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06/08/2010 | FRANCE | N°10DA00127

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3, 06 août 2010, 10DA00127


Vu la requête, enregistrée le 28 janvier 2010 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai par télécopie et régularisée par la production de l'original le 1er février 2010, présentée pour M. Ali A, domicilié au ..., par Me Woldanski ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0900890 du 26 novembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2009 par lequel le préfet de l'Eure a décidé son expulsion du territoire français ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, c

et arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le f...

Vu la requête, enregistrée le 28 janvier 2010 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai par télécopie et régularisée par la production de l'original le 1er février 2010, présentée pour M. Ali A, domicilié au ..., par Me Woldanski ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0900890 du 26 novembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2009 par lequel le préfet de l'Eure a décidé son expulsion du territoire français ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que le préfet de l'Eure a commis une erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu de sa résidence régulière de plus de vingt ans en France et de ce qu'il est père de deux enfants mineurs à l'entretien desquels il participe ; que l'arrêté porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la dangerosité avancée par le préfet pour justifier la mesure d'expulsion n'existe plus compte tenu de sa santé précaire et de ses efforts de réinsertion ;

Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;

Vu le mémoire, enregistré le 10 juin 2010, présenté par le préfet de l'Eure, qui conclut au rejet de la requête ; il fait valoir que compte tenu des conditions irrégulières d'une partie de son séjour et de ses 13 ans 5 mois et 18 jours de détention, M. A ne peut bénéficier du 2° de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyant l'impossibilité d'une expulsion pour les ressortissants présents régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; qu'est sans incidence le fait qu'il soit père de deux enfants mineurs dès lors que la durée de son séjour régulier est de moins de 10 ans et qu'il n'établit pas contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation des enfants dans les conditions de l'article 371-2 du code civil depuis leur naissance ou au moins un an, ayant perdu totalement l'autorité parentale sur ces derniers par l'arrêt de la Cour d'assises du Val-d'Oise ; que la protection ne peut jouer dès lors qu'elle ne vaut que sous réserve que les faits à l'origine de la mesure d'expulsion n'aient pas été commis à l'encontre de ses enfants ou de tout enfant sur lequel est exercée l'autorité parentale ; que c'est sans erreur manifeste d'appréciation qu'il a estimé que le requérant constituait une menace grave pour l'ordre public compte tenu en particulier du caractère répété et de gravité croissante de ses agissements et de ce que le risque de récidive n'est pas à exclure ; que le requérant ne démontre pas qu'il ne pourrait suivre de traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine alors que la Tunisie dispose d'un bon système de soins et, que de fait, ce traitement y est disponible ; que M. A n'est pas isolé en Tunisie où résident sa mère et des frères et soeurs ; que compte tenu de la gravité des faits commis, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas méconnu ;

Vu le mémoire, enregistré le 24 juin 2010 par télécopie et régularisé par la production de l'original le 28 juin 2010, présenté pour M. A, qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Hubert Delesalle, premier conseiller, les conclusions de M. Jacques Lepers, rapporteur public, aucune partie n'étant présente ni représentée ;

Considérant que M. A, ressortissant tunisien, né en 1952, et entré en France en 1971 selon ses déclarations, relève appel du jugement du 26 novembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 26 janvier 2009 par lequel le préfet de l'Eure, estimant que son comportement constituait une menace grave pour l'ordre public, a prononcé son expulsion du territoire français ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : / (...) 2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; / (...) 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de

celui-ci ou depuis au moins un an ; / (...) Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables à l'étranger mentionné (...) au 4° ci-dessus lorsque les faits à l'origine de la mesure d'expulsion ont été commis à l'encontre de son conjoint ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l'autorité parentale. / (...) ;

Considérant, d'une part, que s'il ressort des pièces du dossier que M. A est entré en France en 1971, il ne justifie toutefois y avoir séjourné régulièrement que pour une période allant du 6 décembre 1979 au 5 décembre 1982 pendant laquelle il a bénéficié d'une carte de séjour de résident ordinaire , puis du 6 décembre 1985 au 5 décembre 2005, période pendant laquelle il a bénéficié d'une carte de résident de 10 ans renouvelée une fois ; que cette date du 5 décembre 1985 constitue le point de départ de la période continue de vingt années de résidence prévues par les dispositions précitées du 2° de l'article L. 521-3, sans toutefois que les années passées en détention au titre d'une peine de privation de liberté ne puissent s'imputer dans leur calcul ; que M. A, qui avait antérieurement été incarcéré pour des périodes de quelques mois, est incarcéré de manière continue depuis le 15 janvier 1997 ; qu'ainsi, il avait moins de vingt années de résidence régulière en France à la date à laquelle le préfet de l'Eure a pris l'arrêté litigieux ; que, par suite, M. A n'est pas fondé à soutenir qu'il ne pouvait être expulsé en raison de la durée de son séjour en France en application des dispositions du 2° de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant, d'autre part, que les faits à l'origine de son expulsion consistant en particulier en des agressions sexuelles et diverses violences sur ses enfants mineurs, M. A ne saurait utilement se prévaloir, en toute hypothèse, des dispositions précitées du 4° de l'article L. 521-3 quand bien même les deux enfants mineurs au titre desquels il entend le faire n'ont pas été ses victimes ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ;

