Vu le recours, enregistré le 19 avril 2005 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la Cour :
1) d'annuler l'article 2 du jugement n° 0103242 en date du 23 décembre 2004 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a accordé à la société Chambry Distribution la décharge du complément d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1994, en ce qu'il a trait à la garantie d'emprunt accordée à la société Invesdis ;
2°) de remettre intégralement l'imposition contestée à la charge de la société Chambry Distribution ;
Il soutient que l'exécution de l'engagement de caution envers la société Invesdis n'était pas déductible en raison de son caractère anormal ; que la société Chambry Distribution n'entretenait aucune relation commerciale, financière ou capitalistique directe avec la société Invesdis ; que le seul intérêt du groupe Leclerc ne justifiait pas cette garantie ; que ni la société Invesdis ni la société Glenmark n'étaient adhérentes de l'association des centres distributeurs Leclerc ; que la société Chambry Distribution n'avait aucune obligation contractuelle d'offrir sa garantie à la société Invesdis ; qu'elle n'a pu justifier d'aucun intérêt pour son exploitation ni d'aucune contrepartie à cette opération ; qu'en payant une dette au lieu et place de la société Invesdis, elle détenait une créance à son égard dont il n'est pas établi qu'elle aurait été définitivement irrécouvrable à la clôture de l'exercice 1994 ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 février 2006, présenté pour la société par actions simplifiée Chambry Distribution, par Me X..., avocat, qui conclut au rejet du recours du ministre et, en outre, à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient qu'en qualité de membre du mouvement Leclerc, elle est tenue d'adhérer à ses différentes structures afin de participer à la mise en oeuvre de la politique commerciale du mouvement, sous peine d'être sanctionnée par le retrait du panonceau « E. Leclerc » ; que l'appartenance au mouvement comporte un caractère contraignant comme il ressort des termes des statuts de l'association des centres distributeurs Leclerc ; que ces engagements comportent des contreparties dans les avantages attachés à l'appartenance au mouvement ; que comme les autres entreprises de distribution, le réseau Leclerc devait se développer sur le plan international pour améliorer les conditions d'achat et donc les marges des entreprises membres du réseau ; que ce développement international permet également la promotion de salariés du réseau ; que la garantie accordée à la société Invesdis est la conséquence de son appartenance au réseau Leclerc ; que la normalité de l'acte de gestion doit être appréciée par rapport non seulement aux obligations contractuelles mais également aux usages ; que l'absence de relation commerciale, financière ou capitalistique directe avec la société Invesdis ne s'oppose pas à l'existence d'un intérêt social ; que la société Chambry Distribution avait d'ailleurs une participation directe dans la société Invesdis ; qu'en tout état de cause, la créance envers la société Invesdis était irrécouvrable à la clôture de l'exercice 1994 ;
Vu l'ordonnance en date du 4 avril 2006 portant clôture de l'instruction au 9 mai 2006 ;
Vu le mémoire, enregistré le 13 avril 2006, présenté pour la société Chambry Distribution qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et se prévaut d'une décision du Conseil d'Etat du 6 mars 2006 ;
Vu le mémoire, enregistré le 28 avril 2006, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 11 mai 2006, présenté pour la société Chambry Distribution qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;
Vu l'ordonnance en date du 16 mai 2006 portant report de la clôture de l'instruction au 13 juin 2006 ;
Vu le mémoire, enregistré le 9 juin 2006, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE qui confirme ses précédentes écritures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 septembre 2006 à laquelle siégeaient M. Alain Dupouy, président, MM. Alain de Pontonx et Jean-Eric Soyez, premiers conseillers :
- le rapport de M. Alain de Pontonx, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Pierre Le Garzic, commissaire du gouvernement ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société anonyme Chambry Distribution, qui exploite un centre commercial E. Leclerc à Chambry (Aisne), était associée de la société IDD à hauteur de 0,38 % de son capital ; que la société IDD détenait elle-même 95 % du capital de la société Invesdis, société de droit américain qui avait pour objet la promotion d'hypermarchés aux Etats-Unis ; que la société Invesdis a procédé à un investissement immobilier aux Etats-Unis dans le but de créer un hypermarché exploité par la société Glenmarck, sous l'enseigne Leedmarck ; que la société Chambry Distribution s'est portée caution solidaire d'un prêt immobilier accordé par une banque américaine à la société Invesdis et qu'à la suite de la défaillance de cette dernière, elle a procédé en 1994 au versement d'une somme de 250 000 francs en exécution de son engagement ; que l'administration a remis en cause la déduction de cette somme de l'assiette de l'impôt sur les sociétés de la société Chambry Distribution au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1994 ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE fait appel du jugement en date du 23 décembre 2004 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a prononcé la décharge du complément d'impôt sur les sociétés résultant de ce redressement ;
