Vu la requête, enregistrée le 24 janvier 2005 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la société anonyme POLYCHIM, dont le siège est ZIP Mardyck, route d'Artois à Loon-Plage (59279), par Me Legrand ; la société POLYCHIM demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0004096 en date du 9 novembre 2004 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 1993 et 1994 ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que le Tribunal administratif a commis une erreur de droit en refusant de considérer que l'administration avait implicitement mis en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dès lors que le service ne s'est pas borné à qualifier de libéralités une fraction du prix payé par ses clients du groupe X mais qu'il a invoqué le caractère fictif ou mensonger de cette fraction de prix ; que la substitution de motifs par l'administration n'efface pas le vice qui affecte la régularité de la procédure d'imposition ; que le Tribunal a procédé à une appréciation inexacte des faits dès lors que les prix de vente plus élevés pratiqués avec certains clients candidats à l'achat des granulés de polypropylène sont justifiés par la technicité particulière développée au profit de ces clients ; que toute la production de granulés suradditivés est destinée à être vendue aux sociétés du groupe X ; que cette prétendue surfacturation ne présente, en outre, aucun caractère systématique ; que cette surfacturation alléguée n'est ni significative, ni délibérée ; que l'abandon des redressements notifiés à la société Ideal Fibers, appartenant au groupe X est de nature à établir la spécificité des granulés de polypropylène suradditivés par rapport aux granulés standard simplement additivés ; que l'administration a déjà expressément reconnu la différence entre les productions vendues ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu la mise en demeure adressée le 20 mars 2006 au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2006, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; il conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que la procédure n'est pas entachée d'irrégularité dès lors que le vérificateur s'est borné à constater l'existence d'une surfacturation des ventes réalisées au profit des sociétés du groupe X et à en tirer les conséquences pour l'application de l'article 208 quinquies du code général des impôts ; qu'aucune substitution de motifs n'a été opérée ; que la contribuable ne justifie pas de l'éventuelle amélioration apportée aux produits livrés aux clients du groupe X dès lors que le surcoût engendré par le procédé de suradditivation appliqué à ces produits a été pris en considération par l'administration au cours du contrôle ; que le caractère systématique de la surfacturation est établi par l'existence de prix fixés indépendamment des cours de la matière vendue ; que la qualification de libéralité doit être maintenue dès lors que le supplément de prix ne repose sur aucune justification ; que l'abandon des redressements notifiés à la société Ideal Fibers n'est pas opposable à l'administration s'agissant d'une décision individuelle concernant un autre contribuable, qui n'est pas expressément motivée et qui est fondée sur la mise en oeuvre d'un texte différent de celui qui a été retenu pour asseoir les redressements ;
Vu le mémoire, enregistré le 12 mai 2006, présenté pour la société POLYCHIM ; elle conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 22 juin 2006, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; il conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 octobre 2006 à laquelle siégeaient Mme Câm Vân Helmholtz, président de chambre, M. Patrick Minne et M. Manuel Delamarre, premiers conseillers :
- le rapport de M. Patrick Minne, premier conseiller ;
- les observations de Me Legrand, pour la société POLYCHIM ;
- et les conclusions de M. Olivier Mesmin d'Estienne, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : « Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (…) b) (…) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; (…) L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. » ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 208 quinquies du code général des impôts : « I. Les personnes morales soumises de plein droit ou sur option à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun, qui, dans les cinq ans de l'institution de l'une des zones prévues à l'article 1er de l'ordonnance n° 86-1113 du 15 octobre 1986, se seront créées pour y exploiter une entreprise, sont exonérées de cet impôt à raison des bénéfices réalisés jusqu'au terme du cent vingtième mois