Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai le 24 décembre 2010 par télécopie et régularisée par la production de l'original le 28 décembre 2010, présentée pour Mlle Marjorie B, demeurant ..., Mme Martine A, demeurant ..., M. Denis E, demeurant ..., Mme Joëlle D, demeurant ..., M. Christophe E, demeurant ..., par Me F. Jegu, avocat ; Mlle Marjorie B et autres demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0801993 du 28 octobre 2010 du tribunal administratif de Rouen en tant qu'il a seulement condamné le centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf à verser à Mlle B une somme de 1 913 euros en sa qualité d'héritière de Mme F et la somme de 7 155 euros au titre de son préjudice propre, avec intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2008 et leur capitalisation à compter du 29 septembre 2011, a condamné le même établissement à verser la somme de 1 000 euros respectivement à Mme Martine A, à M. Denis E, à Mme Joëlle D et à M. Christophe E, avec intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2008 et leur capitalisation à compter du 29 septembre 2011 ;
2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf- Louviers-Val-de-Reuil à verser les sommes de 151 000 euros, 3 852 euros, 500 euros et 4 620 euros à Mlle Marjorie B en sa qualité d'héritière de Mme Marie-Christine F et, à titre personnel, à verser une somme de 10 000 euros respectivement à Mme Martine A, à M. Denis E, à Mme Joëlle D et à M. Christophe E ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bertrand Boutou, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Corinne Baes Honoré, rapporteur public,
- les observations de Me F. Jegu, avocat, pour Mlle Marjorie B, Mme Martine A, M. Denis E, Mme Joëlle D, M. Christophe E ;
Considérant que Mlle Marjorie B, Mme Martine A, Mme Joëlle D et MM Denis et Christophe E relèvent appel du jugement du 28 octobre 2010 du tribunal administratif de Rouen en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à leur demande de réparation des préjudices subis à la suite du décès de Mme Marie-Christine F au centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf le 15 juillet 2005 des suites d'un infarctus mésentérique ; que le centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf, par la voie de l'appel incident, demande à être mis hors de cause ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) " ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Rouen, que Mme Marie-Christine F a été hospitalisée à plusieurs reprises à compter du 24 mai 2005, et en dernier lieu, du 16 juin au 15 juillet de cette année, au centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf en raison de douleurs épigastriques suivies de graves complications ; que malgré de très nombreux examens et analyses, les praticiens de cet établissement n'ont pas diagnostiqué l'ischémie mésentérique à l'origine du décès par infarctus mésentérique de celle-ci, le 15 juillet 2005, alors que son transfert vers le centre hospitalier universitaire de Rouen était décidé ; que si le centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf soutient qu'un tel diagnostic était très difficile à porter en raison de la rareté de cette affection et de la banalité des symptômes qui lui sont associés, il résulte aussi de l'instruction que cette cause avait pu être évoquée par le médecin généraliste de Mme F lorsqu'il a prescrit l'hospitalisation de celle-ci et n'était donc pas totalement inconcevable, quoique difficile ; que les praticiens du centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf se sont arrêtés assez rapidement sur une explication d'origine psychologique de l'affection, en diagnostiquant une maladie de Crohn en lien avec l'état dépressif de la patiente alors que la gravité de l'état de Mme F lors de sa dernière hospitalisation commandait que ceux-ci envisagent un éventail plus large de diagnostics possibles ; que dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rouen a jugé que le centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf a commis une erreur de diagnostic qui, compte tenu de ce qui vient d'être dit, est constitutive d'une faute ;
Considérant, toutefois, que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; qu'en l'espèce, compte tenu de la difficulté à poser le diagnostic d'une ischémie mésentérique, le tribunal administratif a fait une exacte appréciation du taux de perte de chance de survie de Mme F en le fixant à 25 % ;
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices de Mme F :
Considérant que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ; que Mlle Marjorie B, fille unique de Mme Marie-Christine F demande, en tant que son héritière, à être indemnisée des préjudices subis par cette dernière à raison des souffrances endurées et des troubles dans les conditions d'existence subis préalablement à son décès ; qu'il résulte de l'instruction que l'hospitalisation de Mme F s'est prolongée en raison des difficultés de l'équipe médicale à poser un diagnostic, que Mme F a fait l'objet de très nombreux examens et analyses médicaux et qu'elle a éprouvé des souffrances que l'expert a évalué à 3 sur une échelle de 7 ; qu'en les évaluant à 4 200 euros, le tribunal administratif a fait une juste appréciation de ces préjudices ;
