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13/12/2012 | FRANCE | N°11DA01043

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3 (bis), 13 décembre 2012, 11DA01043


Vu, I, sous le n° 11DA01043, la requête enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai le 4 juillet 2011, présentée pour le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI, par Me Moreau, avocat ; le ministre demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0503744 du 25 mai 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a condamné solidairement l'Etat et France Télécom à verser une somme de 5 000 euros à Mme Christine A en réparation des préjudices que celle-ci a subis du fait du blocage de sa carrière ;

2°) de rejeter la demande de M

me A tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de France Télécom au v...

Vu, I, sous le n° 11DA01043, la requête enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai le 4 juillet 2011, présentée pour le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI, par Me Moreau, avocat ; le ministre demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0503744 du 25 mai 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a condamné solidairement l'Etat et France Télécom à verser une somme de 5 000 euros à Mme Christine A en réparation des préjudices que celle-ci a subis du fait du blocage de sa carrière ;

2°) de rejeter la demande de Mme A tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de France Télécom au versement d'une somme de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait du blocage de sa carrière ;

Vu, II, sous le n° 11DA01178, la requête enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai par télécopie le 20 juillet 2011 et régularisée par la production de l'original le 25 juillet 2011, présentée pour Mme Christine B, demeurant ..., par Me Bineteau, avocat ; Mme B demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0503744 du 25 mai 2011 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a limité à 5 000 euros la somme que l'Etat et France Télécom ont été condamnés solidairement à lui verser en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait du blocage de sa carrière ;

2°) de condamner l'Etat et France Télécom au versement d'une somme de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait du blocage de sa carrière, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la demande préalable, capitalisés en application de l'article 1154 du code civil s'ils sont dus pour une année entière ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et France Télécom la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la note en délibéré, enregistrée par télécopie le 10 décembre 2012 et régularisée par la production de l'original le 12 décembre 2012, présenté pour Mme B ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications ;

Vu les décrets nos 93-514 à 93-519 du 25 mars 1993, modifiés ;

Vu le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Corinne Baes Honoré, rapporteur public,

- les observations de Me Perez, avocat, substituant Me Bineteau, pour Mme B ;

1. Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre un même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, qu'en jugeant que la responsabilité de l'Etat dans le blocage de la carrière de Mme B était engagée à raison du fait qu'il n'avait pas veillé au respect du droit à la promotion de ses agents " reclassés " par France Télécom, le tribunal administratif de Lille a statué, contrairement à ce que soutient la requérante, sur le moyen qu'elle a présenté en première instance tiré de l'existence d'une faute commise par l'Etat dans sa mission de tutelle ; que de même, en accordant à Mme B une indemnité de 5 000 euros à raison des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral qu'elle a subis compte tenu de la durée pendant laquelle elle a été privée de toute perspective de promotion, le tribunal s'est nécessairement prononcé sur le moyen tiré de la perte de chance de promotion de Mme B ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que le jugement attaqué est suffisamment motivé dès lors que le tribunal administratif n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par Mme B en première instance ;

4. Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que Mme B a éprouvé des difficultés pour réunir des preuves propres à établir la réalité de la perte de chance de promotion dont elle se prévalait devant le tribunal n'est pas de nature à caractériser la méconnaissance, par la juridiction, du droit au respect d'un procès équitable au sens de l'article 6, 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur les conclusions d'appel provoqué de France Télécom :

5. Considérant que les conclusions de la société France Télécom tendant à ce qu'il soit fait une répartition inégale de la somme à payer à Mme B en imputant la majeure partie de la charge indemnitaire à l'État ne sont dirigées que contre ce dernier ; que, dès lors, les conclusions de France Télécom ont le caractère d'un appel provoqué ; que n'ayant pas été présentées devant les premiers juges, les conclusions susanalysées de France Télécom, ont le caractère de conclusions nouvelles en appel et sont, par suite irrecevables ;

Sur la responsabilité de l'Etat et de France Télécom :

6. Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public des Postes et Télécommunications : " Les personnels de La Poste et de France Telecom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) " ; qu'aux termes de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 1996 : " Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Telecom sont rattachés à l'entreprise nationale France Telecom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de France Telecom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi. / L'entreprise nationale France Telecom peut procéder jusqu'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité (...) " ;

7. Considérant qu'en vertu de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) " ;

8. Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de France Telecom de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de " reclassification ", ne dispensait pas le président de France Telecom, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de " reclassement " ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des Postes et Télécommunications de veiller de manière générale au respect par France Telecom de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires " reclassés " comme aux fonctionnaires " reclassifiés " de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

9. Considérant, d'autre part, que le législateur, en décidant par les dispositions précitées de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, résultant de la loi du 26 juillet 1996, que les recrutements externes de fonctionnaires par France Telecom cesseraient au plus tard le 1er janvier 2002, n'a pas entendu priver d'effet, après cette date, les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires " reclassés " ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de " reclassement ", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, sont devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002 ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après cette date, le président de France Telecom a, de même, commis une illégalité ; que des promotions internes pour les fonctionnaires " reclassés " non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de France Telecom, que par l'effet du décret du 24 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Telecom ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les illégalités constitutives de fautes commises par France Télécom, en tant qu'employeur et par l'Etat, en tant qu'autorité de tutelle, sont de nature à engager la responsabilité solidaire de ces derniers et à ouvrir droit à réparation au profit de la requérante à raison des préjudices dont elle peut établir l'existence et le lien de causalité avec la faute de l'administration ;

Sur les préjudices :

11. Considérant, en premier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que Mme B, née le 26 novembre 1963, fonctionnaire de l'administration des Postes et Télécommunications ayant été recrutée au grade d'agent d'exploitation du service général en 1981, puis ayant accédé par concours au grade de conducteur de travaux le 27 janvier 1987 et à celui de chef de secteur le 20 juillet 1990, aurait eu, compte tenu des notes qui lui ont été attribuées de 1989 à 1993 et en l'absence de tout autre élément quant à sa manière de servir, une chance sérieuse d'accéder au corps de chef de district, puis au corps des inspecteurs, eu égard à la nature des fonctions susceptibles d'être confiées aux agents titulaires de ces grades, si des promotions dans ce corps avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après 1993, alors même qu'elle remplissait les conditions statutaires pour être promue ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter ses demandes indemnitaires au titre des préjudices professionnel, financier et matériel ;

12. Considérant, en second lieu, que Mme B est en droit, toutefois, de prétendre au versement d'une indemnité au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence à raison des fautes commises par France Telecom et l'Etat, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, alors même qu'au cas particulier, Mme B n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion ; que le tribunal administratif a fait une juste appréciation de ces préjudices en les évaluant à une somme globale de 5 000 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation :

13. Considérant que les premiers juges ont tenu compte de la demande d'intérêts et de capitalisation des intérêts, présentée en première instance, en octroyant une indemnisation tous intérêts compris à la date du jugement ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a limité à 5 000 euros l'indemnisation de ses préjudices ; que l'Etat n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille l'a condamné solidairement avec la société France Télécom à verser cette somme à Mme B ; que les conclusions d'appel provoqué présentées par France-Télécom sont rejetées ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de Mme B tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, toutefois, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B le versement de la somme que demande la société France Télécom au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B et le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DE L'EMPLOI sont rejetés.

Article 2 : L'appel incident de l'Etat et l'appel provoqué de la société France Télécom sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions de la société France Télécom présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Christine B, au MINISTRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES et à la société France Télécom.

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Nos11DA01043,11DA01178

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N° "11DA00772, 11DA00815éro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 11DA01043
Date de la décision : 13/12/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Notation et avancement - Avancement.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : M. Nowak
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: Mme Baes Honoré
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS SAIDJI et MOREAU ; SOCIETE D'AVOCATS SAIDJI et MOREAU ; SELARL HORUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2012-12-13;11da01043 ?
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