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24/04/2008 | FRANCE | N°05DA00307

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3, 24 avril 2008, 05DA00307


Vu la décision n° 291874, en date du 26 juillet 2007, enregistrée le 5 octobre 2007 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, par laquelle le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la Cour n° 05DA00307 du 26 janvier 2006 et lui a renvoyé la requête présentée par la société LEPICARD ;

Vu la requête, enregistrée le 17 mars 2005 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la société LEPICARD, dont le siège est 21 rue Jacques Ferny à Yerville (76760), par la SCP Boivin et associés ; la société demande à la Cour :

1°) d'annule

r le jugement n° 0202153, en date du 30 décembre 2004, par lequel le Tribunal admini...

Vu la décision n° 291874, en date du 26 juillet 2007, enregistrée le 5 octobre 2007 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, par laquelle le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la Cour n° 05DA00307 du 26 janvier 2006 et lui a renvoyé la requête présentée par la société LEPICARD ;

Vu la requête, enregistrée le 17 mars 2005 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la société LEPICARD, dont le siège est 21 rue Jacques Ferny à Yerville (76760), par la SCP Boivin et associés ; la société demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0202153, en date du 30 décembre 2004, par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 376 238 euros ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 376 238 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de sa réclamation préalable du 3 juin 2002, en réparation du préjudice subi du fait de la suppression de ses silos de stockage de céréales à Yerville, prononcée par un décret du

4 février 2002 ;

3°) de condamner l'Etat (ministre de l'écologie et du développement durable) à lui verser une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient qu'il ressort de l'étude de dangers que la probabilité de risque est faible ; que le risque majeur en silo est l'explosion de poussières et qu'en terme de risque secondaire, un incendie qui pourrait affecter localement une partie de l'installation, resterait de faible intensité ; que l'étude ne pouvait envisager tous les scénarios d'accident pour l'ensemble des appareils et espaces de l'exploitation ; que l'administration aurait dû prescrire à la société LEPICARD de réaliser une analyse critique d'éléments du dossier justifiant des vérifications particulières ; qu'elle a proposé des mesures afin de remédier à ces risques et des mesures alternatives à la suppression du silo qui auraient eu pour effet de supprimer toute atteinte portée par cette installation à l'objectif de sécurité et de salubrité publiques mentionné à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ; que la responsabilité de l'administration sans faute est susceptible d'être engagée du fait d'une décision administrative régulière, sans qu'ait à être pris en compte l'intérêt général en vue duquel les dispositions législatives dont elle est une mesure d'application ont été prises ; que le législateur n'a pas exclu l'application d'un régime de responsabilité sans faute ; qu'elle justifie d'un préjudice résultant des frais de mise en conformité des installations et de reconstruction d'un nouveau silo de stockage et du manque à gagner de la société pendant la reconstruction ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 3 août 2005, présenté par le ministre de l'écologie et du développement durable ; le ministre conclut au rejet de la requête ; il soutient qu'il ressort de l'étude de dangers que certains des appareils et espaces de l'exploitation peuvent présenter en

eux-mêmes des dangers et qu'il existe un risque d'ensevelissement du préau de l'école, situé à proximité immédiate de l'installation, en raison du manque de stabilité d'un pignon ; qu'en outre, l'étude n'a pas envisagé de scénarios d'accident, notamment certains risques d'explosion et de propagation en chaîne, pour l'ensemble des appareils et espaces de l'exploitation ; qu'aucune règle n'imposait à l'administration de prescrire à la société LEPICARD de réaliser une analyse critique d'éléments du dossier justifiant des vérifications particulières ; que les travaux envisagés par l'exploitant ne sont pas de nature à faire disparaître tout risque pour l'environnement immédiat de l'installation litigieuse ; qu'il n'existait pas de mesures alternatives à la suppression du silo, qui auraient eu pour effet de supprimer toute atteinte portée par cette installation à l'objectif de sécurité et de salubrité publiques mentionné à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ; qu'eu égard à l'intérêt général en vue duquel les dispositions de l'article L. 514-7 du code de l'environnement ont été édictées, et en l'absence de dispositions législatives en disposant autrement, une telle mesure ne peut avoir pour effet d'ouvrir droit à réparation au bénéfice de l'exploitant de l'activité visée par le législateur ; que la société LEPICARD ne justifie pas d'un préjudice résultant des frais de reconstruction d'un nouveau silo de stockage et du manque à gagner de la société pendant la reconstruction ; que la mise en conformité des installations n'était pas susceptible d'être indemnisée ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré par télécopie le 4 janvier 2006 et régularisé par la production de l'original le 5 janvier 2006, présenté pour la société LEPICARD, qui reprend les conclusions de sa requête initiale par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, que le décret du

4 février 2002 méconnaît les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par une décision du 5 novembre 2005, le Conseil d'Etat a jugé qu'il résulte des principes qui gouvernent l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat que le silence d'une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en oeuvre, ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer ; qu'ainsi, en l'absence même de dispositions le prévoyant expressément, l'exploitant d'une installation dont la fermeture ou la suppression a été ordonnée en raison des dangers ou inconvénients qu'elle représentait, est fondé à demander l'indemnisation du dommage qu'il a subi de ce fait lorsque, excédant les aléas que comporte nécessairement une telle exploitation, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement à l'intéressé ; qu'elle justifie d'un préjudice résultant, en premier lieu, des frais qu'elle devra exposer afin de construire de nouvelles installations équivalentes à celles qui ont été supprimées et l'abattement de vétusté qui devra, le cas échéant, être appliqué à ce préjudice, en deuxième lieu, du manque à gagner et des pertes sur l'activité commerciale durant la construction des nouvelles installations et, en troisième lieu, des frais de mise en conformité des anciennes installations qu'elle a dû exposer ;