Considérant que M. A soutient que sa présence en France ne constitue pas une menace grave pour l'ordre public ; qu'il se prévaut sur ce point de son état de santé précaire, lié entre autres à des difficultés cardiaques, de ses efforts de réinsertion, en particulier d'un point de vue professionnelle et familiale, de sa prise de conscience de la gravité des faits commis, en partie liés à l'usage excessif d'alcool dont il est désormais sevré, ainsi que de son bon comportement en prison, où il a travaillé et bénéficié d'un suivi psychiatrique, attesté notamment par les nombreuses permissions de sortie qui lui ont été accordées et par un rapport du service pénitentiaire d'insertion et de probation du 28 octobre 2008 ; que, toutefois, si la commission d'expulsion a émis un avis défavorable à son expulsion, elle s'est toutefois fondée sur la seule durée de la présence en France de M. A ; que ce dernier a manifesté très tôt en France un comportement de nature à porter atteinte à l'ordre public, commettant en particulier des faits de violence répétés d'une gravité croissante ; qu'en particulier, il s'est rendu coupable en 1993 de violences envers un mineur de 15 ans n'ayant pas entraîné d'incapacité ou ayant entraîné une incapacité inférieure ou égale à 8 jours et soustraction à une obligation légale compromettant la santé, la sécurité, la moralité et l'éducation des enfants, faits pour lesquels il s'est vu condamner le 11 juin 1997 par la Cour d'appel de Versailles statuant en matière correctionnelle à une peine de prison d'un an et six mois dont dix mois avec sursis ; que, de même, il s'est rendu coupable en 1995 de violences habituelles envers un mineur de 15 ans suivies d'incapacité inférieure ou égale à 8 jours et violences habituelles suivies d'une incapacité n'excédant pas 8 jours ainsi que de violences habituelles suivies d'une incapacité n'excédant pas huit jours sur une personne à vulnérabilité apparente, ce qui a entraîné sa condamnation à une peine d'un an et demi de prison dont un an et trois mois avec sursis par un jugement du Tribunal correctionnel de Pontoise en date du 25 mars 1996 ; qu'en dernier lieu, M. A s'est rendu coupable durant les années 1993 à 1995 sur tout ou partie de cinq de ses enfants nés d'un deuxième lit entre 1983 et 1991, de viol avec plusieurs circonstances aggravantes, d'agression sexuelle sur mineur de 15 ans par ascendant ou personne ayant autorité, de corruption de mineurs de 15 ans et d'attentat à la pudeur commis sur mineur de 15 ans par ascendant ou personne ayant autorité ; qu'il a de ce fait été condamné à une peine de dix-neuf ans de réclusion criminelle avec retrait total de l'autorité parentale par un arrêt de la Cour d'assises du Val-d'Oise le 1er avril 1999 ; qu'il doit être libéré le 28 mai 2011 ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, et nonobstant l'état de santé du requérant et le rapport établi le 13 juin 2009 par deux psychiatres commis par le juge d'application des peines émettant un diagnostic de réinsertion plutôt favorable , il ne ressort pas des pièces du dossier que compte tenu de la nature des faits commis, de leur caractère répété et de leur gravité croissante, le préfet de l'Eure aurait commis une erreur d'appréciation en estimant que le comportement de M. A constituait une menace grave pour l'ordre public et en décidant, pour ce motif, de prononcer son expulsion ;

Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ;

Considérant qu'à l'appui de son moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations, M. A se prévaut de la présence en France de sa concubine, qui est prête à l'accueillir, de ses onze enfants français, avec lesquels il a conservé des liens en détention et dont certains parmi les victimes lui ont pardonné les agissements commis, ainsi que de son bon comportement en prison où notamment il a pris conscience de la gravité de ses actes, ces seules circonstances ne sont pas de nature, en l'espèce, compte tenu des faits commis, de leur caractère répété et de leur gravité croissante, et nonobstant tant leur relative ancienneté que la durée du séjour du requérant en France, à faire regarder la mesure d'expulsion prise à son encontre comme ayant porté au droit au respect de sa vie familiale une atteinte excédant ce qui était nécessaire à la défense de l'ordre public ; que, dans ces conditions, elle n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. A demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Ali A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

Copie sera transmise au préfet de l'Eure.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10DA00127
Date de la décision : 06/08/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Mulsant
Rapporteur ?: M. Hubert Delesalle
Rapporteur public ?: M. Lepers
Avocat(s) : WOLDANSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2010-08-06;10da00127 ?
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