Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G...E...a demandé au tribunal administratif d'Amiens :
- d'annuler pour excès de pouvoir les décisions des 3 juin et 9 octobre 2008 et du 24 décembre 2010 par lesquelles le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa tentative de suicide survenue le 11 juin 2007 ;
- de faire injonction, sous astreinte, à l'administration pénitentiaire de prendre une nouvelle décision reconnaissant cette imputabilité ;
- conjointement avec son épouse, Mme F...E..., de condamner l'Etat à verser à M. G...E...une somme de 25 000 euros, à Mme F...E...une somme de 15 000 euros et aux épouxE..., pris en leur qualité de représentants légaux de leurs fils mineurs C...etD..., une somme de 15 000 euros en réparation de leur préjudice moral.
Par un jugement nos 1001079, 1001086, 1001112, 1100917 du 11 janvier 2013, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande de l'intéressé dirigée contre la décision du 9 octobre 2008, qui avait été rapportée par la décision du 24 décembre 2010 ayant le même objet, et l'irrecevabilité de la demande dirigée contre l'acte non décisoire du 3 juin 2008 notifiant l'avis de la commission de réforme, a rejeté les autres demandes de M. et MmeE....
Par un arrêt n° 13DA00395 du 3 octobre 2013, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. E...contre ce jugement.
Par une décision n° 373821 du 30 décembre 2015, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 3 octobre 2013 et lui a renvoyé l'affaire pour qu'il y soit statué.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 mars 2013 et le 6 avril 2016, M. E..., représenté par Me B...A..., a demandé à la cour :
1°) d'annuler le jugement du président du tribunal administratif d'Amiens du 11 janvier 2013 et la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille du 24 décembre 2010 ;
2°) de faire droit, le cas échéant après expertise avant dire-droit, aux demandes indemnitaires présentées en première instance, dans son intérêt, celui de son épouse et ceux de leurs enfants mineurs ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs ;
- sa tentative de suicide est imputable au service, aucune faute de nature à détacher cet évènement de celui-ci n'étant susceptible d'être retenue à son encontre ;
- la responsabilité sans faute de l'administration est, par suite, engagée ;
- l'illégalité de la décision en litige refusant de reconnaître cette imputabilité et l'irrégularité de l'enquête interne sont constitutives de fautes de nature à engager la responsabilité de l'administration à son égard.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2013, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- les conclusions indemnitaires présentées par M. E...au nom de son épouse sont irrecevables ;
- la tentative de suicide commise par M. E...n'est pas imputable au service, mais aux seuls agissements que l'intéressé a commis dans le cadre de ses fonctions et dont il a reconnu la réalité ;
- l'enquête interne diligentée par le directeur de son ancien établissement d'affectation avait seulement pour but d'entendre les explications de l'intéressé et n'a donné lieu à aucune poursuite disciplinaire ;
- la responsabilité de l'Etat n'est pas susceptible d'être engagée à l'égard de M.E....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public.
