La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/10/2012 | FRANCE | N°11DA00808

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 18 octobre 2012, 11DA00808


Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai par télécopie le 23 mai 2011 et régularisée par la production de l'original le 27 mai 2011, présentée pour M. Philippe A, demeurant ..., par Me Bineteau, avocat ; M. A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0503743 du 16 mars 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille n'a fait droit à sa demande de condamnation de l'Etat et de France Télécom à l'indemniser des préjudices subis pour blocage de carrière qu'à hauteur de 5 000 euros ;

2°) de condamner solidairement l'E

tat et France Télécom à lui verser une somme de 93 848 euros augmentée des int...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai par télécopie le 23 mai 2011 et régularisée par la production de l'original le 27 mai 2011, présentée pour M. Philippe A, demeurant ..., par Me Bineteau, avocat ; M. A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0503743 du 16 mars 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille n'a fait droit à sa demande de condamnation de l'Etat et de France Télécom à l'indemniser des préjudices subis pour blocage de carrière qu'à hauteur de 5 000 euros ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et France Télécom à lui verser une somme de 93 848 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la demande préalable indemnitaire, capitalisés dès lors qu'ils seront dus pour une année entière ;

3°) de mettre à la charge de France Télécom et de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré enregistrée, le 15 octobre 2012 par télécopie et régularisée par la production de l'original le 17 octobre 2012, présentée pour M. A ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

Vu les décrets nos 93-514 à 93-519 du 25 mars 1993, modifiés ;

Vu le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Corinne Baes Honoré, rapporteur public,

- et les observations de Me J.-C. Perez, avocat, substituant Me Bineteau, pour M. A ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant, en premier lieu, qu'en jugeant que la responsabilité de l'Etat dans le blocage de la carrière de M. A était engagée à raison du fait qu'il n'avait pas veillé au respect du droit à la promotion de ses agents " reclassés " par France Télécom, le tribunal administratif de Lille a statué, contrairement à ce que soutient le requérant, sur le moyen qu'il a présenté en première instance tiré de l'existence d'une faute commise par l'Etat dans sa mission de tutelle ; que de même, en accordant à M. A une indemnité de 5 000 euros à raison des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral subis compte tenu de la durée pendant laquelle il a été privé de toute perspective de promotion, le tribunal a nécessairement statué sur le moyen tiré de la perte de chance de promotion de M. A ;

Considérant, en deuxième lieu, que le jugement attaqué est suffisamment motivé dès lors que le tribunal administratif n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par M. A en première instance ;

Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que M. A a éprouvé des difficultés pour réunir des preuves propres à établir la réalité de la perte de chance de promotion dont il se prévalait devant le tribunal n'est pas de nature à caractériser la méconnaissance, par la juridiction, du droit au respect d'un procès équitable au sens de l'article 6, 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la responsabilité de l'Etat et de France Télécom :

Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public des Postes et Télécommunications : " Les personnels de La Poste et de France Telecom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) " ; qu'aux termes de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 1996 : " Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Telecom sont rattachés à l'entreprise nationale France Telecom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de France Telecom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi. / L'entreprise nationale France Telecom peut procéder jusqu'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité (...) " ;

Considérant qu'en vertu de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) " ;

Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de France Telecom de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de " reclassification " créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de " reclassification ", ne dispensait pas le président de France Telecom, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de " reclassement " ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des Postes et Télécommunications de veiller de manière générale au respect par France Telecom de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires " reclassés " comme aux fonctionnaires " reclassifiés " de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

Considérant, d'autre part, que le législateur, en décidant par les dispositions précitées de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, résultant de la loi du 26 juillet 1996, que les recrutements externes de fonctionnaires par France Telecom cesseraient au plus tard le 1er janvier 2002, n'a pas entendu priver d'effet, après cette date, les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires " reclassés " ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de " reclassement ", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, sont devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002 ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après cette date, le président de France Telecom a, de même, commis une illégalité ; que des promotions internes pour les fonctionnaires " reclassés " non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de France Telecom, que par l'effet du décret du 24 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Telecom ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les illégalités constitutives de fautes commises par France Télécom, en tant qu'employeur et par l'Etat, en tant qu'autorité de tutelle, sont de nature à engager la responsabilité solidaire de ces derniers et à ouvrir droit à réparation au profit du requérant à raison des préjudices dont il peut établir l'existence et le lien de causalité avec ces fautes ; qu'il suit de là que les appels incidents de l'Etat et de France Télécom tendant à leur mise hors de cause doivent être rejetés ;

Sur l'appel en garantie de France Télécom :

Considérant que la société France Télécom demande à ce que l'Etat soit condamné à la garantir, pour la majeure partie, des condamnations prononcées contre elle, compte tenu de la faute prépondérante de l'Etat à avoir tardé à régler par la voie réglementaire la situation des agents reclassés de France Télécom ; que ces conclusions sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables ;

Sur les préjudices :

Considérant, en premier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. A, fonctionnaire de l'administration des Postes et Télécommunications ayant accédé au grade d'agent d'exploitation du service des lignes en 1990, aurait eu, compte tenu des appréciations portées sur sa manière de servir, et alors même qu'il remplissait les conditions statutaires pour être promu, une chance sérieuse d'accéder au corps des contrôleurs de travaux du service des lignes, si des promotions dans ce corps avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après 1993 ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter ses demandes indemnitaires au titre des préjudices professionnels, financiers et de retraite ;

Considérant, en second lieu, que M. A est en droit, toutefois, de prétendre au versement d'une indemnité au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence à raison des fautes commises par France Telecom et l'Etat, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, alors même qu'au cas particulier, M. A n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion ; que le tribunal administratif a fait une juste appréciation de ces préjudices en les évaluant à une somme globale de 5 000 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation :

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1153 du code civil, M. A a droit aux intérêts au taux légal sur les sommes précédemment accordées à compter de la date de ses premières demandes sur le principal soit le 14 février 2005 ; qu'en application des dispositions de l'article 1154 du même code, ces intérêts seront capitalisés et porteront eux-mêmes intérêts à compter du 23 mai 2011, date à laquelle la capitalisation a été demandée pour la première fois, dès lors qu'il s'est écoulé à cette date au moins une année depuis la demande préalable, la capitalisation s'accomplissant à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a limité à 5 000 euros l'indemnisation de ses préjudices ; que l'Etat et France Télécom ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille les a condamnés solidairement à verser cette somme à M. A ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de M. A tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, toutefois, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A le versement de la somme que demande la société France Télécom au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 5 000 euros que l'Etat et la société France Télécom ont été condamnés solidairement à verser à M. A en réparation de ses préjudices portera intérêt au taux légal à compter du 14 février 2005. Ces intérêts seront capitalisés à la date du 23 mai 2011 puis à chaque échéance annuelle et porteront eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement n° 0503743 du 16 mars 2011 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A et les appels incidents de l'Etat et de la société France Télécom sont rejetés.

Article 4 : Les conclusions de la société France Télécom tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Philippe A, au ministre de l'économie et des finances et à la société France Télécom.

''

''

''

''

1

2

N°11DA00808

3

N° "Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11DA00808
Date de la décision : 18/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Notation et avancement - Avancement.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : M. Nowak
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: Mme Baes Honoré
Avocat(s) : SELARL HORUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2012-10-18;11da00808 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award