Vu le rapport de l'expert déposé au greffe de la Cour le 8 février 2007 et l'ordonnance, en date du 23 février 2007, liquidant et taxant les frais d'expertise à la somme de 22 791 euros ;

Vu le mémoire après rapport de l'expert, enregistré par télécopie le 14 mars 2007 et régularisé par la production de l'original le 16 mars 2007 et la demande de capitalisation enregistrée le 16 mars 2007, présentés pour la société LEPICARD qui conclut à ce que son préjudice soit porté à la somme de 2 419 568,60 euros, augmentée des intérêts au taux légal lesquels seront capitalisés ; qu'elle fait valoir qu'elle n'a pas d'observations à formuler sur la méthode préconisée par l'expert pour déterminer son préjudice ; qu'elle constate que l'homme de l'art a écarté la méthodologie du ministre, laquelle était discutable ; qu'elle conteste cependant les déductions opérées en ce qui concerne la détermination du préjudice lié au coût des travaux déjà réalisés ; que les frais d'acquisition du terrain d'implantation du nouveau silo à Yerville et les frais accessoires liés à cette acquisition doivent être réintégrés ; qu'il en va de même des frais de mise en conformité avec la réglementation sur les installations classées qui ne peuvent rester à sa charge dès lors que l'administration a demandé la fermeture de l'installation ; que la somme de 96 900 euros devra être ainsi réintégrée ; que la déduction par l'expert de l'engin de levage et de manutention de type Manitou n'est pas justifiée dès lors que cette acquisition a été rendue nécessaire par la suppression des installations de Yerville en vue du déplacement des céréales dans les nouvelles installations ; qu'en ce qui concerne la détermination du préjudice lié au coût des travaux restant à réaliser, son chiffrage procède de devis réactualisés à partir d'une authentique mise en concurrence d'entreprises alors même qu'il n'y était pas tenu ; qu'en ce qui concerne la mise en adéquation des capacités de stockage des anciennes et des nouvelles installations, l'expert n'a procédé à une telle déduction qu'en ce qui concerne le silo horizontal, le nouveau ayant une capacité supérieure à l'ancien mais en ce qui concerne le silo vertical les deux silos ayant une capacité identique ; que cette position devra être confirmée ; qu'elle maintient ses observations en ce qui concerne l'abattement de vétusté ; que la minoration du préjudice relatif aux pertes d'exploitation subies, indexée sur le taux d'impôt sur les sociétés, lui apparaît critiquable ; qu'elle maintient donc que le préjudice qu'elle a subi du fait des surcoûts d'exploitation dus à la fermeture de ses installations s'élève à la somme de 96 725 euros ;

