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06/10/2016 | FRANCE | N°14DA01841

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre - formation à 3, 06 octobre 2016, 14DA01841


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...C...a demandé au tribunal administratif de Rouen, en sa qualité d'ayant droit de son mari M. F...C...décédé le 25 février 2010, d'annuler la décision du 17 mai 2013 du ministre de la défense rejetant sa demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1203731 du 30 septembre 2014, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure

devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 novembre 2014, MmeC..., représentée ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...C...a demandé au tribunal administratif de Rouen, en sa qualité d'ayant droit de son mari M. F...C...décédé le 25 février 2010, d'annuler la décision du 17 mai 2013 du ministre de la défense rejetant sa demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1203731 du 30 septembre 2014, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 novembre 2014, MmeC..., représentée par Me E... H..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 30 septembre 2014 du tribunal administratif de Rouen ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir, la décision du 17 mai 2013 du ministre de la défense ;

3°) d'enjoindre au ministre de la défense de saisir le comité indemnisation des victimes des essais nucléaires pour qu'il procède à l'évaluation des préjudices imputables à la maladie radio-induite dont était atteint son mari.

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la surveillance sanitaire de son mari a été insuffisante, il n'était pas protégé du risque de contamination interne ;

- le ministre de la défense n'établit pas la preuve de l'existence d'un risque négligeable attribuable aux essais nucléaires ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2016, le ministre de la défense, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C...ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public,

- et les observations de Me A...D..., représentant MmeC....

1. Considérant que M. F...C..., né en 1946, engagé dans la Marine nationale en 1962, a servi en qualité de navigateur manoeuvrier sur le bâtiment-base Maine du 10 juin 1965 au 1er avril 1967 puis du 5 avril au 10 août 1967 sur le bâtiment-base Médoc ; que durant cette période d'affectation en Polynésie française, six essais nucléaires atmosphériques ont été effectués en 1966 et trois essais nucléaires atmosphériques en 1967 ; que M. C...est décédé le 25 février 2010 d'un cancer de la vessie et d'un cancer du poumon ; que par une décision du 17 mai 2013, le ministre chargé de la défense a, sur recommandation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, rejeté la demande d'indemnisation de Mme C..., son épouse ; que celle-ci relève appel du jugement du 30 septembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ladite décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. " ; qu'aux termes de l'article 4 de cette loi : " I. - Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, (...) / V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé./ " ; qu'aux termes de l'article 7 du décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 en vigueur à la date de la décision contestée : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. / Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique (...)" ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;

4. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

5. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...a été affecté durant la campagne de tirs de l'année 1966 sur le bâtiment-base Maine où il exerçait les fonctions de navigateur-manoeuvrier ; que celui-ci, lors de l'essai Aldébaran du 2 juillet 1966, était en transit maritime à près de 720 kilomètres au nord-ouest de Mururoa ; que les retombées consécutives à cet essai ont eu lieu vers l'est-sud-est et n'ont pas concerné ce navire ; que lors de l'essai Tamouré du 19 juillet 1966, il était stationné à Hao, à plus de 520 kilomètres du point zéro situé en mer à l'est de Mururoa ; que les retombées consécutives à cet essai ont eu lieu vers l'est et n'ont concerné ni l'atoll de Hao, ni ce navire ; que lors de l'essai Bételgeuse du 11 septembre 1966, le bâtiment était toujours stationné à Hao, à 460 kilomètres du point zéro situé à Mururoa ; que les retombées consécutives à cet essai ont eu lieu vers l'est et n'ont concerné ni l'atoll de Hao, ni ce bâtiment ; que lors de l'essai Rigel du 24 septembre 1966, ce navire était situé à 65 kilomètres du point zéro situé à Fangataufa ; que les retombées consécutives à cet essai ont eu lieu vers l'est et n'ont pas davantage concerné l'atoll de Hao et ce navire ; que lors de l'essai Sirius du 4 octobre 1966, le bâtiment était situé à plus de 100 kilomètres au sud-ouest du point zéro ; que les retombées consécutives à cet essai ont eu lieu vers l'est de l'atoll et n'ont pas concerné le bâtiment-base Maine ; que, s'il est constant que trois essais nucléaires atmosphériques ont eu lieu durant la campagne de tirs de l'année 1967, l'essai Altair le 5 juin 1967, l'essai Antarès le 22 juin 1967 et l'essai Acturus le 2 juillet 1967, il ressort toutefois des pièces du dossier que le bâtiment-base Médoc sur lequel M. C...était affecté depuis le 1er avril 1967 avait quitté Mururoa le 5 mai 1967 pour rejoindre Papeete situé à 1 250 kilomètres ; qu'il a ensuite quitté Papeete le 15 mai 1967 pour rallier Bordeaux le 6 juillet 1967 ; que M. C...n'a donc pas participé à la campagne de tirs de l'année 1967 ;

6. Considérant, d'autre part, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C...ait été affecté à un poste de travail particulièrement exposé au plan radiologique lors de la campagne de tirs de l'année 1966 ; qu'en outre, il a bénéficié d'une surveillance dosimétrique individuelle pour les périodes du 1er août au 11 octobre 1966, de novembre 1966 au 4 janvier 1967, puis du 1er février 1967 au 3 mai 1967 ; que le relevé d'exposition interne établi le 24 mars 2011, fait apparaitre que la dose de rayonnement relevé sur l'intéressé à sept reprises au moyen de dosimètres externes était égale à 0 millisievert ; que, conformément à sa méthodologie, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a toutefois forfaitairement attribué une dose de 1,4 millisievert à M.C..., à raison de 0,2 millisievert pour chacun des sept dosimètres ; que le relevé de dosimétrie interne réalisé le 22 août 1966 par anthroporadiométrie a donné un résultat normal ; que dès lors, le moyen de MmeC..., tiré de l'insuffisante surveillance sanitaire de son mari qui n'aurait pas été protégé du risque de contamination interne, doit être écarté ;

7. Considérant que le calcul de probabilité causale, effectué conformément aux dispositions de l'article 7 du décret précité n° 2010-653 du 11 juin 2010, s'appuie sur la méthodologie recommandée par l'Agence internationale de l'énergie atomique ; que ses critères ne méconnaissent pas les dispositions de la loi et permettent, sur ce fondement, d'établir le cas échéant, le caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie dont a souffert l'intéressé ; que, concernant M.C..., ce calcul de probabilité causale a été évalué à 0,10 % ; qu'il est donc très inférieur au taux de 1 % permettant de considérer le risque comme négligeable au sens des dispositions du II de l'article 4 de la loi du n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ; que dès lors, le moyen de MmeC..., tiré de ce que le ministre de la défense n'établirait pas la preuve de l'existence d'un risque négligeable attribuable aux essais nucléaires doit être écarté ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui tout précède que Mme C...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 30 septembre 2014, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ; que ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...G...veuve C...et au ministre de la défense.

Délibéré après l'audience publique du 22 septembre 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,

- M. Olivier Nizet, président-assesseur,

- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.

Lu en audience publique le 6 octobre 2016.

Le rapporteur,

Signé : J.-J. GAUTHÉLe président de chambre,

Signé : P.-L. ALBERTINI

Le greffier,

Signé : I. GENOT

La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Isabelle Genot

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N°14DA01841

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14DA01841
Date de la décision : 06/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-08 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Jean-Jacques Gauthé
Rapporteur public ?: M. Habchi
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-10-06;14da01841 ?
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