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06/10/2015 | FRANCE | N°15DA00238

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3, 06 octobre 2015, 15DA00238


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C...épouse D...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 19 juin 2014 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé le titre de séjour sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de quatre-vingt-dix jours et a fixé le pays de destination, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 eu

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C...épouse D...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 19 juin 2014 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé le titre de séjour sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de quatre-vingt-dix jours et a fixé le pays de destination, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou à défaut de lui délivrer dans un délai de huit jours une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 1403221 du 11 décembre 2014, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 février 2015, MmeD..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 11 décembre 2014 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 19 juin 2014 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de lui délivrer dans un délai de huit jours une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Lavail Dellaporta, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant que Mme C...épouseD..., ressortissante russe née le 4 octobre 1978, relève appel du jugement du 11 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 juin 2014 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé le titre de séjour sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de quatre-vingt-dix jours et a fixé le pays de destination ;

Sur le refus de séjour :

2. Considérant que la décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde ; qu'elle est dès lors suffisamment motivée ;

3. Considérant que si la requérante fait valoir qu'elle réside en France depuis deux ans et demi en compagnie de son mari et de ses enfants et qu'elle poursuit ses efforts d'intégration dans la société française, ces circonstances, de même que celle selon laquelle l'intéressée suivrait un traitement contre le diabète développé au cours de sa grossesse, ne constituent pas des motifs exceptionnels ou des considérations humanitaires d'admission au séjour au sens des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

4. Considérant que si la requérante fait valoir qu'elle est entrée en France le 22 décembre 2011 pour solliciter le statut de réfugiée, qu'elle demeure depuis lors sur ce territoire en compagnie de son époux de nationalité géorgienne et de ses deux enfants dont l'un est né en France le 29 septembre 2012 et, enfin, qu'elle était enceinte d'un troisième enfant à la date de l'arrêté attaqué, il ressort toutefois des pièces du dossier, d'une part, que l'époux de Mme D... se trouve également en situation irrégulière et fait l'objet d'une mesure d'éloignement, d'autre part, qu'elle ne justifie pas être dépourvue de toute attache familiale en Russie où résident sa mère ainsi que ses deux soeurs et où elle a elle-même vécu jusqu'à l'âge de 33 ans avant de rejoindre son époux en Géorgie ; que si elle soutient que son époux est d'une nationalité différente de la sienne, cette circonstance demeure sans incidence sur la légalité d'une décision de refus de séjour ou d'obligation de quitter le territoire français, seules les décisions fixant le pays de destination pouvant être contestées au motif qu'il existerait, du fait de la différence de nationalité, un risque de séparation du couple et des enfants dans deux pays distincts ; que, dans les circonstances de l'espèce, et eu égard tant à la durée qu'aux conditions de séjour en France de MmeD..., le préfet n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ; que, par suite, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont été méconnues ; qu'il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la décision attaquée serait, au cas particulier, entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de MmeD... ;

5. Considérant que la décision de refus de séjour qui n'a pas par elle-même pour effet de rompre l'unité de la famille n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant alors même que les enfants ne posséderaient pas la même nationalité que l'un de leurs parents ;

Sur l'obligation de quitter le territoire :

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à exciper à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français de l'illégalité du refus de séjour qui lui a été opposé ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...)10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé ; (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 511-1 du même code : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté dans les mêmes conditions que celles qui sont prévues aux deux premiers alinéas de l'article R. 313-22 " ; qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, dès lors qu'elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir qu'un étranger, résidant habituellement en France, présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie qu'elle prévoit des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité préfectorale doit, lorsqu'elle envisage de prendre une telle mesure à son égard, recueillir préalablement l'avis du médecin inspecteur de la santé publique ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme D...a mentionné dans son courrier du 22 mai 2014, à l'appui de sa demande d'admission exceptionnelle au séjour, attendre la naissance de son troisième enfant prévue au mois de juillet 2014, et avoir souffert lors de sa grossesse d'un diabète " gestationnel " ayant donné lieu à un suivi médical ; que le préfet a tenu compte de cette situation, dès lors que l'arrêté attaqué ne l'oblige à quitter le territoire français que dans un délai de quatre-vingt-dix jours ; que, dès lors, la décision attaquée n'a pas pour effet d'interrompre brutalement les soins prodigués dans le cadre du suivi de sa grossesse ; qu'en outre, le préfet n'était pas tenu de saisir le médecin de l'agence régionale de santé, en l'absence d'éléments particuliers permettant d'établir que Mme D...présentait un état de santé susceptible de la faire entrer dans la catégorie des étrangers ne pouvant faire l'objet d'une mesure d'éloignement ; qu'enfin, l'intéressée n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'elle serait dans l'impossibilité de bénéficier d'une prise en charge médicale dans son pays d'origine ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code précité doit être écarté ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5, que la décision attaquée ne méconnaît ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et n'est pas davantage entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de la requérante ;