Vu le mémoire après renvoi, enregistré le 21 août 2007, présenté par le ministre d'Etat, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables qui demande à la Cour, à titre principal, de rejeter la requête de la société LEPICARD, à titre subsidiaire, d'évaluer le préjudice réellement subi par cette société à une somme inférieure ou égale à 405 008,83 euros, en tout état de cause, à condamner la société LEPICARD à lui verser la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que la fermeture du site de Yerville constituant un aléa normal d'une activité particulièrement dangereuse dont la société avait connaissance, aucun préjudice anormal et spécial n'a donc été subi ; qu'il s'agit là d'une jurisprudence constante, récemment réaffirmée ; qu'en outre, le juge recherche également si la victime ne s'est pas placée dans une situation de risque ; qu'en l'espèce, la mesure de fermeture a été prise en application de l'article 15 de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées en vue des buts visés par l'article 1er de cette loi ; que non seulement l'activité en cause était dangereuse mais en outre le comportement de la société LEPICARD n'était pas exempt de tout reproche ; qu'un établissement scolaire était situé à proximité du silo lequel présentait un risque d'incendie et d'explosion ainsi que d'ensevelissement en cas d'effondrement ; que les installations étaient vétustes ; que l'étude de dangers prescrite par arrêté préfectoral du 19 octobre 1992 n'a été remise à l'administration que tardivement, après mise en demeure, et a imposé un renforcement des prescriptions applicables prises par arrêté du 15 avril 1994 ; qu'une nouvelle étude de dangers a été demandée à l'exploitant qui n'a pas été d'une réactivité remarquable ; que la société LEPICARD supportait donc un aléa important du fait de son activité ; qu'à titre subsidiaire, des observations seront faites suite au dépôt du rapport d'expertise ; qu'il est critiquable en tant qu'il n'a pas tenu compte de la méthode préconisée pour l'évaluation du préjudice ; qu'en effet, le préjudice doit être évalué non au regard du coût de construction d'un nouveau silo mais de l'anticipation de l'investissement qui aurait de toute façon dû être réalisé par la société LEPICARD pour remplacer ses installations anciennes du site de Yerville qui étaient totalement amorties et qui auraient dû nécessiter des dépenses d'investissement découlant du renouvellement des équipements et des grosses réparations ; qu'ainsi en construisant de nouvelles installations, la société n'a fait qu'anticiper un investissement de toute façon inéluctable ; que ce sont donc les frais financiers découlant de l'anticipation de cet investissement qui doivent être pris en compte sous réserve de la déduction des économies réalisées du fait des dépenses d'entretien, de réparation et de maintenance qui auraient dû être normalement supportées et des coûts de construction moindre compte tenu des hausses constatées ; que la société n'a pas produit tous les éléments réclamés en cours d'expertise ; que, dès lors, faute d'avoir suivi cette méthode et faute d'apporter les éléments nécessaires à une juste appréciation de son préjudice, la société n'est pas fondée à demander une quelconque indemnité ; que sur le montant proposé, il prend acte des réserves formulées par l'expert qui conduisent à reconnaître le caractère souvent incertain de l'évaluation proposée ; que la société ne peut prétendre obtenir le remboursement des frais d'acquisition du terrain d'assiette des nouvelles installations, ce dernier restant dans son patrimoine ; que les frais de mise en conformité avec la réglementation auraient de toute façon dû être exposés et découlent de l'exploitation normale de l'installation ; que les frais de mise en conformité passés ne sont pas à confondre avec ceux prévus pour l'avenir et qui ont été reportés sur les constructions nouvelles ; que, toutefois, la somme retenue par l'expert à ce titre s'éloigne à tort du montant de 150 000 euros évalué par la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire) ; que s'il partage l'avis de l'expert sur l'absence d'indemnisation de l'engin de levage et de manutention de type Manitou qui pouvait être réutilisé sur l'autre site de Yerville II, il ne s'explique pas l'analyse différente de l'expert à propos d'autres biens mobiliers déplaçables, achetés neufs alors que la société disposait de biens équivalents sur l'ancien site de Yerville (ponts à bascule, ventilateurs, bâche et élévateur) ; que les coûts générés par le démontage de ces éléments ne sont pas justifiés ; qu'il convient de déduire la totalité de ces sommes, soit le montant de 209 900,21 euros, et non seulement de 14 269 euros ; que devaient être déduits des frais de construction plusieurs montants découlant de travaux effectués sur d'autres sites de la même société ; que, sur la facture du 31 juillet 2002, seuls 21 945,55 euros sont rattachables au site de Yerville et, sur la facture du 27 juin 2002, seuls 15 172 euros sont également rattachables à ce site ; qu'il en va de même du « raccordement pose ventilateur » et du « pont à bascule » déjà déduits car constituant des mobiliers qui auraient pu être réutilisés ; que si l'expert a, à juste titre, tenu à mettre en adéquation les capacités de stockage anciennes et à venir et a ainsi pratiqué un abattement sur le coût des travaux du silo horizontal d'une capacité supérieure au précédent, il a, toutefois, omis de soustraire de la valeur brute du silo plat reconstruit le coût total des travaux de mise en conformité et le coût des autres biens mobiliers qui auraient pu être réutilisés ainsi que le coût des travaux, fournitures et prestations imputables à d'autres installations de la société ; qu'après abattement de

40 %, le montant devra être ainsi ramené de 360 000 euros à 97 348,55 euros ; que le coût du nouveau silo vertical à construire a été évalué de manière exagérée par l'expert à hauteur de

1 788 000 euros et devrait être ramené à la somme de 1 230 000 euros ; qu'en effet, l'expert a accepté de prendre en compte une demande de réactualisation du coût de construction sollicitée par la société pourtant à seule fin de neutraliser l'abattement de vétusté qui risquait d'être pratiqué ; que cette réactualisation ne peut, en outre, s'analyser comme un préjudice continu mais constitue une conclusion nouvelle imputable à l'auteur de la demande qui a choisi, par un acte de gestion qui lui est opposable, de ne pas engager les travaux dès qu'il pouvait le faire ; qu'en outre, aucune mise en concurrence réelle et sérieuse n'a été organisée par la société LEPICARD pour choisir les constructeurs, fournisseurs et prestataires de service, qui même si aucune obligation ne pesait en ce sens sur la société, se serait avérée utile et pertinente ; qu'il conviendrait dès lors de pratiquer un abattement supplémentaire sur le montant des travaux à réaliser, ce taux étant très raisonnable au regard des gains financiers que la société pourra retirer ultérieurement d'une mise en concurrence ; que le montant de 1 230 000 euros doit être alors ramené à la somme de 1 107 000 euros ; que déduction faite également d'une subvention départementale d'investissement d'un montant de

152 500 euros, le montant susceptible d'être alloué s'établit à 954 500 euros hors abattement de vétusté, pour les travaux restant à exécuter ; que la vétusté du bien dont la reconstruction est envisagée, peut et doit être prise en compte ainsi que la jurisprudence le confirme, à défaut de quoi la société LEPICARD bénéficierait d'un véritable enrichissement sans cause ; que le montant retenu par l'expert de 31 % est cependant contestable ; qu'en l'espèce, ce coefficient devrait être doublé eu égard aux erreurs relevées et à l'amortissement intégral des installations ; que le préjudice tenant aux coûts de construction s'élève alors à la somme de 399 702,45 euros en valeur nette après abattement ; qu'en ce qui concerne le manque à gagner et les pertes sur activité commerciale alléguées, plusieurs observations sont à formuler par rapport aux conclusions de l'expert ; que, pour le calcul de la perte de capacité de stockage, seule la date de fermeture administrative du site, soit le 5 février 2002, doit être prise en considération et non la date d'arrêt décidée antérieurement par la société elle-même ; que l'activité de stockage ne peut être calculée hors vacances scolaires alors que la société s'était engagée à n'exercer son activité qu'au cours des périodes de vacances scolaires ; que la perte de capacité de stockage doit être alors ramenée à 30 jours ; que la différence de capacité de stockage est uniquement imputable à la décision de la société LEPICARD qui a décidé de ne pas construire immédiatement le silo vertical comme elle l'a fait pour le silo horizontal ;

