Vu la requête, enregistrée le 11 août 2005 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Henri X, demeurant ..., par Me Le Gall, avocat ; M. X demande à la Cour :
11) d'annuler le jugement n° 0300114 en date du 26 mai 2005 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'association syndicale de la Charentonne et de l'Etat à lui verser, d'une part, une somme de 252 241,56 euros toutes taxes comprises en réparation du préjudice subi du fait de l'impossibilité d'exploiter son installation hydraulique et, d'autre part, une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de condamner solidairement l'Etat et l'association syndicale de la Charentonne à lui verser les sommes de 252 241,56 euros au titre du préjudice subi et 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) d'ordonner une expertise afin de déterminer le préjudice exact subi par M. X, correspondant au bénéfice net qui aurait dû être dégagé par l'exploitation normale de l'usine hydroélectrique sise sur sa propriété depuis la date d'acquisition de ladite usine, si cette exploitation n'avait pas été empêchée illégalement de fonctionner ;
Il soutient que le jugement attaqué repose sur une dénaturation des pièces du dossier et sur des erreurs de droit ; que la reprise de son exploitation hydraulique a été rendue impossible en raison du mauvais état de la berge et de l'ouverture d'une brèche au droit de la propriété des consorts Y, brèche qui a eu pour effet de détourner l'eau de la rivière de sorte que le niveau d'eau nécessaire à l'exploitation de la turbine ne peut plus être atteint ; que le préfet n'a pas pris les mesures nécessaires pour garantir l'application de l'arrêté du 29 mai 1972 qui constitue une mesure de police ; qu'il n'existe aucun rapport direct entre l'arrêté du 29 mai 1972 imposant la réparation de la rive et l'arrêté du 22 mars 1974 imposant la construction d'une digue autour de la carrière mise en eau ; que l'absence de construction de cette digue n'a aucune influence sur le niveau de la retenue de son exploitation ; que si le 19 juillet 1997, les consorts Y ont été mis en demeure de réparer la brèche toujours présente dans la rive droite de la rivière et qu'un procès-verbal d'infraction a été dressé le 13 novembre 1997, ces deux mesures, présentées à tort comme des mesures d'exécution, concernent la prétendue exécution de l'arrêté du 29 mai 1972 et non celle de l'arrêté du
22 mars 1974 ; que ces deux actes ne peuvent être considérés comme de véritables mesures d'exécution de l'arrêté du 29 mai 1972 ; que la mise en demeure du 29 juillet 1997 et le
procès-verbal d'infraction du 13 novembre 1997 ne peuvent être qualifiés de mesures d'exécution de l'arrêté du 29 mai 1972, dès lors que le procès-verbal qui a été classé sans suite n'a eu aucune conséquence sur l'application de l'arrêté et n'a pas abouti à la réparation de la berge ; qu'en s'abstenant d'user de son pouvoir de police, qui lui permettait de poursuivre l'exécution complète de l'arrêté du 29 mai 1972 ordonnant la remise en état de la brèche située sur la rive droite de la rivière la Charentonne, le préfet a commis une illégalité fautive ; que le jugement qui n'a pas répondu au moyen tiré de la rupture de l'égalité devant les charges publiques doit être annulé ; que le comportement de l'administration a provoqué une rupture d'égalité devant les charges publiques au détriment de M. X qui a subi un préjudice anormal et spécial ; que le seul fait que l'exploitation ne fonctionnait plus depuis 1970 ne peut lui être opposé puisque sa demande indemnitaire repose sur le préjudice subi du fait de l'impossibilité de turbiner à compter de l'autorisation de remise en état des vannages en date du 19 avril 1989 ; qu'il était en droit d'acquérir cette installation afin de la remettre en production et que l'absence de fonctionnement de l'usine au moment de l'acquisition ne peut lui être opposée ; que la digue entourant la ballastière n'a jamais eu pour objet ou pour effet de maintenir la retenue à un niveau suffisant pour assurer l'exploitation de la turbine ; que l'impossibilité d'exploiter l'installation hydroélectrique provient exclusivement de l'absence de toute réparation de la brèche située sur la rive droite ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2006, présenté par le ministre de l'écologie et du développement durable qui conclut au rejet de la requête de M. X ; il soutient que l'arrêté du 29 mai 1972 est un arrêté d'autorisation temporaire et non de police, pris à la demande de l'entreprise Z qui a été autorisée à exploiter une carrière par arrêté du
