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01/07/2010 | FRANCE | N°09DA00791

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 01 juillet 2010, 09DA00791


Vu la requête, enregistrée le 27 mai 2009 par télécopie, confirmée le 2 juin 2009 et régularisée par la réception de l'original le 24 juin 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Jean-François A, demeurant ..., par la SCP d'avocats Frison, Decramer ; il demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0700352-0802622-0900067 du 7 avril 2009 en tant que le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande n° 0700352 tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 304 581,54 euros, avec intérêts à compter du 5 janv

ier 2007, en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de l'ar...

Vu la requête, enregistrée le 27 mai 2009 par télécopie, confirmée le 2 juin 2009 et régularisée par la réception de l'original le 24 juin 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Jean-François A, demeurant ..., par la SCP d'avocats Frison, Decramer ; il demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0700352-0802622-0900067 du 7 avril 2009 en tant que le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande n° 0700352 tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 304 581,54 euros, avec intérêts à compter du 5 janvier 2007, en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de l'arrêté du 7 janvier 1997 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 304 581,54 euros, augmentée des intérêts à compter du 5 janvier 2007 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient :

- que suite à l'annulation de la décision du 7 janvier 1997, il a été contraint de renoncer à son congé puisqu'il ne disposait plus d'une autorisation d'exploiter les terres sollicitées ; que l'illégalité d'un acte administratif est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que la faute résulte de l'absence de motivation suffisante de l'arrêté du 7 janvier 1997 ; que le lien de causalité entre l'illégalité de l'arrêté et le préjudice subi est ainsi avéré ;

- que si l'arrêté avait été correctement rédigé, il n'aurait sans doute pas été annulé ; qu'en effet, il disposait notamment de la compétence ou de l'expérience professionnelle pour reprendre l'exploitation des terres ; qu'il justifiait de la viabilité économique et des moyens nécessaires à la mise en oeuvre de son projet d'installation ; que rien ne s'opposait à ce qu'il reprenne les terres ;

- qu'il ne sollicite une indemnisation que pour la période allant de 1997 à 2006 ; qu'il accepte de subir la charge de l'annulation de la décision d'autorisation de 2005 et par suite, le préjudice subi depuis 2006 ;

- que le principe d'indépendance des législations de contrôle des structures et des baux ruraux, fait obstacle à ce que les juges puissent utilement invoquer l'application de l'article

L. 411-58 du code rural ;

- que s'agissant du préjudice subi, il a fourni les attestations démontrant la réalité et l'importance de la perte financière ; qu'il n'est pas opposé à une expertise ; qu'il ne pourra percevoir les droits à paiement unique puisque les époux B ont exploité les terres en 2001 et 2002 ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu l'ordonnance en date du 25 juin 2009 fixant la clôture de l'instruction au 28 décembre 2009 à 16 h 30 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré par télécopie le 24 décembre 2009 et régularisé par la réception de l'original le 29 décembre 2009, présenté par le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche ; il conclut au rejet de la requête et fait valoir :

- que le lien de causalité entre le préjudice subi et la faute, n'est pas établi ;

- que le refus de reprise n'est pas imputable à l'Etat mais à l'application par le juge du congé des dispositions des articles L. 411-58 et L. 411-59 du code rural qui prescrivaient de surseoir à statuer sur la contestation du congé ;

- que la reprise était hypothétique puisqu'elle était subordonnée à la satisfaction par le bénéficiaire du congé de plusieurs conditions cumulatives prévues par les dispositions de l'article L. 411-9 du code rural ; que le requérant ne démontre pas qu'il remplissait ces conditions ;

- qu'il n'établit pas qu'il était fondé à solliciter l'autorisation d'exploiter les terres litigieuses ;

- qu'à titre subsidiaire, il entend invoquer l'absence de préjudice ; que les documents sur lesquels se fonde le requérant n'ont aucune force probante ; que les fermages devraient venir en déduction d'une éventuelle indemnisation ; qu'il conviendrait d'appliquer une minoration liée à la perte de chance ; que l'éventuel manque à gagner ne doit être pris en compte qu'à compter du 15 janvier 2003 jusqu'au 30 novembre 2006 ;