Vu le mémoire après renvoi, enregistré le 9 novembre 2007, présenté pour la société LEPICARD, dont le siège est situé 21 rue Jacques Ferny à Yerville (76760), par la SCP Boivin et associés ; la société demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0202153 du Tribunal administratif de Rouen en date du

30 décembre 2004 ;

2°) d'annuler la décision de rejet que le ministre de l'écologie et du développement durable

a, le 24 septembre 2002, opposé à sa demande d'indemnisation ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser, à titre principal, la somme de 2 419 568,6 euros et, à titre subsidiaire, de 1 883 527,8 euros, assortie des intérêts de droit à compter de la demande préalable en date du 3 juin 2002 et des intérêts capitalisés à compter du 13 janvier 2004 ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 000 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que sa demande indemnitaire est fondée dans son principe ; que l'argumentation développée par le ministre qui conteste son droit à indemnité sur le fondement de la responsabilité sans faute, repose sur une mauvaise foi manifeste, une dénaturation grossière des faits de l'espèce et est dépourvue de toute pertinence ; que la décision du Conseil d'Etat du 26 juillet 2007 n'a pas entendu substituer au critère d'exclusion de la responsabilité sans faute tiré du silence du législateur un nouveau critère tiré de l'aléa pour écarter toute responsabilité au titre des mesures fondées sur l'article L. 514-7 alinéa 2 du code de l'environnement ; qu'au contraire, l'anormalité du dommage doit s'apprécier au cas par cas et au regard de l'aléa auquel s'est volontairement exposée la personne victime du dommage causé par une mesure légale ; que l'arrêt de la Cour a été seulement censuré en ce qu'il n'avait pas, d'un point de vue formel, procédé à une telle appréciation ; qu'il y a lieu, par suite, de confirmer la solution dégagée par l'arrêt Ax'ion du 2 novembre 2005 ; qu'en l'espèce, elle ne s'est nullement exposée à un quelconque aléa en décidant d'implanter ses installations de stockage de céréales sur le territoire de la commune de Yerville ; que, d'autre part, l'exception du risque accepté ne conduit pas nécessairement à une absence de toute indemnisation mais à une réduction de celle-ci aux dépens de la victime ; qu'en tout état de cause, l'aléa doit nécessairement avoir été préalablement connu ou avoir été, à tout le moins, prévisible ; que les dangers relatifs aux installations de stockage de céréales n'ayant été décelés qu'à partir de la catastrophe de Metz en 1982, ce n'est vraiment qu'à partir du 30 août 1985, date d'entrée en vigueur du décret du

30 juillet 1985, que ces installations n'ont été soumises à la législation sur les installations classées sous la rubrique 376 bis et ce n'est qu'en 1987, soit quinze ans après l'implantation de la société qu'ont été instaurées les premières prescriptions techniques concernant les silos soumis au régime déclaratif et notamment les règles d'éloignement entre cette catégorie de silos et les immeubles occupés par des tiers ; que, par ailleurs, si le silo était implanté à proximité d'une école préexistante, d'autres services se sont installés à proximité du silo postérieurement à sa mise en service ; que le durcissement de la législation date de l'accident de Blaye du mois d'août 1998 ; que ce n'est qu'à partir de 1999 qu'est intervenue la première mesure de fermeture des silos sur le fondement de la législation relative aux installations classées ; que, parmi les trois mesures prises postérieurement à ce précédent, se trouve la mesure la concernant en 2002 puis deux autres décisions de 2004 ; que les installations en cause de stockage de céréales n'étaient pas visées par la déclaration effectuée en 1986 (qui concernait une installation de stockage agro-pharmaceutique dont l'exploitation a été abandonnée en 1994) mais remontaient à 1972 ; qu'ainsi, elle n'a pu s'exposer à un quelconque aléa puisque les activités supprimées n'étaient pas initialement comprises dans le champ d'application de la législation relative aux installations classées et ne l'ont été qu'à partir de 1985 ; qu'elle ne pouvait prévoir qu'elle serait susceptible d'être passible d'une mesure de fermeture ; que dans les années 1970, le choix d'implanter des installations de stockage de céréales au sein même d'une bourgade située dans une région agricole présentait un caractère tout à fait courant ; que ses installations ne se trouvaient pas dans une situation de précarité particulière ; que lorsqu'elle s'est implantée, elle n'était soumise à aucun régime d'autorisation particulier et que les titres d'exploitation dont bénéficient les exploitants d'installations classées ne sauraient être assimilés à des autorisations précaires ; que, du fait de leur antériorité, elle bénéficiait, en outre, de droits acquis ainsi que