suivant leur création. Les personnes morales créées dans le cadre d'une concentration ou d'une restructuration d'activités préexistant dans la zone ou pour la reprise de telles activités ne peuvent pas bénéficier de cette exonération. II. L'exonération prévue au I ne s'applique pas : 1° Aux produits des actions ou parts de société, et aux résultats de participations dans des organismes mentionnés aux articles 8, 8 quater, 8 quinquies, 239 quater et 239 quater B ; 2° Aux subventions, libéralités et abandons de créances ; (…) » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 1993 et 1994, l'administration fiscale a remis en cause le régime d'exonération d'impôt sur les sociétés prévu par les dispositions précitées de l'article 208 quinquies du code général des impôts sous lequel s'était placée la société POLYCHIM, créée dans une zone d'entreprises prévue par l'ordonnance du 15 décembre 1986, au motif qu'une fraction du prix payé par certains de ses clients en contrepartie de l'acquisition de granulés de polypropylène produits par la société requérante présentait la nature de libéralités exclues du champ d'application de l'exonération ;
Considérant que l'administration, qui n'a pas écarté les contrats de vente conclus avec certaines entreprises clientes, s'est bornée à apprécier la nature des suppléments de prix payés par ces clientes au regard des dispositions de l'article 208 quinquies précité ; qu'en requalifiant ces suppléments de prix en libéralités, le service s'est livré à un examen des conditions prévues par ces dispositions, sans se placer, fut-ce implicitement, sur le terrain de la procédure de répression des abus de droit, ni opérer, d'ailleurs, de substitution de motifs au cours de la procédure d'imposition ; que, par suite, la société POLYCHIM n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été privée des garanties propres à la procédure prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne le terrain de la loi fiscale :
Considérant, en premier lieu, que la société POLYCHIM ne conteste plus, en appel, l'existence de liens particuliers entre elle-même et onze sociétés clientes en raison de leur appartenance commune à un ensemble d'entreprises spécialisées dans la production de tapis et moquettes, issues de l'ancien groupe X et dirigées par les membre de la famille Y;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que la société POLYCHIM produisait, au cours des exercices 1993 et 1994 en litige, du polypropylène sous forme de granulés ; que sur la dizaine de types de granulés produits par ses installations situées dans la zone d'entreprises du bassin d'emploi de Dunkerque, sept types de granulés faisaient l'objet d'un traitement spécial consistant, par un procédé de « suradditivation » chimique, à leur procurer de meilleures propriétés en termes de résistance à la casse et à la lumière ; que cette partie de la production de granulés de polypropylène suradditivés était destinée à la fabrication de fils gonflants continus pour les moquettes, de fibres pour les tapis aiguilletés et de bandelettes pour le tuftage de moquettes ; que, parmi ces sept types de granulés, quatre d'entre eux, à savoir les types A10TB, B10FB, C10BB et D10BS, étaient vendus aux sociétés de l'ancien groupe X moyennant des prix que l'administration a considéré comme excessifs ; que celle-ci a estimé que le supplément de prix acquitté par les sociétés clientes de la société POLYCHIM constituait une libéralité échappant au régime de l'exonération prévue par les dispositions du II de l'article 208 quinquies précitées du code général des impôts ;
Considérant que la société POLYCHIM soutient que 100 % de la production de granulés suradditivés étaient vendus aux sociétés issues du groupe X et non 93 %, comme l'a jugé à tort le Tribunal administratif qui a également estimé que le reste était cédé à des entreprises de production de tapis et moquettes extérieures au périmètre de l'ancien groupe X ; que, toutefois, il ne ressort pas du document dénommé « analyse des expéditions clients » établi pour les années 1993 et 1994, qui s'avère une simple liste des clients répartis par pays, annotée pour indiquer l'activité de chacun de ces acheteurs et ne contenant aucune répartition selon la nature de produits vendus, que l'intégralité de la production de granulés suradditivés était commercialisée au profit des sociétés membres de l'ancien groupe X ; qu'au surplus, la requérante, en s'appuyant sur la liste précitée, exposait dans sa demande présentée aux premiers juges que les clients extérieurs au périmètre de l'ancien groupe X recourait « quasi-exclusivement » à des granulés standards, n'excluant pas qu'une fraction, même résiduelle, de sa production spéciale, était cédée à d'autres fabricants ; qu'enfin, en se bornant à soutenir qu'elle n'avait aucun intérêt à vendre lesdits granulés suradditivés aux clients étrangers à la sphère de l'ancien groupe X pour conserver un avantage concurrentiel dans le segment des fils, fibres et bandelettes utiles à la fabrication des tapis et moquettes, la société POLYCHIM n'établit pas plus ses allégations dès lors qu'elle indique
