Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...D...a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler l'arrêté en date du 5 novembre 2014 par lequel le préfet de l'Eure a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, d'autre part, de faire injonction, sous astreinte, au préfet de l'Eure de lui délivrer un titre de séjour, à défaut, une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation, enfin de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Par un jugement n° 1501340 du 23 juin 2015, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 août 2015, M.D..., représenté par Me A...C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 23 juin 2015 et l'arrêté du préfet de l'Eure en date du 5 novembre 2014 ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Eure, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation après l'avoir mis en possession d'une autorisation provisoire de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, à titre principal, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à titre subsidiaire, sur celui de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le préfet ayant omis de consulter la commission départementale du titre de séjour, en méconnaissance de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière ;
- cette décision a été prise en méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- pour prendre cette décision, le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- cette même décision est contraire à l'intérêt supérieur de ses enfants, tel que protégé par le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'annulation de la décision de refus de séjour aura nécessairement pour effet de priver de base légale l'obligation de quitter le territoire français prise sur son fondement ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- pour prendre cette décision, le préfet de l'Eure a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- cette même décision est contraire à l'intérêt supérieur de ses enfants, tel que protégé par le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français aura nécessairement pour effet de priver de base légale la décision fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 septembre 2015, le préfet de l'Eure conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D...ne sont pas fondés.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 août 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Sur la légalité du refus de séjour :
1. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / (...) " et qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories (...) qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) " ;
2. Considérant que M.D..., ressortissant de la République démocratique du Congo, qui serait entré sur le territoire français en août 2008, fait état de ce qu'il entretient une relation avec une compatriote titulaire d'une carte de séjour temporaire en cours de validité et de ce que deux enfants sont nés de leur union, le 2 septembre 2012 et le 21 août 2014 ; que, toutefois, l'intéressé, n'apporte aucun élément de nature à attester de l'existence d'une communauté de vie effective avec sa compagne, avec laquelle il est constant qu'il ne vit pas ; qu'en outre, ni les attestations établies par cette dernière et par le compatriote qui l'héberge, lesquels documents sont dépourvus de précisions circonstanciées, ni l'attestation émise par une directrice de halte-garderie, qui énonce seulement que l'intéressé est venu chercher son fils des mois de juin à août 2014, ni les autres attestations versées en dernier lieu au dossier et établies à des dates postérieures à celle de l'arrêté du 5 novembre 2014 en litige, ni même les photographies produites, ne peuvent suffire à permettre au requérant de justifier d'une contribution effective à l'éducation et à l'entretien de ces deux enfants ou des liens privilégiés qu'il entretiendrait avec ceux-ci ; qu'en outre, M. D... n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales proches dans son pays d'origine, où résident trois autres de ses enfants, nés d'une précédente union, et où il a lui-même habituellement vécu durant vingt-neuf ans ; qu'enfin, M. D..., qui a fait usage d'une carte d'identité portugaise contrefaite pour obtenir indûment une embauche et qui a au demeurant été condamné pour ces faits pas le juge pénal, ne peut se prévaloir d'efforts notables d'intégration à la société française ; que, dans ces conditions, eu égard aux conditions du séjour de l'intéressé, à en supposer même l'ancienneté établie, la décision du 5 novembre 2014 par laquelle le préfet de l'Eure a refusé de lui délivrer un titre de séjour n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cet acte a été pris ; que, dès lors, cette décision ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, dans ces conditions, le préfet de l'Eure n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressé ;
3. Considérant que le préfet n'est tenu de saisir la commission départementale du titre de séjour prévue par l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que du cas des personnes pouvant prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 du même code ; que dès lors qu'il résulte de ce qui précède que M. D...n'était pas dans une telle situation, le préfet de l'Eure n'a pas entaché de vice de procédure la décision de refus de séjour contestée en ne consultant pas cette commission ;