Considérant que pour apporter la preuve de l'existence d'un acte anormal de gestion, l'administration fait valoir que la société Chambry Distribution ne retirait aucune contrepartie de sa participation financière au développement du mouvement « E. Leclerc » à l'étranger, qu'elle n'entretenait pas de relation commerciale ou financière directe avec la société Invesdis et n'avait aucune obligation contractuelle d'offrir sa garantie en cas de non remboursement de l'emprunt qu'elle avait contracté ;
Considérant que la société Chambry Distribution soutient qu'elle trouvait un intérêt dans la souscription de cet engagement de garantie dès lors qu'il trouve sa contrepartie dans l'appartenance au réseau Leclerc qui procure à chacune des sociétés du groupement des avantages de clientèle et de prix de revient liés notamment au renom de l'enseigne et aux économies ou ristournes réalisées sur les approvisionnements grâce à un référencement national et à l'utilisation de centrales d'achats à forme coopérative ; que toutefois si elle invoque un principe de solidarité qui oblige les membres de l'association des centres distributeurs Leclerc à aider financièrement les nouveaux membres agréés, l'administration soutient sans être contredite que la garantie apportée à la société de droit américain Invesdis se situait en dehors du système de parrainage spécifique au mouvement E. Leclerc et que cette société n'avait, pas davantage que la société exploitante, sous l'enseigne Leedmarck, adhéré à l'association des centres distributeurs Leclerc ;
Considérant que si la société intimée soutient également que la garantie apportée à la société de droit américain Invesdis constitue l'une des obligations contractuelles qui conditionne l'appartenance et le maintien au sein du mouvement E. Leclerc et que la méconnaissance de cette obligation peut avoir pour conséquence l'éviction de ce mouvement et, par suite, la résiliation du contrat de panonceau permettant l'attribution et l'utilisation de l'enseigne commerciale E. Leclerc, il ne ressort pas de l'examen des statuts de l'association des centres distributeurs Leclerc ni du contrat type de panonceau E. Leclerc que le refus de donner sa garantie à la société Invesdis constituerait un manquement aux obligations contractuelles des membres du mouvement E. Leclerc ; qu'il ne ressort pas non plus de l'instruction que ce refus constituerait un motif grave justifiant une résiliation du contrat qui pourrait lui-même avoir pour conséquence l'exclusion dudit mouvement et la perte des avantages liés à son appartenance, alors que, comme il a été dit, la garantie apportée à la société Invesdis se trouvait en dehors du système de parrainage Leclerc et donc du principe de solidarité qui l'anime ;
Considérant que les retombées en termes d'image dont la société Chambry estime qu'elle aurait pu bénéficier en contrepartie de l'aide apportée ne sont pas établies ; qu'ainsi et nonobstant la circonstance que le développement international du mouvement E. Leclerc est de nature à permettre d'améliorer les conditions d'achat et donc indirectement les marges des entreprises membres du réseau, la garantie apportée par la société Chambry Distribution ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme la contrepartie des avantages qu'elle retire elle-même directement de son adhésion au mouvement E. Leclerc ;
Considérant ainsi que l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de l'existence d'un acte anormal de gestion à raison de l'engagement de caution souscrit au profit de la société Invesdis et justifier ainsi le refus de la déduction par la société Chambry Distribution de la somme versée en exécution de l'engagement de caution au titre de l'exercice 1994 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le Tribunal administratif d'Amiens s'est fondé sur l'absence d'acte anormal de gestion pour accorder à la société Chambry Distribution la décharge du complément d' impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1994, en ce qu'il a trait à la garantie d'emprunt accordée à la société Invesdis ;
Considérant que la société Chambry Distribution soutient devant la Cour que le paiement par elle d'une dette en lieu et place de la société Invesdis à la suite de l'exécution de l'engagement de garantie a entraîné la création à son profit d'une créance sur ladite société et que le recouvrement de cette créance étant compromis, elle était fondée à en comprendre le montant dans ses charges déductibles, en raison de son caractère irrécouvrable ; que toutefois la société Chambry Distribution n'établit pas que cette créance aurait été définitivement irrécouvrable à la date de clôture de l'exercice 1994 ; que dès lors la créance en cause ne peut être regardée comme correspondant à cette date à une perte définitive et ne pouvait donc faire l'objet d'une déduction de l'assiette de l' impôt sur les sociétés au titre de cet exercice ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé à demander l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué et le rétablissement de la société Chambry Distribution au rôle de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 1994, pour un montant de 12 704 euros ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation » ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la société Chambry Distribution la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement du Tribunal administratif d'Amiens en date du 23 décembre 2004 est annulé.
Article 2 : Le complément d'impôt sur les sociétés auquel la société Chambry Distribution a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1994 est remis à sa charge à concurrence de la somme de 12 704 euros.
Article 3 : Les conclusions de la société Chambry Distribution tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la société par actions simplifiée Chambry Distribution.
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N°05DA00424