l'article L. 513-1 du code de l'environnement l'a d'ailleurs consacré ; que les prétendues irrégularités qui lui sont reprochées sont dépourvues de liens avec la mesure de suppression ordonnée par le décret du 4 février 2002 ; qu'elle n'a fait l'objet que d'un seul arrêté de mise en demeure en 30 ans d'activité, qui ne portait d'ailleurs que sur le retard dans la remise d'une étude de dangers dont l'élaboration avait été retardée ; que cette remise a été régularisée début 1994 ; que l'indicent de départ de feu qui s'est produit dans un silo de Belmesnil en août 2004 est unique et tout à fait circonscrit ; qu'en outre, la décision de fermeture prise ne constitue pas juridiquement une sanction mais une mesure de police administrative ; qu'aucune des sanctions prévues par le code de l'environnement n'a d'ailleurs été prise à son encontre ; qu'elle n'est donc pas à l'origine de la décision de fermeture qui a été prise ; que les mesures d'aménagement du fonctionnement des installations proposées juste avant la décision de fermeture ne sont pas de nature à démontrer que celle-ci se serait soumise volontairement à un aléa mais témoignent d'une volonté de sa part de rechercher toutes les solutions possibles en vue d'éviter la suppression envisagée par l'administration ; que c'est par un singulier retournement que le ministre tire argument de ses propositions au détriment de la société ; qu'elle n'a jamais reconnu que la suppression de ses installations procédait de dangers irrémédiables générés par celles-ci ; qu'elle a, en réalité, été victime d'un changement d'appréciation des risques présentés par les installations de stockage de céréales en zone urbanisée depuis l'accident de Blaye en 1998, compte tenu notamment, en l'espèce, de la proximité d'une école et de la mairie et de la pression de la population ; qu'en revanche, les installations n'ont subi aucune modification des capacités de stockage ou des conditions d'exploitation depuis 1985 ; que le sacrifice qui lui est demandé pour le seul bénéfice des riverains immédiats des installations, reflet d'une évolution sociale majeure conduisant à la remise en cause de situations acquises, constitue incontestablement un préjudice anormal qu'il convient de réparer sur le terrain de la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques ; que la méthode de détermination du préjudice préconisée par le ministre a été écartée à bon droit par l'expert ; qu'une telle méthode modifiait le périmètre de la mission confiée à l'expert ; qu'en outre, cette méthode était erronée dans ses prémisses et ne correspond à aucun mode de détermination du préjudice connu en droit de la responsabilité administrative ; qu'en effet, l'investissement dans de nouveaux silos ne se justifie pas uniquement par la nécessité de fermer des silos existants et qui ont été amortis mais correspond également à une stratégie de développement de la capacité de stockage ; qu'en cas d'obsolescence d'un bien, est prise en compte sa valeur vénale ou celle du bien de remplacement ; qu'en ce qui concerne l'évaluation des frais exposés par la société LEPICARD, plusieurs observations doivent être formulées ; que le coût des mesures de non-conformité ne devait pas être déduit du montant de l'indemnité réclamée ; que le ministre en a fait une évaluation exagérée, au regard notamment des constatations de la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, partiellement reprises par l'expert ; qu'en cas de non-conformités constatées, il aurait appartenu, par ailleurs, à l'administration qui était tenue de le faire, d'adopter des mises en demeure afin de les rendre opposables à la société ; que, faute d'avoir accompli cette démarche essentielle et qui constitue une garantie pour les exploitants, le ministre ne peut aujourd'hui opposer ces non-conformités alléguées ; que la circonstance qu'elle ait spontanément accepté de mettre en oeuvre certaines mesures correspondant aux constats opérés par la Drire est parfaitement inopérant ; qu'elle peut prétendre obtenir le remboursement des frais exposés qu'elle évalue à 10 000 euros ; que les mesures complémentaires proposées par la société pour éviter la suppression de ses installations ne constituaient pas des mesures de mise en conformité et ne pouvaient donc être exclues ainsi que l'a retenu l'expert ; qu'elle peut donc en demander l'indemnisation dès lors que la suppression a néanmoins été prononcée ; que les demandes de déductions supplémentaires sollicitées par le ministre à hauteur de 209 900 euros devront être écartées dès lors qu'elles sont injustifiées et reposent sur des erreurs grossières ; que l'affirmation selon laquelle les équipements dont s'agit seraient mobiliers et donc déplaçables est fausse ; que plusieurs de ces équipements sont immobiliers ou liés aux installations du site compte tenu de leurs caractéristiques ; que la bâche n'a été acquise que pour les besoins du site en cause ; que le déplacement d'un site à l'autre n'est pas dans tous les cas économiquement rentable ; que les évaluations du ministre comportent de nombreuses erreurs de calcul qu'il conviendra de redresser ; que les dépenses engagées sur d'autres sites qui figurent sur certaines factures n'ont jamais été intégrées dans le chiffrage du préjudice tel que présenté par elle-même ou par l'expert ; que le montant du préjudice subi du fait de la reconstruction d'un silo horizontal équivalent à celui de l'ancien silo de Yerville s'élève à la somme de 534 843,57 euros ; que l'actualisation en valeur 2006 du coût de la reconstruction du silo vertical de Yerville arrêté en 2002 et qui a dû être retardée pour des raisons dont elle a justifié, correspondait à la valeur à la date de remise de son rapport par l'expert ; que le ministre lui fait un procès d'intention en estimant qu'il s'agit pour elle de compenser un abattement pour vétusté ; qu'il ne s'agit pas davantage d'une conclusion nouvelle ; qu'elle n'était pas assujettie aux obligations de mise en concurrence et que, par suite, l'abattement de 10 % proposé par le ministre n'est pas justifié en droit ; qu'au demeurant, la réactualisation des devis a été réalisée à partir d'une authentique mise en concurrence opérée en 2003 et correspond à une fourchette basse ; qu'en ce qui concerne la déduction de la subvention perçue en 2003, il y a lieu de tenir compte du fait qu'elle n'était pas exclusivement corrélée à la construction d'installation de stockage de céréales de remplacement de celles supprimées mais à la construction d'un site comprenant plusieurs installations dépourvues de tout lien avec la suppression litigieuse ; qu'ainsi elle ne porte que très partiellement sur les travaux de reconstruction du nouveau silo de remplacement ; que les dépenses de construction du silo horizontal accomplies avant mai 2003 n'ont pas été subventionnées par le conseil général et que ce n'est qu'à hauteur de 10 % que certaines autres dépenses l'ont été, soit un maximum de 24 985,12 euros, le cas échant, à déduire ; qu'elle maintient ses plus expresses réserves sur l'application d'un abattement de vétusté sur les frais exposés en vue de la reconstruction d'installations équivalentes à celles supprimées ; que le ministre n'avait, au cours de l'expertise, formulé aucun taux pour apprécier ce niveau d'abattement ; que la proposition de doublement formulée désormais par le ministre ne convainc pas ; qu'il y aura lieu de confirmer ou de supprimer le taux retenu ; qu'elle soutient que le montant de son manque à gagner et de ses pertes sur l'activité commerciale durant la période de reconstruction du nouveau silo s'élève à la somme