Vu l'ordonnance en date du 4 janvier 2010 portant réouverture de l'instruction ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 14 janvier 2010 et régularisé par la réception de l'original le 18 janvier 2010, présenté par le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche ; il soutient en outre :

- que les recettes ont été excessivement surestimées et les charges manifestement

sous-évaluées ; que l'expert a ajouté aux recettes des primes sans en justifier leur origine ; que les charges d'exploitation sont nettement en dessous des données courantes du marché ; que les charges d'entretien sont excessivement faibles ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code rural ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Corinne Baes Honoré, premier conseiller, les conclusions de M. Alain de Pontonx, rapporteur public, aucune partie n'étant présente ni représentée ;

Considérant que M. Jean-François A est propriétaire de parcelles d'une contenance de 27 hectares 31 ares situées à Hervilly, Bernes et Roisel et données à bail à M. et Mme B ; que le requérant a donné congé à ces derniers avec effet au 30 septembre 1997 et sollicité une autorisation de cumul, délivrée par arrêté du préfet de la Somme du 7 janvier 1997 ; que M. et Mme B ont contesté le congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux et demandé l'annulation de l'arrêté du 7 janvier 1997 devant le Tribunal administratif d'Amiens qui a rejeté leur demande ; que toutefois, suite à un arrêt du 14 novembre 2002 par lequel la Cour administrative d'appel de Douai a annulé ledit arrêté pour une insuffisance de motivation, M. A a présenté une demande indemnitaire en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'illégalité dudit arrêté ; que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté la demande indemnitaire de M. A présentée au titre des années 1998 à 2006 ; que M. A interjette régulièrement appel de ce jugement ;

Sur les conclusions indemnitaires :

S'agissant du principe de la responsabilité :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 411-58 du code rural : Le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail s'il veut reprendre le bien loué pour lui-même ou au profit du conjoint ou d'un descendant majeur ou mineur émancipé ... . Si l'opération envisagée est subordonnée à une autorisation en application des dispositions du titre VII du livre Ier du code rural concernant le contrôle des structures des exploitations agricoles, la reprise ne peut être obtenue que si cette autorisation a été accordée. Si la décision prise à ce sujet n'est pas devenue définitive à la date normale d'effet du congé, le tribunal paritaire surseoit à statuer, le bail en cours étant prorogé de plein droit jusqu'à la fin de l'année culturale pendant laquelle cette décision est devenue définitive. Si la décision définitive intervient dans les deux derniers mois de l'année culturale en cours, le bail est prorogé de plein droit jusqu'à la fin de l'année culturale suivante ... ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que, lorsqu'un fermier conteste devant le tribunal paritaire des baux ruraux le congé qu'il a reçu pour reprise de terres par leur propriétaire et que cette reprise a donné lieu à autorisation au titre du contrôle des structures des exploitations agricoles, cette juridiction est tenue de surseoir à statuer sur la validation du congé tant que l'autorisation préfectorale n'est pas devenue définitive ; que du fait de l'exercice par le preneur des voies de recours dont il disposait, l'autorisation de cumul n'était pas définitive lorsque la Cour de céans s'est prononcée sur l'illégalité de la décision ; que même si cette décision n'avait pas été entachée d'illégalité, en raison des voies de recours que le preneur était susceptible d'exercer, M. A n'aurait pu reprendre les terres à son profit qu'à compter de l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt de la Cour du 14 novembre 2002, accordé aux parties en litige pour exercer un recours devant le Conseil d'Etat ; que cette date doit être fixée au 15 janvier 2003 ; que par suite, et sans que le requérant puisse utilement invoquer l'indépendance de la législation du contrôle des structures agricoles et de celle des baux ruraux, le préjudice résultant de la non-exploitation des terres jusqu'au 15 janvier 2003, a pour origine directe la mise en oeuvre des dispositions précitées du code rural et non la faute commise par l'administration du fait de l'illégalité de l'arrêté préfectoral ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 411-59 du code rural alors en vigueur : Le bénéficiaire de la reprise ... doit posséder le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir. / Le bénéficiaire de la reprise doit occuper lui-même les bâtiments d'habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds et en permettant l'exploitation directe. / Le bénéficiaire de la reprise devra justifier par tous moyens qu'il satisfait aux obligations qui lui incombent en application des deux alinéas précédents et qu'il répond aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle visées à l'article 188-2 du présent code ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le préfet de la Somme avait délivré l'autorisation en litige aux motifs, non contestés par le ministre, que l'opération envisagée, d'une part, était conforme aux orientations du schéma directeur départemental des structures de la Somme, d'autre part, ne remettait pas en cause l'autonomie de l'exploitation du cédant ; qu'en outre, suite à l'annulation dudit arrêté par la Cour de céans, ledit préfet a de nouveau délivré une autorisation d'exploiter à M. A le 20 décembre 2005 ; qu'enfin, ce dernier soutient, sans être contredit, que la reprise des terres ne mettait pas en péril l'exploitation des preneurs en place ; que dans ces conditions, c'est à tort que le Tribunal administratif d'Amiens a jugé qu'il n'était pas établi que la décision était justifiée au fond ; qu'en outre, il résulte de l'instruction et notamment d'une attestation du CER - conseiller d'entreprise - du 19 janvier 2007, que M. A détenait un parc matériel et une structure suffisante pour exploiter les terres en cause, et remplissait ainsi l'une des conditions prévues par les dispositions précitées de l'article L. 411-59 du code rural pour reprendre les terres en cause ; que dans ces conditions, M. A doit être regardé comme ayant perdu une chance sérieuse de pouvoir exploiter les terres dont s'agit ;