1. Considérant que M.E..., surveillant des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, affecté au centre de détention de Villenauxe-la-Grande (Aube) à compter de juillet 1990, où il était en charge de la gestion du mess depuis 1999, puis muté à sa demande, à compter du 3 juillet 2006, au centre pénitentiaire de Château-Thierry (Aisne), a tenté de se suicider à son domicile le 11 juin 2007 après que sa gestion du mess eut été mise en cause par le directeur de son précédent établissement d'affectation au cours d'entretiens qui ont eu lieu les 6, 7 et 11 juin 2007 ; que, par une décision du 24 décembre 2010 faisant suite à l'avis défavorable de la commission de réforme du 6 novembre 2007, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lille a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la tentative de suicide du 11 juin 2007 ; que, M. E...ayant relevé appel du jugement du 11 janvier 2013 du président du tribunal administratif d'Amiens, en tant qu'il a rejeté les conclusions de ses demandes tendant à l'annulation de cette décision du 24 décembre 2010 et à la réparation des préjudices subis par lui-même, son épouse et leurs enfants mineurs, la cour administrative d'appel de Douai a, par un arrêt du 3 octobre 2013, confirmé ce jugement, en estimant que la tentative de suicide de M. E..., imputable à un fait personnel, n'avait pas eu pour cause déterminante des circonstances tenant au service ; que, par une décision du 30 décembre 2015, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt, au motif qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, si la tentative de suicide de M. E...présentait un lien direct avec le service, la cour avait commis une erreur de droit ; que, par la même décision, le Conseil d'Etat a renvoyé l'affaire à la cour pour qu'il y soit statué ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'une contradiction de motifs affecte le bien-fondé d'une décision juridictionnelle et non sa régularité ; qu'ainsi, M. E...ne critique pas utilement la régularité du jugement dont il relève appel en invoquant une telle contradiction, à supposer même celle-ci établie ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 24 décembre 2010 :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions (...) / (...) si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite (...) " ; qu'il résulte de l'article 13 du décret du 14 mars 1986 que l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident est appréciée par l'administration, qui doit consulter la commission de réforme avant de refuser de reconnaître cette imputabilité ;
4. Considérant qu'un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d'un accident de service ; qu'il en va ainsi lorsqu'un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en l'absence de circonstances particulières le détachant du service ; qu'il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct avec le service ; qu'il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment d'un rapport adressé au directeur régional des services pénitentiaires de Dijon le 11 juin 2007 par le directeur du centre de détention de Villenauxe-la-Grande, qu'au terme d'investigations opérées auprès de fournisseurs du mess de cet établissement afin d'éclaircir certaines mentions portées sur leurs factures, il est apparu, d'une part, que des cartes de fidélité avaient été établies par ceux-ci au nom de l'épouse de M. E..., d'autre part, que ce dernier et sa famille avaient bénéficié auprès de ces fournisseurs d'avantages pécuniaires résultant de l'usage de ces cartes à l'occasion d'achats opérés par le mess, enfin, que l'intéressé a effectué, pour son compte ou celui de collègues de travail, et même pour le compte d'un tiers, des achats personnels débités sur la caisse du mess, qui ont fait ensuite l'objet de remboursements n'ayant pas systématiquement été enregistrés sur les livres comptables et portant sur des montants ne correspondant pas toujours à celui de ces achats ; que ce même rapport rend compte des éléments d'explication qui ont été apportés par M. E... à l'occasion de ses entretiens avec le directeur de son ancien établissement d'affectation les 6, 7 et 11 juin 2007, au cours desquels l'intéressé a reconnu ces faits, tout en niant avoir eu l'intention de détourner des sommes ou des marchandises à son profit ; que, dans ces conditions, si les pièces du dossier révèlent que M. E...a tenté de mettre fin à ses jours peu de temps après son retour à son domicile à l'issue du dernier de ces entretiens et si le message qu'il a laissé à ses proches révèle que l'intéressé, très affecté par l'enquête interne mise en oeuvre au sujet de sa gestion, ne parvenait pas à supporter " l'idée d'être pris pour un voleur ", le comportement qu'il a adopté dans le cadre de sa précédente affectation, qui, loin de procéder de l'exercice normal de ses fonctions de gestionnaire du mess, constituait une méconnaissance des devoirs de probité et d'exemplarité incombant à tout fonctionnaire, a présenté, alors même qu'il n'a donné lieu à aucune poursuite pénale, ni disciplinaire, le caractère d'une faute de nature à détacher son geste du service ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
6. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit au point 5, d'une part, que M. E... ne peut prétendre, sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'administration, au versement d'une indemnité en réparation du préjudice moral dont il fait état et, d'autre part, que la décision contestée du 24 décembre 2010 n'est entachée d'aucune illégalité constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration à son égard ; que si M. E... soutient, en outre, que les modalités, qu'il estime irrégulières, suivant lesquelles l'enquête interne afférente à sa gestion du mess du centre de détention de Villenauxe-la-Grande a été conduite étaient constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration, il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le premier juge, d'écarter ce moyen ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice, ni de prescrire la mesure d'expertise sollicitée, laquelle serait frustratoire, que M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 11 janvier 2013, le président du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ; que les conclusions qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G...E...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience publique du 22 septembre 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 6 octobre 2016.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. PAPIN Le président de chambre,
Signé : P.-L. ALBERTINI Le greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Isabelle Genot
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N°16DA00024