22 mars 1974 ; que les arrêtés préfectoraux du 29 mai 1972 et du 22 mars 1974 sont complémentaires dès lors que la digue que M. X a refusé de construire, aurait pu permettre la consolidation des berges et, éventuellement le maintien d'un niveau d'eau suffisant pour assurer le fonctionnement minimum de la turbine de l'ouvrage hydraulique ; que les mises en demeure des 29 juillet et 5 septembre 1997, ainsi que le procès-verbal du 13 novembre 1997, constituent des mesures d'exécution de l'arrêté du 29 mai 1972 dans la mesure où elles enjoignent aux consorts Y de combler la brèche qui est située au même niveau que l'usine hydroélectrique ; qu'il n'appartient pas au préfet de décider de la suite à donner au procès-verbal du 13 novembre 1997 qui a été classé sans suite par la justice ; que le procès-verbal du
13 novembre 1997 fait respecter la mise en demeure du 29 juillet 1997, adressée aux consorts Y, mais qu'elle a été considérée comme un acte fondé sur des faits matériellement inexacts, le fossé ayant été créé par M. X et non par les consorts Y ; que par lettre du
24 août 1984, le directeur départemental de l'agriculture et de la forêt a précisé que le réaménagement consistant en la réalisation d'un déversoir imposé par le préfet à l'entreprise Z était assez satisfaisant et le requérant n'est donc pas fondé à prétendre que l'Etat n'a pas contrôlé le respect de l'arrêté préfectoral du 22 mars 1974 ; que le défaut d'application d'une réglementation ne constitue pas une décision administrative de nature à entraîner une responsabilité sans faute fondée sur la rupture d'égalité devant les charges publiques et qu'ainsi le moyen tiré de l'anormalité et de la spécialité du préjudice allégué est donc inopérant ; qu'il n'est pas prouvé que l'impossibilité d'exploiter l'installation hydroélectrique ne provient que de l'absence de toute réparation de la brèche située sur la berge de la rive droite et le procès-verbal de visite indique que le 12 janvier 1990, M. X avait renforcé les berges en rive droite, ce qui n'avait cependant pas permis d'atteindre le niveau légal ; que l'arrêté préfectoral du 8 novembre 1990 autorisait
M. X à modifier son déversoir pour permettre le fonctionnement de sa turbine mais ces travaux n'ont pas été réalisés ; qu'il apparaît, au vu du procès-verbal de visite des lieux, établi par la direction départementale de l'agriculture et de la forêt de l'Eure le 12 janvier 1990, que le retour au niveau légal de la retenue, matérialisé par une plaque de fonte, provoquerait la submersion des propriétés riveraines ;
Vu le mémoire, enregistré le 20 mars 2006, présenté pour M. X, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 6 avril 2006, présenté pour M. X, qui conclut aux mêmes fins que le précédent mémoire par les mêmes moyens et produit une lettre du
27 octobre 2005, adressée par le maire de Ferrière Saint-Hilaire au ministre de l'agriculture et de la pêche et au ministre de l'écologie et du développement durable ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 octobre 2006 à laquelle siégeaient Mme Christiane Tricot, président de chambre, M. Olivier Yeznikian, président-assesseur et
M. Albert Lequien, premier conseiller :
- le rapport de M. Albert Lequien, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête de M. X est dirigée contre un jugement du
26 mai 2005 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'association syndicale de la Charentonne et de l'Etat à lui verser une somme de 252 241,56 euros toutes taxes comprises en réparation du préjudice subi du fait de l'impossibilité d'exploiter son installation hydraulique ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu'il ressort de l'examen du jugement de première instance que le Tribunal administratif de Rouen a omis de statuer sur le moyen soulevé par M. X tiré de la rupture de l'égalité devant les charges publiques ; qu'ainsi, le jugement du Tribunal administratif de Rouen en date du 26 mai 2005 doit être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Rouen ;
Sur les conclusions aux fins de condamnation de l'Etat et de l'association syndicale de la Charentonne sur le fondement de la responsabilité pour faute et pour rupture d'égalité devant les charges publiques :