de 96 725 euros ; qu'en conclusion, son préjudice s'élève à la somme de 2 419 568,60 euros ou à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour retiendrait l'abattement de 31 % retenu par l'expert, à la somme de 1 883 527,80 euros ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré par télécopie le 20 mars 2008 et régularisé par la production de l'original le 21 mars 2008, présenté pour le ministre d'Etat, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables qui tend aux mêmes fins que ses précédentes conclusions par les mêmes moyens ; qu'il fait, en outre, valoir que l'exploitant ne peut utilement se prévaloir de prétendus droits acquis et ne peut sérieusement et utilement prétendre à une antériorité de ses installations par rapport à l'urbanisation environnante ; que le juge administratif admet que l'administration prenne une mesure de fermeture à la suite d'un changement dans l'appréciation des risques sans que cela conduise nécessairement à une indemnisation ; que l'indemnisation du préjudice commercial découlant d'une décision administrative doit rester exceptionnelle ; qu'il n'a pas entendu « récuser » le travail de l'expert ; que la méthode préconisée n'est pas incompatible avec le principe qui tend à l'indemnisation de la valeur vénale du bien ; que c'est en l'absence de communication de la totalité des documents demandés que l'évaluation selon la méthode proposée par l'administration n'a pas été possible ; que les frais de mise en conformité reportés sur les nouvelles installations ne doivent pas être indemnisés ; que la circonstance que l'Etat n'ait pas adressé de mise en demeure sur ce point est sans influence ;

Vu la note en délibéré, enregistrée par télécopie le 28 mars 2008 et régularisée par la production de l'original le 31 mars 2008, présentée pour la société LEPICARD qui, à la suite des conclusions prononcées par le commissaire du gouvernement, entend formuler des observations sur la part de l'aléa qui lui serait opposable, sur l'évaluation du préjudice subi et sur la question de la charge des frais d'expertise ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 mars 2008 à laquelle

siégeaient M. Marc Estève, président de chambre, M. Olivier Yeznikian, président-assesseur et

M. Albert Lequien, premier conseiller :

- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président-assesseur ;

- les observations de Me Memlouk, pour la société LEPICARD, et de Me Bigas, pour le ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire ;

- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, depuis 1972, la société LEPICARD exploitait au centre de la commune de Yerville (Seine-Maritime), notamment à proximité immédiate d'une école primaire mais également non loin d'une maison d'habitation, d'une maison paroissiale, de la mairie et d'un bâtiment abritant les services de La Poste et d'un service des impôts, une installation classée pour la protection de l'environnement de stockage de céréales, grains, produits alimentaires et tout produit organique dégageant des poussières inflammables ; que, par décret en date du 4 février 2002, le Premier ministre a, sur le fondement des articles L. 511-1 et L. 514-7 du code de l'environnement, ordonné la suppression de cette installation comprenant un ensemble de deux silos d'une capacité totale de

8 164 mètres cubes, qui était soumis à déclaration en application de la rubrique n° 2160 de la nomenclature sur les installations classées pour la protection de l'environnement ; que la société LEPICARD recherche la responsabilité de l'Etat à raison du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de cette mesure, d'une part, sur le fondement de l'illégalité fautive qui entacherait le décret de suppression et, d'autre part, sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques ; qu'elle relève appel du jugement, en date du 30 décembre 2004, par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ;

Sur la responsabilité pour faute :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : « Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature et de l'environnement, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique » ; qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 514-7 du même code : « Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis du conseil supérieur des installations classées, peut ordonner la fermeture ou la suppression de toute installation, figurant ou non à la nomenclature, qui présente, pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, des dangers ou inconvénients tels que les mesures prévues par le présent titre ne puissent les faire disparaître » ;

Considérant que la société LEPICARD estime que le décret du Premier ministre, en date du

