Vu la décision n° 345204 du 13 juillet 2012 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, annulé les articles 1er à 3 de l'arrêt n° 08DA01040 du 21 octobre 2010 de la cour administrative d'appel de Douai et lui a renvoyé l'affaire, dans cette mesure ;
Vu le recours, enregistré le 7 juillet 2008 au greffe de la cour, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique qui demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille n° 0701450 du 3 avril 2008 en tant qu'il a accordé la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée auquel la SA Entreprises Franque a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de prononcer le rétablissement des impositions déchargées ainsi que la condamnation de la SA Entreprises Franque à rembourser à l'Etat la somme de 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens de première instance ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la sixième directive n° 77/388/CEE du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Patrick Minne, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Vladan Marjanovic, rapporteur public ;
1. Considérant que la SA Entreprises Franque, qui est une société holding mixte, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2002 au 30 septembre 2005 ; qu'à l'issue de ce contrôle, l'administration a notamment remis en cause le caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée grevant, d'une part, des honoraires d'avocat et des sommes versées à un établissement bancaire payés à l'occasion de la cession de titres de participation de certaines filiales exploitant des concessions automobiles et, d'autre part, des honoraires d'avocats acquittés dans le cadre du règlement d'un différend opposant certaines filiales au constructeur automobile Citroën ; que, par jugement du 3 avril 2008, le tribunal administratif de Lille a fait droit à la demande de la société en ce qui concerne le premier chef de redressement mentionné ci-dessus et a rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi ; que par arrêt du 21 octobre 2010, la cour a respectivement rejeté le recours du ministre et fait partiellement droit à l'appel incident de la SA Entreprises Franque en prononçant la décharge du rappel de taxe afférent au second chef de redressement ; que par décision du 13 juillet 2012, le Conseil d'Etat a annulé les articles 1er à 3 de cet arrêt et a renvoyé l'affaire à la cour ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière des paragraphes 1, 2, 3 et 5 de l'article 17 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977, que l'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en amont soit reconnu à l'assujetti et pour déterminer l'étendue d'un tel droit ; que le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant l'acquisition de biens ou de services en amont suppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction ; qu'en l'absence d'un tel lien, un assujetti est toutefois fondé à déduire l'intégralité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des biens et services en amont, lorsque les dépenses liées à l'acquisition de ces biens et services font partie de ses frais généraux et sont, en tant que telles, des éléments constitutifs du prix des biens produits ou des services fournis par cet assujetti ;
Sur les frais de cession des titres de participation :
3. Considérant que, lorsqu'une société holding qui se livre à une activité économique à raison de laquelle elle est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée envisage de céder tout ou partie des titres de participation qu'elle détient dans une filiale et expose à cette fin des dépenses en vue de préparer cette cession, elle est en droit, sous réserve de produire des pièces justificatives, de déduire la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces dépenses, qui sont réputées faire partie de ses frais généraux et se rattacher aux éléments constitutifs du prix des opérations relevant de cette activité économique ; qu'il en va ainsi lorsque l'opération de cession des titres ne se réalise pas ; que lorsque cette cession intervient, que cette opération soit en dehors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ou dans ce champ mais exonérée, l'administration est toutefois fondée à remettre en cause la déductibilité de la taxe ayant grevé de telles dépenses quand, compte-tenu des éléments portés à sa connaissance et au vu des pièces qu'il appartient le cas échéant à la société qui les détient de produire, elle établit que cette opération a revêtu un caractère patrimonial, dès lors que le produit de cette cession a été distribué, quelles que soient les modalités de cette distribution, ou que, en l'absence d'éléments contraires produits par la société, ces dépenses ont été incorporées dans le prix de cession des titres ;