4. Considérant que, si l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permet à l'autorité préfectorale de délivrer, au titre de l'admission exceptionnelle au séjour, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " prévue à l'article L. 313-11 de ce code ou la carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité professionnelle prévue à l'article L. 313-10 de ce code à des ressortissants étrangers qui ne satisfont pas aux conditions requises pour prétendre à ces titres, cette faculté est toutefois subordonnée à la condition que l'admission au séjour du demandeur réponde à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir ;
5. Considérant qu'il est constant que M. D...n'a produit aucune promesse d'embauche, ni aucun contrat de travail au soutien de sa demande de titre de séjour, par laquelle il a notamment invoqué le bénéfice de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que s'il s'est prévalu de ce qu'il avait occupé successivement deux emplois salariés pendant une durée totale de deux années et a produit les bulletins de salaire correspondants, il admet lui-même n'avoir obtenu ces emplois qu'en ayant eu recours à une carte d'identité portugaise contrefaite ; que, d'ailleurs et comme le relève, dans les motifs de l'arrêté contesté, le préfet de l'Eure, qui a examiné la possibilité de délivrer à l'intéressé, dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour, une carte de séjour temporaire portant la mention " salariée ", au regard notamment des critères énoncés par la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012, il ne peut être formellement établi que la personnne qui a effectivement travaillé pour les sociétés émettrices de ces bulletins de salaire était bien M.D... ; que, par ailleurs, comme il a été dit au point 2, ce dernier ne justifie pas avoir constitué une vie familiale stable et intense sur le territoire français, ni ne peut se prévaloir d'une intégration notable à la société française, tandis qu'il n'est pas dépourvu d'attaches familiales proches dans son pays d'origine ; qu'ainsi, ni les éléments afférents à l'insertion professionnelle dont l'intéressé s'est prévalu, ni les circonstances d'ordre personnel et familial dont il a fait état n'étaient suffisantes à constituer des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels propres à justifier une admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il suit de là que, pour refuser de faire droit à la demande que M. D...avait formée à cette fin, le préfet de l'Eure, après avoir procédé à un examen suffisamment approfondi de cette demande, tant en ce qui concerne ses aspects personnels et familiaux que professionnels, n'a pas méconnu cette disposition, ni n'a commis une erreur manifeste d'appréciation ; que le requérant ne peut, à cet égard, utilement se prévaloir des prévisions de la circulaire du 28 novembre 2012, qui, si elles ont pu guider en l'espèce l'autorité préfectorale dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, ne s'imposaient pas à elle ;
6. Considérant qu'aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ; qu'il résulte de ces stipulations, qui peuvent utilement être invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions le concernant ; que ces stipulations sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation ;
7. Considérant qu'eu égard à ce qui vient d'être dit au point 2, s'agissant de l'absence de justification par M. D...d'une relation effective avec ses enfants et d'une contribution à l'entretien et à l'éducation de ceux-ci, il n'est pas établi que le préfet de l'Eure aurait porté, pour refuser de lui délivrer un titre de séjour, une attention insuffisante à l'intérêt supérieur de ces enfants, ni qu'il ait méconnu les stipulations sus-rappelées du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
8. Considérant qu'eu égard à ce qui vient d'être dit aux points 1 à 7, le moyen tiré de ce que la décision de refus de séjour serait entachée d'illégalités de nature à affecter la décision faisant obligation à M. D...de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté ;
9. Considérant que, pour les mêmes motifs que ceux respectivement énoncés aux 2 et 7, les moyens tirés, d'une part, de ce que la décision faisant obligation à M. D...de quitter le territoire français aurait été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé, d'autre part, de ce que, pour prendre cette décision, le préfet de l'Eure aurait porté une attention insuffisante à l'intérêt supérieur des enfants de l'intéressé, tel que protégé par le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, doivent être écartés ;
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
10. Considérant qu'eu égard à ce qui vient d'être dit aux points 8 et 9, le moyen tiré de ce que la décision faisant obligation à M. D...de quitter le territoire français serait entachée d'illégalités de nature à affecter la décision fixant le pays à destination duquel l'intéressé pourra être reconduit d'office ne peut qu'être écarté ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ; que ses conclusions à fin d'injonction assortie d'astreinte et celles tendant à l'application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...D...et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet de l'Eure.
Délibéré après l'audience publique du 17 décembre 2015 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 31 décembre 2015.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. PAPINLe président de chambre,
Signé : P.-L. ALBERTINI
Le greffier,
Signé : M.-T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°15DA01335
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