elle-même que depuis sa création, la commercialisation de sa production s'effectue progressivement en direction de clients étrangers à l'ancien groupe X ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la pratique de facturation des produits spéciaux destinés aux sociétés de l'ancien groupe X reposait sur des prix fixés indépendamment des quantités livrées, selon des périodicités plus longues et, par conséquent, indépendantes des cours mondiaux des granulés de polypropylène alors que les prix pratiqués à l'égard des autres clients étaient arrêtés en fonction des quantités livrées et évoluaient mensuellement en fonction de la variation, parfois importante, des cours mondiaux ; que si la société POLYCHIM soutient que, au cours des quatre derniers mois de la période en litige, et à compter du mois d'août 1994 pour le granulé type A10TB, les prix pratiqués avec les autres entreprises clientes étaient supérieurs à ceux réclamés aux sociétés membres de l'ancien groupe X, cette seule circonstance, isolée, n'est pas de nature à priver de leur pertinence les constatations opérées par l'administration sur le caractère systématique de la surfacturation des livraisons réalisées avec les sociétés de l'ancien groupe X ;
Considérant que la société POLYCHIM soutient que le supplément de prix demandé aux sociétés de l'ancien groupe X est justifié par la qualité supérieure des granulés suradditivés ; que ce prix plus élevé intègre, en particulier, le surcoût de production représenté par la valorisation du savoir-faire correspondant au processus de suradditivation, le coût du stockage rendu nécessaire par l'absence de conditionnement et le mode de livraison ainsi que par le gain de productivité procuré aux entreprises clientes qui ont vu diminuer sur la période en litige leur taux de déchets et accroître leurs rendements en matière d'extrusion et de tissage ; qu'au cours de la procédure de vérification, l'administration a retenu le surcoût de 0,03 franc au kg, proposé par la contribuable et lié à la mise en place du procédé de suradditivation ; que si la société POLYCHIM soutient qu'en l'absence de marché des granulés suradditivés, il y a lieu de se référer exclusivement à l'utilité que ses clientes retirent de ces produits spécifiques, elle n'apporte pas la preuve que le surcoût retenu par le vérificateur sur la base de données objectives communiquées par elle serait encore sous évalué en se référant au seul chiffre d'affaires réalisé par deux des onze sociétés clientes ; que la requérante ne présente pas de proposition chiffrée, formant une méthode alternative plus affinée que celle suivie par le service, pour identifier le surcoût afférent à chaque type de granulés suradditivés, étant précisé qu'elle ne conteste pas ne pas avoir identifié ces productions spéciales à l'occasion de l'évaluation de ses stocks et qu'elle ne soutient pas avoir installé de matériels propres pour produire ces granulés ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'à concurrence du supplément de prix pratiqué à l'égard des sociétés de l'ancien groupe X par la société POLYCHIM à l'occasion de la vente de ses granulés suradditivés, les sommes perçues par la contribuable ont à bon droit été regardées comme des libéralités au sens des dispositions précitées de l'article 208 quinquies du code général des impôts et exclues comme telles du bénéfice de l'exonération prévue par ce texte ;
En ce qui concerne le terrain de l'interprétation administrative de la loi fiscale :
Considérant la société POLYCHIM ne peut, en tout état de cause, utilement se prévaloir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, de l'abandon d'un redressement notifié à la société Ideal Fibers, juridiquement distincte ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société POLYCHIM n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société POLYCHIM demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société anonyme POLYCHIM est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme POLYCHIM et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie sera transmise au directeur du contrôle fiscal Nord.
N°05DA00071 2