4. Considérant que si la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses inhérentes à la transaction elle-même n'est en principe pas déductible dès lors qu'elles présentent un lien direct et immédiat avec l'opération de cession des titres, la société est néanmoins en droit de déduire cette taxe si, compte tenu de la nature des titres cédés ou par tous éléments probants tels que sa comptabilité analytique, elle établit que ces dépenses n'ont pas été incorporées dans leur prix de cession et que, par suite, elles doivent être regardées comme faisant partie de ses frais généraux et se rattachent ainsi aux éléments constitutifs du prix des opérations relevant des activités économiques qu'elle exerce comme assujettie ; que les mêmes règles s'appliquent dans le cas où les dépenses ont été payées à un même intermédiaire, chargé à la fois de préparer cette cession et de réaliser la transaction, dès lors que ces deux catégories de prestations n'ont pas donné lieu à une rémunération distincte et qu'elles doivent alors être regardées comme un tout indissociable se rattachant à la transaction ;
5. Considérant, en premier lieu, que la SA Entreprises Franque a versé à la société d'avocats Jurinord au cours de l'année 2003, des honoraires en rémunération de travaux d'élaboration d'un protocole de cession de titres de participation de filiales exploitant des concessions automobiles ; qu'il résulte de la proposition de rectification du 20 décembre 2005 que la taxe sur la valeur ajoutée, d'un montant de 133 euros, mentionnée sur une facture émise le 30 juin 2003 par la société d'avocats Jurinord, grevait le prix d'une prestation limitée à la rédaction du " protocole de cession de titres " ; que les honoraires payés par la SA Entreprises Franque présentant la nature de dépenses inhérentes à la transaction elle-même, la taxe les grevant n'était, en principe, pas déductible dès lors que les dépenses en cause présentaient un lien direct et immédiat avec l'opération de cession des titres ; que, toutefois, la SA Entreprises Franque a produit, le 6 décembre 2012, le protocole d'accord de cession du 15 mai 2003 portant sur les actions et parts des sociétés commerciales et civiles exploitant des concessions des marques Citroën et Toyota aux termes duquel les cédant et cessionnaire sont convenus que ce dernier supporte le coût des divers actes entérinant cette série de ventes, à l'exception des honoraires de rédaction de deux actes particuliers, à savoir ledit protocole d'accord et la convention de garantie d'actif et de passif, qui ont été partagés par moitié entre les cocontractants ; qu'il ne résulte d'aucune autre stipulation de ce protocole, ni d'aucun élément chiffré relatif à l'évaluation du prix de cession des actions et parts des filiales concernées que ce prix incorpore le coût des honoraires discutés ; que la SA Entreprises Franque doit ainsi être regardée comme établissant que les dépenses en cause n'ont pas été incorporées dans le prix de cession ; que les honoraires doivent dès lors être regardés comme faisant partie de ses frais généraux et qu'ils se rattachent ainsi aux éléments constitutifs du prix des opérations relevant des activités économiques qu'elle exerce comme assujettie ; que, par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir, à l'appui de son appel principal, que le tribunal administratif de Lille a admis, à tort, le caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée, à concurrence du montant de 133 euros, acquittée lors de la facturation des honoraires d'avocat pour la rédaction du protocole de cession des titres de sociétés du 15 mai 2003 ;
6. Considérant, en second lieu, que, suivant les énonciations de la même proposition de rectification, la société vérifiée a également versé à la banque Crédit Lyonnais, dans le cadre de la vente des filiales évoquée ci-dessus, des frais relatifs à la constitution du " dossier de présentation des concessions à céder " ; que ces frais, qui présentaient la nature de dépenses de préparation de la cession, étaient donc grevés d'une taxe présentant, en principe, un caractère déductible au titre des frais généraux ; que, pour renverser cette présomption de déductibilité, le ministre faisait valoir que, en l'absence de justifications apportées par la société, les dépenses en cause n'avaient pas été incorporées dans le prix de cession des filiales ; que, toutefois, ainsi qu'il est dit au point 5, il ne résulte d'aucune stipulation, ni d'aucune donnée chiffrée du protocole d'accord de cession du 15 mai 2003, que l'évaluation du prix de cession de ces titres de participation incorpore les frais de préparation en cause ; qu'en faisant valoir que l'opération de cession s'est traduite par le départ de 10 des 13 salariés du groupe et par une diminution d'environ 90 % de la part des recettes résultant des prestations de services aux filiales, l'administration n'établit pas que la cession a revêtu un caractère patrimonial dès lors qu'il n'est pas justifié que le produit de cette transaction a fait l'objet d'une distribution et qu'il est constant que la société cédante a conservé, en dépit du caractère massif de cette cession, une activité économique de prestations de services pour une dizaine de filiales ; que, par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir, à l'appui de son appel principal, que le tribunal administratif de Lille a admis, à tort, le caractère déductible de la taxe sur la valeur ajoutée, à concurrence du montant de 2 352 euros, acquittée lors de la facturation par le Crédit Lyonnais des frais de constitution du dossier de présentation des filiales à céder ;
Sur les honoraires d'avocats versés dans le cadre du litige avec le constructeur Citroën :