Sur le pays de destination :

10. Considérant que si la motivation de fait de la décision fixant le pays de destination ne se confond pas nécessairement avec celle obligeant l'étranger à quitter le territoire français, la motivation en droit de ces deux décisions est identique et résulte des termes mêmes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lequel est, du reste, visé dans la décision attaquée ; qu'ainsi, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination n'est pas suffisamment motivée en droit ; que, par ailleurs, le préfet de la Seine-Maritime a suffisamment motivé sa décision en fait en mentionnant que Mme D... n'établissait pas être exposée à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine ;

11. Considérant que si Mme D...fait valoir qu'elle a subi des mauvais traitements en Russie de la part de groupes de skinheads qui lui reprochaient son origine caucasienne et sa confession yezide, l'intéressée, dont la demande d'asile a été au demeurant rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 20 mars 2014 qui avait souligné le caractère imprécis et confus de ses déclarations, n'apporte pas plus d'éléments probants de nature à établir la réalité des craintes personnelles qu'elle encourrait en cas de retour en Russie ; qu'elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que le préfet aurait méconnu tant les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

12. Mais considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " ; qu'il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ; qu'elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation ;

13. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté préfectoral du 19 juin 2014 refusant un titre de séjour à Mme D...et lui faisant obligation de quitter le territoire dans un délai de quatre-vingt-dix jours prévoit, en son article 3, que l'intéressée pourra, à l'expiration de ce délai, être reconduite d'office à destination de la Russie ou de tout autre pays pour lequel elle établirait être légalement admissible ; que l'arrêté similaire concernant M. D... prévoit que ce dernier pourra être reconduit d'office à destination de la Géorgie ou de tout autre pays pour lequel il établirait être légalement admissible ; que chacun de ces deux arrêtés, faute de limiter l'éloignement de l'étranger vers les pays où son conjoint ainsi que ses enfants sont légalement admissibles, permet de renvoyer les époux dans un pays différent, ce qui aurait nécessairement pour effet de séparer, même provisoirement, les enfants de l'un de leurs parents ; qu'ainsi, l'arrêté attaqué, en tant qu'il rend possible l'éloignement de l'un des époux à destination d'un pays différent de celui de son conjoint, méconnaît l'intérêt supérieur de leurs enfants au sens des stipulations précitées de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et doit être annulé dans cette mesure ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme D...est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande en tant qu'elle portait sur la décision fixant le pays de destination ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

15. Considérant que par son objet particulier, la décision fixant le pays de destination constitue une mesure d'exécution des décisions juridiquement distinctes de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire français ; que, l'annulation de la décision fixant le pays de destination n'implique pas que le préfet de la Seine-Maritime délivre un titre de séjour à Mme D... ou procède à un nouvel examen de son droit au séjour sur le territoire français ; que, dès lors, ses conclusions tendant à ce que la cour enjoigne au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa situation doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

16. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions précitées ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du préfet de la Seine-Maritime en date du 19 juin 2014 est annulé en tant qu'il fixe le pays de destination.

Article 2 : Le jugement du 11 décembre 2014 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...épouse D...et au ministre de l'intérieur.

Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.

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N°15DA00238


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15DA00238
Date de la décision : 06/10/2015
Type d'affaire : Administrative

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Hoffmann
Rapporteur ?: M. Marc (AC) Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Guyau
Avocat(s) : SELARL MADELINE-LEPRINCE-MAHIEU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2015-10-06;15da00238 ?
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