4 février 2002, qui prononce la suppression de son installation de stockage à Yerville est entaché d'une double illégalité tenant, d'une part, à l'absence d'analyse complète des risques présentés par ses silos et, d'autre part, à l'absence de recherche de solutions alternatives à la procédure de suppression ; qu'il résulte de l'instruction que l'analyse des risques présentés par l'installation en cause et les recherches de solutions résultent d'une étude de dangers, réalisée à la demande de la société et déposée en janvier 2001, de plusieurs inspections et rapports de la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire) ainsi que d'avis de la commission départementale de l'hygiène de la Seine-Maritime et du conseil supérieur des installations classées, instances devant lesquelles le dirigeant de la société LEPICARD a pu formuler ses observations ; que, malgré quelques lacunes méthodologiques qui, selon la Drire, ont eu pour effet de minorer les risques générés par les installations étudiées, l'étude de dangers a fait apparaître que le silo présentait un risque intrinsèque d'explosion des poussières ainsi qu'une fragilité d'une paroi en béton du silo horizontal dit « magasin » créant un risque d'ensevelissement du préau et de la cour de l'établissement scolaire voisin ; que les enquêtes administratives ont également mis en évidence des défauts de conformité aux prescriptions de l'arrêté du 29 juillet 1998 relatif aux silos et installations de stockage de céréales et autres produits, susceptibles d'être corrigés ; que si la société consciente des risques que ses silos faisaient courir à l'environnement immédiat, a proposé de rendre ses installations conformes aux règles en vigueur et d'aménager son activité afin d'éviter les manoeuvres de chargement et de déchargement pendant les périodes scolaires, il ne résulte pas de l'instruction que le Premier ministre, qui n'était pas tenu de procéder à une expertise complémentaire, n'aurait pas recherché des solutions moins contraignantes que la suppression des silos de stockage et aurait fait une inexacte application des dispositions relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement susrappelées en décidant cette suppression après avoir retenu l'existence d'un danger permanent provoqué par le risque d'explosion des silos dans un milieu particulièrement vulnérable et le mauvais état du pignon du silo « magasin » ; que, par suite, la société LEPICARD n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'indemnisation fondée sur la faute qu'aurait commise le Premier ministre en adoptant le décret susmentionné ;

Sur la responsabilité sans faute :

Considérant qu'il résulte des principes qui gouvernent l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat que le silence d'une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en oeuvre ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer ; qu'ainsi, en l'absence même des dispositions le prévoyant expressément, l'exploitant d'une installation, dont la fermeture ou la suppression a été ordonnée sur le fondement de l'article L. 514-7 du code de l'environnement en raison des dangers ou inconvénients qu'elle représentait, est fondé à demander l'indemnisation du dommage qu'il a subi de ce fait lorsque, excédant les aléas que comporte nécessairement une telle exploitation, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement à l'intéressé ;

Considérant que la mesure prononcée par le décret du 4 février 2002 visait spécialement la société LEPICARD et ne s'inscrivait pas dans un mouvement général de suppression des silos de stockage ; qu'elle concernait un site rentable d'une certaine importance dont la fermeture, malgré la relative ancienneté des installations, n'était pas envisagée par la société elle-même dans un avenir immédiat ; que la mesure de suppression a donc créé un préjudice grave et spécial à l'encontre de la société LEPICARD ; que s'il est vrai que l'installation de stockage implantée en 1972 au centre de la partie agglomérée de la commune à moins de cinq mètres d'une école et à proximité de la mairie, puis ultérieurement d'autres établissements recevant du public, n'était pas à l'époque soumise à autorisation ou même à déclaration, l'appréciation de l'aléa que comporte nécessairement l'exploitation d'une activité par nature dangereuse doit se faire, tant par l'exploitant lui-même que par l'administration et le juge administratif, en tenant compte de l'évolution de la connaissance et de la perception des risques engendrés par cette activité dans son environnement et ne dépend pas seulement de la situation initiale ou de la réalisation de ce risque sur le site concerné ; que la valeur de cet aléa peut donc varier selon l'époque à laquelle intervient la mesure administrative et la qualité de l'installation existante ; qu'il résulte de l'instruction que les deux silos qui composent l'installation de Yerville présentent des différences au regard du risque généré et, par suite, de l'aléa que comporte leur maintien en activité dans le cadre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ; que le silo dit « magasin » d'une hauteur de huit mètres d'une capacité de 4 303 mètres cubes, est, bien qu'horizontal, en l'espèce, davantage vulnérable du fait de sa structure en béton, d'une ventilation limitée et surtout de la vétusté de sa paroi menacée d'éventration et qui crée ainsi un risque spécifique d'ensevelissement de la cour de l'école et de son préau situés à moins de cinq mètres ; que, dès lors, la suppression administrative de ce silo déjà ancien ne peut être regardée comme excédant les aléas que comporte nécessairement son exploitation ; que l'exploitation du silo dit ACMB, à structure métallique, d'une capacité plus réduite de 3 861 mètres cubes, soumis au régime de la déclaration, compte tenu de la capacité totale de l'ensemble de l'installation, crée principalement un danger d'explosion et d'incendie inhérent au fonctionnement de ce type d'installation verticale mais dont la probabilité demeure faible ; que, toutefois, le silo, déjà ancien, étant, à la date où la suppression est intervenue, implanté dans un environnement particulièrement vulnérable, l'exploitant ne pouvait ignorer, compte tenu de l'évolution des études sur les risques générés par ce type de silo et de la sensibilité particulière de l'opinion à cette catégorie d'installation en secteur d'habitation, le caractère fortement aléatoire du maintien de cette structure sur son site traditionnel alors même qu'elle était implantée en milieu rural ; que le dommage résultant de la suppression de ce silo dont la mise en conformité aux normes en vigueur restait envisageable, n'excède donc, à la date à laquelle la mesure de suppression est intervenue, qu'en partie les aléas que comporte nécessairement son exploitation ; qu'ainsi, il sera fait une juste appréciation de la part du préjudice devant être supportée, en l'espèce, par l'Etat sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques, en la limitant à trente pour cent du montant indemnisable ;