7. Considérant qu'il résulte des énonciations de la proposition de rectification du 20 décembre 2005 que la SA Entreprises Franque s'est acquittée, au cours des années 2002 et 2003, de cinq factures d'honoraires émises par un avocat dans le cadre d'un " litige avec Citroën " et a déduit la taxe sur la valeur ajoutée y afférente, à concurrence de la somme totale de 1 897 euros ; qu'il n'est pas contesté que ces honoraires se rapportent au différend ayant conduit le constructeur automobile Citroën à assigner six filiales du groupe Franque devant le tribunal de commerce de Paris, en janvier 2003, pour violation des contrats de concession afin d'en demander la résiliation ainsi que le versement d'une indemnité en réparation du préjudice commercial en résultant, évalué à 510 000 euros environ ; que, par un accord transactionnel du 30 juillet 2004, le constructeur automobile a abandonné toute prétention à l'égard de trois des six filiales poursuivies et a accepté de réduire à 325 000 euros le montant de son préjudice ; que, par le même accord transactionnel, la SA Entreprises Franque s'est engagée, à titre personnel et à la place des trois filiales encore en cause, à verser cette indemnité au constructeur ;
8. Considérant que les dépenses d'honoraires en cause ne présentent pas la nature de frais inhérents à la cession de titres, ni celle de frais supportés en vue de la cession des titres mais ont été exposées dans le seul cadre du règlement du différend commercial noué entre le constructeur Citroën et les anciennes filiales du groupe Franque, auxquelles la SA Entreprises Franque s'est volontairement substituée ; que, comme le soutient cette dernière en se prévalant des stipulations de l'article 2-3 de la convention de garantie de passif du 15 mai 2003 qu'elle a produit pour la première fois devant la cour le 6 décembre 2012, elle restait seule chargée de gérer ce différend commercial ; que les conséquences financières de ce litige, finalement définies par voie transactionnelle en juillet 2004, ont donc été exclues du champ d'application de cette garantie de passif ; qu'il résulte au surplus des clauses relatives au prix de cession des divers actes de cession du 31 juillet 2003, également versés au dossier d'instruction, que la valeur des filiales a été arrêtée sur la base d'une situation de bilan qui ne prenait pas en compte, pour les trois filiales concernées, les incidences du litige Citroën ; que, dans la mesure où il n'est pas établi que l'engagement financier endossé par la cédante a nécessairement eu pour effet de majorer le prix de cession des filiales concernées qui, si elles avaient dû supporter les conséquences du procès commercial, aurait été moindre que celui convenu avec l'acquéreur des titres, la prise en charge des services d'avocat par la SA Entreprises Franque doit être réputée être au nombre des éléments constitutifs du prix des opérations, faisant partie de ses frais généraux ; que la taxe sur la valeur ajoutée grevant les honoraires exposés était donc déductible ; que, par suite, la SA Entreprises Franque est fondée, par la voie de l'appel incident, à demander la déduction de la somme de 1 897 euros ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a prononcé la décharge de la taxe sur la valeur ajoutée grevant les frais de cession des titres de participation des filiales de la SA Entreprises Franque ; que celle-ci est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande de décharge, dans la limite de 1 897 euros, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée auquel elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2002 au 30 septembre 2005 ;
Sur les conclusions tendant au versement par l'Etat d'intérêts moratoires :
10. Considérant qu'il n'existe aucun litige né et actuel entre le comptable et la SA Entreprises Franque concernant les intérêts mentionnés à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ; que, dès lors, ces conclusions ne sont pas recevables et doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
En ce qui concerne les frais de première instance :
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à la SA Entreprises Franque une somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dès lors qu'en première instance, l'Etat était partie perdante ; que la demande du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat tendant à ce que ladite société lui rembourse cette somme doit, par suite, être rejetée ;
En ce qui concerne les frais d'appel :
13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SA Entreprises Franque et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat est rejeté.
Article 2 : La SA Entreprises Franque est déchargée, à concurrence de la somme de 1 897 euros, du rappel de droits de taxe sur la valeur ajoutée auquel elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2002 au 30 septembre 2005.
Article 3 : Le jugement n° 0701450 du 3 avril 2008 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la SA Entreprises Franque en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la SA Entreprises Franque est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Entreprises Franque et au ministre de l'économie et des finances.
Copie sera adressée au directeur chargé de la direction de contrôle fiscal Nord.
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N°12DA01108