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06/10/2016 | FRANCE | N°14DA00571

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre - formation à 3, 06 octobre 2016, 14DA00571


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public,

- et les observations de Me A...D..., représentant M.C....

1. Considérant que M.C..., né en 1952, engagé en 1969 dans l'Armée

de l'air, a servi en tant que sergent, mécanicien à l'escadron Loire stationné sur l'atoll de Hao, à la base aérienne 185,...

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public,

- et les observations de Me A...D..., représentant M.C....

1. Considérant que M.C..., né en 1952, engagé en 1969 dans l'Armée de l'air, a servi en tant que sergent, mécanicien à l'escadron Loire stationné sur l'atoll de Hao, à la base aérienne 185, du 11 février 1974 au 12 novembre 1974 ; que durant sa période d'affectation en Polynésie française, neuf essais nucléaires atmosphériques ont été effectués entre le 16 juin 1974 et le 14 septembre 1974 ; que M.C..., qui est atteint d'un cancer de l'oesophage, a saisi le ministre de la défense d'une demande d'indemnisation ; que par une décision du 4 octobre 2011, le ministre de la défense a, sur recommandation du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, rejeté sa demande d'indemnisation ; que M. C...relève appel du jugement du 4 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ladite décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. " ; qu'aux termes de l'article 2 de cette loi dans sa rédaction en vigueur à la date de à la décision contestée : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. " ; qu'aux termes de l'article 4 de cette loi : " I. - Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, (...) / V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé. / ; qu'aux termes de l'article 7 du décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 en vigueur à la date de la décision contestée : " La présomption de causalité prévue au II de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée bénéficie au demandeur lorsqu'il souffre de l'une des maladies radio-induites mentionnées à l'annexe du présent décret et qu'il a résidé ou séjourné dans l'une des zones définies à l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 susvisée et à l'article 2 du présent décret. Cette présomption ne peut être écartée que si le risque attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable au regard de la nature de la maladie et des conditions de l'exposition aux rayonnements ionisants. / Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique (...)" ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;

4. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

5. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...a été affecté à Hao durant la campagne des neuf tirs de l'année 1974, entre avril et octobre 1974, à la maintenance au sol des chasseurs bombardiers Vautour de l'escadron Loire chargés d'opérer, après les essais nucléaires, des prélèvements au moyen de filtres dans le nuage nucléaire ; que ses fonctions étaient exercées dans la zone de décontamination des avions de la base aérienne de Hao et s'effectuaient en combinaison nucléaire-biologique-chimique sur laquelle était enfilée une combinaison caoutchouc et un masque ; que ses fonctions l'amenaient à entrer en contact direct avec des avions contaminés venant d'effectuer des prélèvements nucléaires ; qu'il a donc été exposé à un risque particulier d'irradiation et de contamination interne ;

6. Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...a bénéficié d'une surveillance dosimétrique au moyen de huit dosimètres individuels en mars 1974, avril 1974, mai 1974, juin 1974, juillet 1974, août 1974, septembre 1974 et octobre 1974, à l'issue de laquelle un bilan global d'exposition au rayonnement de 4,8 millisieverts a été retenu ; que si le relevé des deux dosimétries internes réalisées en août 1974 par anthroporadiométrie ont donné un résultat normal, l'examen radiotoxicologie des urines, réalisé le 23 octobre 1974 dans le cadre de la visite médicale de départ, a révélé une contamination interne au cérium 144 ; que le ministre de la défense reconnaît dans son mémoire du 11 avril 2016 que cette donnée n'a pas été prise en compte dans le calcul de probabilité ayant conduit à la décision contestée du 4 octobre 2011 ; que celle-ci est donc fondée sur des éléments incomplets et matériellement inexacts ; que M. C...est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'annulation de la décision du ministre de la défense du 4 octobre 2011 ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 4 février 2014, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service privé prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service privé prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé " ; qu'aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet " ;

9. Considérant qu'eu égard aux motifs de la présente décision, l'exécution de celle-ci impliquerait normalement le renvoi de M. C...devant le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et devant le ministre de la défense, afin de procéder à l'évaluation de son préjudice ; que toutefois, il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi, sur le fondement de ces dispositions, de conclusions tendant à ce que soit prescrite une mesure d'exécution, de statuer sur ces conclusions en tenant compte de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision ; qu'il résulte de l'instruction que le ministre de la défense a procédé à une nouvelle instruction du dossier de M. C...en pren ant en compte la présence de cérium 144 dans la radiotoxicologie urinaire de l'intéressé effectuée le 23 octobre 1974 et a réévalué à 12,6 millisieverts son niveau d'exposition aux rayons ionisants ; que le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires a de nouveau refusé de proposer une indemnisation, le ministre de la défense rejetant ensuite par une décision du 24 juillet 2015 la demande d'indemnité de M. C... ; que cette nouvelle décision fait obstacle à ce qu'il soit enjoint au ministre de la défense et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de procéder à l'évaluation du préjudice de M.C... ; que, par suite, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstance de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C...et non compris dans les dépens et celle de 35 euros au titre des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 4 février 2014 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La décision du 4 octobre 2011 du ministre de la défense est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. C...est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à M. C...une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 35 euros en application des dispositions de l'article R. 761-1 de ce code.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C...et au ministre de la défense.

Délibéré après l'audience publique du 22 septembre 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,

- M. Olivier Nizet, président-assesseur,

- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.

Lu en audience publique le 6 octobre 2016

Le rapporteur,

Signé : J.-J. GAUTHÉLe président de chambre,

Signé : P.-L. ALBERTINILe greffier,

Signé : I. GENOT

La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Isabelle Genot

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N°14DA00571

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14DA00571
Date de la décision : 06/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-08 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service de l'armée.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Jean-Jacques Gauthé
Rapporteur public ?: M. Habchi
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-10-06;14da00571 ?
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