Vu la requête, enregistrée le 7 juin 2005 au greffe de la Cour administrative de Douai, présentée pour M. Xavier Y..., par la SCP d'avocats Debavelaere-Becuwe-Thevelin-Teyssedre et Delannoy ; M. Y... demande à la Cour :
11) d'annuler le jugement n° 0202188 en date du 17 mars 2005 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa requête tendant à la condamnation de la commune d'Illies à lui verser une indemnité de 408 144,13 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision du maire de la commune d'Illies portant refus de permis de construire ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de condamner la commune d'Illies à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient qu'en invoquant l'arrêté préfectoral du 6 décembre 1999 pour rejeter la requête, le Tribunal a anticipé une décision purement éventuelle de l'administration alors qu'il ne lui appartenait pas de se substituer à elle ; que, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal, il ne pouvait, sans s'exposer à des modifications éventuelles de législations, reprendre la réalisation de son projet dès l'annulation du refus de permis de construire ; que le préjudice qu'il a subi a été déterminé précisément par l'organisme qui l'assiste et ne saurait être regardé comme éventuel ; qu'il avait ainsi un droit acquis à l'exploitation d'un établissement classé par la déclaration qu'il aurait faite auprès de l'administration ;
Vu le mémoire, enregistré le 2 septembre 2005, présenté pour la commune d'Illies qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. Y... à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que la requête apparaît tardive et irrecevable ; que même si M. Y... avait obtenu le permis de construire, il n'aurait pas eu la possibilité d'exploiter, compte tenu de l'insuffisance de contenance de fosse à lisier pour un projet prévoyant quatre cent cinquante six animaux, des difficultés soulevées par le plan d'épandage ainsi que des difficultés techniques et financières du projet ; que le préjudice allégué ne présentait ainsi pas de caractère certain et de lien de causalité avec la décision annulée ; que le préjudice allégué est inexistant ou purement hypothétique dès lors qu'il n'est pas établi que l'exploitation aurait généré le bénéfice revendiqué ; qu'il est constant que le requérant n'a pas repris la réalisation de son projet dès l'annulation de son permis de construire et qu'il ne saurait donc prétendre, en tout état de cause, au remboursement de frais inutilement exposés ;
Vu le mémoire, enregistré le 28 octobre 2005, présenté pour M. Y..., qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, que sa requête est recevable, le jugement attaqué lui ayant été notifié le 20 avril 2005 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 76-663 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 juin 2006, à laquelle siégeaient Mme Christiane Tricot, président de chambre, M. Olivier Yeznikian, président-assesseur et
Mme Agnès Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Agnès Eliot, conseiller ;
- les observations de Me Z..., pour M. Y..., et de Me X..., pour la commune d'Illies ;
- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Y... a reçu le
20 avril 2005 notification du jugement attaqué du Tribunal administratif de Lille en date
17 mars 2005 ; que, dès lors, sa requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le 7 juin 2005, n'est pas tardive ;
Sur la responsabilité de la commune d'Illies :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par arrêté en date du 26 novembre 1998, le maire d'Illies a refusé d'accorder à M. Y..., agriculteur, un permis de construire pour la construction et l'extension de bâtiments agricoles à usage de porcherie en se fondant sur l'absence d'autorisation d'exploiter une installation de plus de quatre cent cinquante animaux et sur les insuffisances et les inexactitudes du plan d'épandage ; qu'en raison, d'une part, de l'indépendance de la législation sur le permis de construire et de la législation sur les installations classées interdisant au maire, dès lors que le pétitionnaire avait produit dans sa demande un récépissé de déclaration, de rechercher si la construction projetée relevait du régime de la déclaration ou de celui de l'autorisation, d'autre part, de la circonstance que l'autorité administrative n'avait pas à demander le plan d'épandage qui ne figure pas au nombre des pièces que doit comprendre le dossier de permis de construire, cette décision a été annulée par le jugement du tribunal administratif de Lille en date du