En ce qui concerne les préjudices propres de Mlle Marjorie B :
Considérant, en premier lieu, que la demande relative à " la perte de chance de survie au bénéfice de la fille de Mme F " pour laquelle Mlle B, qui ne chiffre pas sa demande, s'en rapporte à justice, n'est assortie d'aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé ; qu'en revanche, Mlle B est fondée à demander la réparation du préjudice moral qu'elle a subi du fait du décès de sa mère alors qu'elle était âgée tout juste de dix-huit ans et vivait à ses côtés ; que le tribunal administratif a fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 24 000 euros ;
Considérant, en deuxième lieu, que les frais d'obsèques de Mme F sont justifiés par la production des factures correspondantes, à hauteur de 3 852,50 euros ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que Mlle B justifie avoir réglé des frais d'hébergement dans un foyer à hauteur de 4 620 euros entre novembre 2005 et décembre 2006, à la suite du décès de sa mère ;
Considérant, en quatrième lieu, que Mlle B soutient qu'à raison du décès de sa mère, elle subit un préjudice économique évalué à 90 000 euros, qu'elle calcule en considérant que si cette dernière avait survécu, elle aurait consacré les trois quarts de ses revenus mensuels de mille euros à l'entretien de sa fille jusqu'à ce que celle-ci atteigne l'âge de vingt-huit ans ; que toutefois, à la date du décès de sa mère, Mlle B était tout juste devenue majeure et avait achevé ses études de BEP, selon ce qui résulte de l'attestation du lycée Risle-Seine produite au dossier ; que dans ces conditions, le préjudice allégué par Mlle B présente un caractère éventuel et n'est pas au nombre de ceux qui peuvent être indemnisés ;
En ce qui concerne les préjudices des frères et soeurs de Mme F :
Considérant que Mme A, Mme D et MM E sont fondés à demander l'indemnisation du préjudice moral subi par eux à raison du décès de leur soeur ; que le tribunal administratif de Rouen a fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à 4 000 euros pour chacun d'entre eux ;
Sur les droits à réparation des requérants :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède et compte tenu du taux de perte de chance ci-dessus défini, que Mlle B a droit à la réparation de ses préjudices, en son nom propre et en tant qu'héritière de Mme Marie-Christine F, à hauteur de 9 168,13 euros ; que Mme A, Mme D et MM E ont droit à la réparation de leur préjudice à hauteur de 1 000 euros chacun ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ; que pour l'application des dispositions de l'article 1154 du même code, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les sommes au versement desquelles est condamné le centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf porteront intérêts à compter du 12 avril 2008, date de réception par l'établissement de la première demande d'indemnisation formée par les requérants ; que la capitalisation de ces intérêts a été demandée pour la première fois au tribunal administratif, dans un mémoire enregistré le 29 septembre 2010, soit plus d'une année après la première demande au titre du principal ; que les intérêts échus sur le principal de la créance des requérants seront par suite capitalisés à compter du 29 septembre 2010 puis à chaque échéance annuelle, et porteront eux-mêmes intérêts à compter de ces dates ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rouen a mis les frais d'expertise exposés dans l'instance à la charge du centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mlle Marjorie B et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif n'a accueilli leur demande que dans la limite de ce qui a été jugé dans les motifs du jugement ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf est condamné à verser une somme de 9 168,13 euros à Mlle Marjorie B et une somme de 1 000 euros respectivement à Mme Martine A, Mme Joëlle D, M. Denis E et M. Christophe E. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2008 lesquels seront capitalisés à compter du 29 septembre 2010 puis à chaque échéance annuelle et porteront eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mlle B, Mme A, Mme D et MM E et l'appel incident du centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf sont rejetés.
Article 3 : Le jugement n° 0801993 du tribunal administratif de Rouen en date du 28 octobre 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mlle Marjorie B, à Mme Martine A, à M. Denis E, à Mme Joëlle D, à M. Christophe E, au centre hospitalier intercommunal d'Elbeuf et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure.
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N°10DA01635
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