Considérant que M. X, qui a acquis par acte du 26 octobre 1988, une parcelle de terrain sise à Ferrières Saint-Hilaire comprenant une turbine, des aménagements de rivière et des vannages et qui a été autorisé par le préfet de l'Eure, d'une part, par arrêté du 19 avril 1989, à mettre en eau basse la rivière de la Charentonne afin de procéder aux travaux de remise en état des vannages de façon à permettre la reprise de l'exploitation hydroélectrique, d'autre part, par arrêté du 8 novembre 1990, à araser de trente centimètres le déversoir situé à gauche de la chambre de turbine de la centrale électrique qu'il possède, soutient que l'Etat et l'association syndicale de la Charentonne ont commis des fautes dans l'exercice de leurs pouvoirs de police en s'abstenant de prendre les mesures d'exécution de deux arrêtés édictés par le préfet de l'Eure, les 29 mai 1972 et
22 mars 1974 ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'installation hydraulique acquise par
M. X en 1988, ne fonctionnait plus depuis 1970, et que le niveau d'eau fixé dans l'autorisation d'exploiter de 1854 n'avait plus été atteint depuis 1950 et ne pouvait plus l'être sans causer l'inondation des terrains situés rive gauche ; qu'il n'est pas établi par les pièces du dossier que la réfection de la berge droite de la rivière autorisée par l'arrêté du 29 mai 1972 et la création de la digue prévue par l'arrêté du 22 mars 1974 auraient permis d'augmenter le niveau d'eau à un seuil qui aurait été suffisant pour assurer le fonctionnement de l'installation hydraulique de
M. X ; qu'ainsi, le lien de causalité direct et certain entre le préjudice invoqué par
M. X et des faits imputables à l'Etat et à l'association syndicale de la Charentonne n'est pas établi ; que, dès lors, contrairement à ce que soutient M. X, l'Etat et l'association syndicale de la Charentonne ne peuvent voir leur responsabilité engagée sur le fondement de la responsabilité pour faute ; que la responsabilité de l'Etat et de l'association syndicale de la Charentonne ne peut davantage être engagée sur le fondement de la responsabilité pour rupture d'égalité devant les charges publiques dès lors qu'en tout état de cause, le préjudice allégué par le requérant ne présente pas un caractère spécial et anormal ;
Considérant que M. X fait également valoir qu'un arrêté de mise en demeure du préfet de l'Eure en date du 29 juillet 1997 à l'encontre des consorts Y, auxquels il était reproché d'avoir creusé sans autorisation au début de l'année 1996 un fossé dérivant les eaux de la Charentonne sur un terrain leur appartenant, n'a pas été suivi d'effet ; que toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que, en s'abstenant de mettre une troisième fois en demeure les consorts Y après le classement sans suite d'un procès-verbal dressé à leur encontre le 13 novembre 1997 pour les faits ci-dessus énumérés, par l'officier du ministère public en raison de l'incertitude de leur culpabilité, le préfet ait commis une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ; qu'en outre, comme il a été dit, la responsabilité de l'Etat ne peut davantage être engagée sur le fondement de la responsabilité pour rupture d'égalité devant les charges publiques dès lors que le préjudice allégué par le requérant ne présente pas un caractère spécial et anormal ; qu'en tout état de cause, M. X n'établit aucun lien de causalité entre les faits qu'il reproche aux consorts Ys et le préjudice qu'il invoque en raison de l'impossibilité d'exploiter son installation ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu d'ordonner l'expertise sollicitée, que la demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Rouen est rejetée ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat et l'association syndicale de la Charentonne qui ne sont pas, dans les instances présentées devant le tribunal administratif et devant la Cour, les parties perdantes, soient condamnés à payer à M. X les sommes qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. X la somme de un euro symbolique demandée en première instance par l'association syndicale de la Charentonne au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0300114 du Tribunal administratif de Rouen en date du
26 mai 2005 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Rouen et le surplus des conclusions de sa requête devant la cour administrative d'appel sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions de l'association syndicale de la Charentonne présentées devant le Tribunal administratif de Rouen tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Henri X, à l'association syndicale de la Charentonne, au ministre de l'écologie et du développement durable et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.
Copie sera transmise au préfet de l'Eure.
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N°05DA01052