Considérant qu'il résulte du rapport de l'expert, dont la méthode d'évaluation du préjudice n'est pas, dans son principe, sérieusement critiquée même si une autre méthode pouvait être envisagée, que le coût de remplacement d'un silo de type vertical s'élève, au regard des devis produits et qui n'apparaissent pas en l'espèce manifestement surévalués à 1 423 000 euros en valeur 2002, aucun « correctif d'équivalence des structures » ne devant être appliqué à ce nouveau silo dont la capacité est identique à celui qu'il remplace selon les constatations non contredites de l'expert ; qu'il n'y a pas lieu d'actualiser cette somme en 2006, comme le préconise l'expert, dès lors que la suppression du silo était certaine à la date du décret du 4 février 2002 -et avait d'ailleurs été anticipée par la société dès septembre 2001 pour tenir compte de la procédure administrative engagée-, et que le délai mis par la société LEPICARD pour remplacer son silo relève, dans les circonstances de l'espèce, d'un acte de gestion qui lui est opposable ; que, conformément aux conclusions de l'expert, qui ne sont pas davantage sur ce point sérieusement critiquées, un correctif de l'ordre de trente et un pour cent au titre de la vétusté du bâtiment supprimé devra être appliqué ; qu'il y aura également lieu de déduire du montant de la réparation non pas l'intégralité mais seulement une partie de la subvention de 152 500 euros qui a été accordée à la société par le conseil général de la

Seine-Maritime en vue d'accompagner son développement sur le site de Yerville II par une aide à la construction d'un bâtiment de stockage de céréales en vue du remplacement du silo vertical, mais également de bâtiments destinés au stockage de produits phytosanitaires et à l'installation d'une chaîne d'ensachage d'aliments du bétail et de mélanges de matières premières en vrac selon les termes de l'arrêté de subvention du 10 février 2004 ; que, dans les circonstances de l'espèce compte tenu de l'objet de la subvention et faute de justificatifs rendant compte de sa répartition exacte entre les bâtiments dont s'agit, il sera fait une juste appréciation en déduisant un tiers de son montant de celui dû au titre de la réparation réclamée ; qu'il ne résulte pas, en revanche, de l'instruction que l'utilité de l'engin de levage et de manutention de type « Manitou », non pris en compte par l'expert dans son évaluation de l'indemnité, serait limitée aux opérations de transfert des céréales stockées à Yerville I ; qu'en revanche, contrairement à ce que soutient le ministre, il ne résulte pas du rapport de l'expert ou d'autres pièces du dossier qu'il y aurait lieu de déduire le montant d'autres éléments d'exploitation tels que le pont à bascule, les ventilateurs, la bâche et l'élévateur, que la société pourrait, selon l'administration, récupérer de son site initial pour les valoriser sur son nouveau site d'exploitation ; que les frais de mise en conformité des installations anciennes devaient, en tout état de cause, être supportés par la société et ne peuvent entrer dans la réparation ; que les terrains du nouveau site, destinés notamment à l'implantation du nouveau silo vertical, faisant partie du patrimoine de la société, au même titre d'ailleurs que les terrains du centre bourg, leur coût d'acquisition ne constituent pas, dès lors et par lui-même, un préjudice indemnisable ; que le manque à gagner et les pertes supportées seront évalués, pour le seul silo vertical, conformément aux constatations de l'expert, sur une base de huit mois d'exploitation effective calculés à partir de septembre 2001, la société n'ayant alors fait que tenir compte de manière anticipée des nouvelles exigences de sécurité ; que les pertes ultérieures sont la conséquence directe d'actes de gestion opposables à la société LEPICARD ; qu'eu égard à la part de responsabilité mise à la charge de l'Etat, il sera fait une juste appréciation de l'indemnité à laquelle la société LEPICARD peut prétendre, au titre de son préjudice global, en retenant la somme de 285 000 euros ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2002, date de la réclamation préalable ; que la demande de capitalisation de ces intérêts a été présentée pour la première fois devant le Tribunal administratif de Rouen à sa date d'enregistrement soit le 15, et non le 13 janvier 2004 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que les intérêts échus à chaque date anniversaire produiront ensuite, eux-mêmes intérêts ; qu'il suit de ce qui précède que la société LEPICARD est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a rejeté la totalité de sa demande indemnitaire ;

Considérant que les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 22 791 euros avancés par la société LEPICARD seront mis à la charge de l'Etat ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie principalement perdante, la somme de 3 000 euros en paiement du montant que réclame la société LEPICARD sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, la demande présentée par l'Etat sur le même fondement ne pourra qu'être rejetée ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0202153, en date du 30 décembre 2004, du Tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à la société LEPICARD la somme de 285 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts légaux à compter du 3 juin 2002. Les intérêts échus à la date du

15 janvier 2004 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à la société LEPICARD la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 22 791 euros, avancés par la société LEPICARD, sont mis à la charge définitive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société LEPICARD et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.

Copie sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.

2

N°05DA00307


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 05DA00307
Date de la décision : 24/04/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Tricot
Rapporteur ?: M. Alain Stéphan
Rapporteur public ?: M. Lepers
Avocat(s) : SCP BOIVIN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2008-04-24;05da00307 ?
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