2013 du ministre chargé du travail refusant d'accorder l'autorisation de licenciement sollicitée.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 mars 2015, M. J...C..., représenté par Me F...G..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 4 G...2015 du tribunal administratif de Lille ;

2°) de rejeter la demande de la société Wauquiez Boats devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de la société Wauquiez Boats une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les faits qui lui sont reprochés relatifs à l'utilisation non conforme de ses heures de délégation ne sont pas établis ;

- il a quitté son poste plus tôt le 25 mai pour se rendre à l'inspection du travail tout en " badgeant " à la pointeuse ;

- en tout état de cause, le doute doit profiter au salarié ;

- à supposer que les faits soient établis, ils ne présentent pas un caractère suffisamment grave pour justifier un licenciement ;

- il n'est ni démontré, ni allégué par l'entreprise l'existence d'un trouble objectif à son fonctionnement en raison de l'utilisation supposée frauduleuse de ses heures de délégation ;

- la procédure de licenciement est en lien avec l'exercice de ses mandats de représentant du personnel et son appartenance syndicale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2016, la société Wauquiez Boats, représentée par Me A...B...conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- si le ministre en charge du travail a pu considérer qu'un départ anticipé d'une heure ne présentait pas une gravité suffisante pour justifier le licenciement, il a commis une erreur sur les faits d'utilisation non conforme des heures de délégation par M.C... ;

- l'administration aurait dû l'inviter à fournir des attestations écrites des salariés et vérifier le contenu de leurs affirmations des salariés en les interrogeant ;

- M. C...a été reconnu comme ayant fait une utilisation abusive et frauduleuse des heures de délégation et détourné la finalité de son mandat au profit de son intérêt personnel, par une décision de justice passée en force de chose jugée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Nizet, président-assesseur,

- les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public,

- les observations de Me E...H..., représentant M.C....

1. Considérant que M. C... est employé depuis 2004 en qualité d'accastilleur au sein de la société Wauquiez Boats ; qu'il est membre titulaire de la délégation unique du personnel et membre titulaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, depuis le mois d'avril 2010 ; que, par un courrier du 20 juillet 2012, la société a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. C...pour faute aux motifs de l'utilisation non conforme de ses heures de délégation les 29, 30 et 31 mai 2012 et les 1er , 4 et 5 juin 2012 et de son départ de l'entreprise le 25 mai 2012 avant 15 h 40, au lieu de 16 h 30, sans " badger ", ni informer la société de son départ, ni justifier d'une demande de départ anticipé ; que, par une décision du 13 août 2012, l'inspecteur du travail a refusé cette autorisation pour un motif tiré de ce que la procédure de licenciement était entachée d'un vice de procédure ; que, par une décision du 23 janvier 2013, le ministre chargé du travail a retiré la décision implicite de rejet consécutive au recours hiérarchique dont il était saisi, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et a refusé l'autorisation de licencier M. C... ; que ce dernier relève appel du jugement du 4 G...2015 par lequel le tribunal administratif de Lille, à la demande de la société Wauquiez Boats, a annulé pour excès de pouvoir la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social refusant son licenciement ;

2. Considérant que, par un jugement du conseil de prud'hommes en date du 16 avril 2013, M. C... a été condamné à verser à la société Wauquiez Boats une somme de 392,04 euros au titre de ses absences injustifiées des 29, 30 et 31 mai 2012 ; que par un arrêt en date du 10 décembre 2013 de la chambre sociale de la cour d'appel de Douai, cette condamnation a été confirmée, M. C...étant condamné, en outre, à verser à son employeur une somme de 392,64 euros au titre des heures de délégation payées à tort les 1er, 4 et 5 juin 2012 ; que, toutefois, ces décisions ne sont pas revêtues de l'autorité de la chose jugée à l'égard du juge administratif, dès lors, que les parties en présence à l'instance ne sont pas identiques à celles présentes dans les instances devant la juridiction civile, notamment concernant l'Etat, absent devant cette juridiction ;

3. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale ; qu'un agissement du salarié intervenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un acte ou un comportement du salarié survenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail, notamment dans le cadre de l'exercice de ses fonctions représentatives, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits en cause sont établis et de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...a été autorisé, le 23 mars 2012, à prendre quatre jours de congés entre le 8 juin et le 13 juin 2012 ; qu'il a également obtenu, le 25 mai 2012, l'autorisation de bénéficier de congés les 6 et 7 juin 2012 ; qu'enfin, l'intéressé a déclaré à son employeur être en heures de délégation pour les journées des 29, 30 et 31 mai 2012 puis le 1er juin 2012, les 4 juin et 5 juin 2012 ; que, pour justifier avoir utilisé de manière conforme ses heures de délégation en étant présent au sein de son syndicat entre le 29 mai et le 5 juin, M. C...a d'abord produit une attestation du 19 juin 2012 du service juridique de l'union départementale des syndicats du Nord Force ouvrière, se bornant à indiquer que le salarié était présent dans ses locaux, au cours des mois de mai et de juin 2012 ; que cette attestation est insuffisamment précise pour établir la réalité de l'utilisation de ses heures de délégation entre le 29 mai et le 5 juin 2012 ; que, toutefois, il a également produit des attestations signées du secrétaire de l'union locale des syndicats Force ouvrière de Tourcoing certifiant qu'il a participé à des réunions le 29 mars 2012, le 30 mai 2012 et le 31 mars 2012, puis le 1er juin 2012, le 4 juin 2012 et le 5 juin 2012, ainsi que des attestations concernant sa présence pendant la journée du 28 mai 2012 ainsi que les 11, 12 et 13 juin alors même qu'il est constant, au demeurant, qu'il était en congés à ces trois dates ; qu'il résulte de l'examen de ces attestations que M. C...justifie de l'emploi de ses heures de délégation hormis pour le 29 mai et le 31 mai 2012, sans qu'il puisse sérieusement soutenir que les attestations intéressant les 29 et 31 mars seraient entachées d'une erreur de plume et porteraient en fait sur le mois de mai ; que, dès lors, l'utilisation non conforme des heures de délégation de M. C... doit être considérée comme établie pour les deux jours du mois de mai précités ;

5. Considérant, qu'ainsi qu'il a été dit au point précédent, M. C...ne justifie pas de l'emploi des heures de délégation qu'il a utilisées les 29 et 31 mai 2012 ; que toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette utilisation non conforme et limitée de ses heures de délégation soit de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, eu égard à la nature de ses fonctions et à l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé ; que ce comportement du salarié, intervenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail ne méconnaît pas une obligation découlant de ce contrat ; que, dans ces conditions, M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a estimé que ces faits étaient de nature à justifier son licenciement ;

6. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Wauquiez Boats devant le tribunal administratif ;

7. Considérant qu'en application de l'article R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat " ; que le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation ; que, s'il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire ni d'aucun principe que le ministre soit tenu de procéder à une enquête contradictoire au sens de l'article R. 2421-11 précité du code du travail, il en va autrement lorsque l'inspecteur du travail n'a pas lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire ;

8. Considérant que, contrairement à ce que fait valoir la société Wauquiez Boats, il n'appartenait pas à l'inspecteur du travail, dans le cadre de son enquête contradictoire qui s'est tenue le 2 août 2012, d'inviter l'employeur à produire des attestations écrites de la part de ses salariés sur les faits d'utilisation non conforme des heures de délégation de M.C... ;

9. Considérant qu'il ressort du rapport de l'inspecteur du travail que ce dernier n'a pas entendu de salariés de l'entreprise au motif tiré de ce qu'une majorité de salariés, au nombre de ceux affectés dans le service de M.C..., était déjà en congé lors de l'enquête et que l'entreprise fermait pour congés annuels à compter du 3 août 2012 ; que la société fait valoir que trois salariés étaient toujours en activité le 2 août 2012, ainsi qu'il ressort de la liste des salariés de l'entreprise en congés ; que, toutefois, il ne ressort pas de la demande d'autorisation initiale que l'employeur aurait fait état de noms de salariés susceptibles de corroborer ses allégations quant au voyage à l'étranger de M.C... ; que l'employeur n'a pas davantage produit, à l'occasion de son recours hiérarchique, des attestations écrites de salariés pouvant confirmer l'annonce d'un voyage en avion au cours de la période d'absence litigieuse de M.C... ; qu'il ressort seulement du rapport de l'inspecteur du travail que l'employeur lui a indiqué les noms de M. D...et de MmeI... ; que M. D...était en congé le 2 août ; que, si Mme I...aurait pu effectivement être entendue à cette date, la seule circonstance qu'elle ne l'ait pas été n'est pas à elle seule de nature à vicier l'enquête menée par l'autorité administrative dès lors qu'il appartenait à l'employeur d'apporter des éléments suffisamment concrets et circonstanciés pour établir les faits reprochés ;

10. Considérant que, si le second grief consistant à avoir quitté plus tôt son poste de travail le 25 mai 2012 sans " badger " ni informer sa hiérarchie est fautif, le cumul de cette seconde faute avec l'utilisation non conforme des heures de délégations par M. C...n'est pas suffisant pour justifier un licenciement ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 23 janvier 2013 du ministre chargé du travail refusant son licenciement ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la société Wauquiez Boats une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 4 G...2015 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Wauquiez Boats devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : La société Wauquiez Boats versera à M. C...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. J...C...et à la société Wauquiez Boats.

Copie sera adressée au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Délibéré après l'audience publique du 9 G...2017 à laquelle siégeaient :

- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,

- M. Olivier Nizet, président-assesseur,

- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 mars 2017.

Le rapporteur,

Signé : O. NIZET Le président de chambre,

Signé : P-L. ALBERTINI Le greffier,

Signé : I. GENOT

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Isabelle Genot

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N°15DA00423

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 15DA00423
Date de la décision : 02/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Olivier Nizet
Rapporteur public ?: M. Habchi
Avocat(s) : SCP LEVY ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2017-03-02;15da00423 ?
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