S'agissant du préjudice :

Considérant, en premier lieu, que si M. A invoque le préjudice lié à la perte des droits à paiement unique (DPU), il ressort de ses écritures de première instance que lesdits droits n'appartiennent qu'à l'exploitant qui cultivait les terres durant les années 2000 à 2002 ; que ce chef de préjudice doit être écarté dès lors, ainsi qu'il a été dit, que la non exploitation des terres durant ces années ne résulte pas de l'illégalité commise par le préfet, mais du recours exercé par le preneur devant le tribunal paritaire des baux ruraux ;

Considérant, en deuxième lieu, que pour justifier l'étendue des autres préjudices subis du fait de la non exploitation des terres en litige, M. A a versé au dossier une expertise émanant du CER - conseiller d'entreprise -, selon laquelle le manque à gagner doit être évalué, entre 2003 et 2006, à la somme de 127 749 euros ; que le ministre fait cependant valoir, de façon circonstanciée et sans être contesté, que l'expert a retenu l'hypothèse de l'exploitation des trois cultures les plus rémunératrices alors qu'il n'est pas établi que l'intéressé disposait des contrats de culture correspondants, que les recettes ont été surestimées, que des primes et autres produits ont été ajoutés aux recettes sans que leur origine soit justifiée, que les charges d'exploitation sont en-dessous des données du marché et que celles d'entretien sont excessivement faibles ; qu'en outre, il convient de déduire de la perte résultant de la non exploitation des terres, les fermages perçus par M. A en sa qualité de propriétaire, ainsi que les impôts et taxes supportés par le fermier, et évalués approximativement et globalement à la somme de 5 000 euros par an ; que dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice né de la perte de chance subie par M. A, en le fixant, au titre de la période du 15 janvier 2003 à la fin de l'année 2006, à la somme de 10 000 euros ;

S'agissant des intérêts :

Considérant que la somme de 10 000 euros portera intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2007, date de réception de la demande préalable du requérant ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif d'Amiens du 7 avril 2009 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A la somme de 10 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2007.

Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-François A et au ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.

Copie sera adressée au préfet de la Somme.

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N°09DA00791


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09DA00791
Date de la décision : 01/07/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Gayet
Rapporteur ?: Mme Corinne Baes Honoré
Rapporteur public ?: M. de Pontonx
Avocat(s) : SCP FRISON-DECRAMER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2010-07-01;09da00791 ?
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