14 décembre 2000, devenu définitif ;
Considérant que M. Y... a demandé devant le Tribunal administratif de Lille la condamnation de la commune d'Illies à réparer le préjudice qu'il a subi du fait de l'illégalité fautive de la décision précitée ; que, par jugement en date du 17 mars 2005, dont M. Y... fait appel, le Tribunal administratif de Lille a rejeté la requête de l'intéressé ;
Considérant que si la faute tirée de l'illégalité de l'arrêté annulé, commise par la commune d'Illies, est de nature à engager sa responsabilité, le demandeur ne peut avoir droit qu'à la réparation des préjudices qui présentent un lien de causalité direct avec l'illégalité fautive ;
En ce qui concerne le préjudice tiré de la perte de revenus :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que dans le cadre de son installation
M. Y... avait dès juillet 1998 signé un contrat avec la société ABS Qualinord qui définissait les conditions de production et de vente porcine et prévoyait notamment la mise en place du cheptel le 1er juillet 1999 ; que l'intéressé soutient que, contraint de s'implanter sur un autre site, il n'a pu commencer sa nouvelle exploitation qu'en septembre 2001 et a en conséquence subi une perte de revenus et bénéfices sur une période de trois ans ; que, d'une part, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, la circonstance que M. Y... n'ait pas appliqué un arrêté du préfet du Nord en date du 16 décembre 1999 lui imposant de réaliser une étude agro-pédologique des sols, sur lesquels les épandages de lisier de son élevage porcin devaient être effectués, afin de préciser l'impact prévisible de ces épandages sur la qualité des eaux souterraines de son exploitation, ne constituait pas un obstacle juridique au démarrage de ladite exploitation dès lors qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 19 juillet 1976, le préfet ne peut imposer des prescriptions spéciales à l'exploitant d'une installation classée soumise à déclaration qu'après que cette installation ait commencé à fonctionner ; que, par voie de conséquence, il n'est pas établi qu'à la date à laquelle l'exploitant entendait démarrer sa porcherie, le plan d'épandage prévu par l'intéressé ait été contraire aux dispositions législatives et réglementaires relatives à la protection des eaux et des sols ; que, par ailleurs, il est constant que les bâtiments existants comportaient déjà quatre fosses à lisier d'une capacité totale de 281 m3 et que le permis de construire prévoyait la construction d'une fosse d'une capacité utile de 671 m3 ; que si cette capacité ne correspondait pas à celle de 3495 m3 que l'exploitant avait déclaré à la préfecture et si M. Y... ne précise pas la capacité de fosses sur caillebotis qu'il aurait pu aménager, les conditions techniques de l'exploitation telles que sus-précisées n'interdisaient pas complètement le démarrage de l'exploitation mais étaient seulement de nature à limiter, au moins pour les premières années, l'ampleur du projet à un cheptel plus réduit, ce que d'ailleurs M. Y... a fait sur un autre site ; qu'enfin, il résulte de l'instruction que M. Y... avait obtenu des engagements et des accords de plusieurs établissements bancaires pour financer, sous forme d'emprunt, les investissements nécessaires au démarrage de l'exploitation estimés à la somme de 645 774,04 euros (4 236 000 francs), achat du cheptel compris ; que, par suite, la commune d'Illies n'est pas fondée à soutenir que le projet d'exploitation était économiquement irréalisable ; que, dans ces conditions, l'exploitant doit être regardé comme justifiant d'un préjudice certain et direct résultant du refus illégal de permis de construire ; qu'il y a lieu cependant de limiter l'évaluation de ce préjudice, d'une part, aux revenus que
M. Y... aurait dû percevoir pendant deux années dès lors qu'il ressort de l'instruction que celui-ci a pu démarrer son exploitation sur un autre lieu en 2001 alors qu'il prévoyait la mise en place du cheptel en 1999, d'autre part, ainsi qu'il vient d'être dit, en tenant compte d'un cheptel moins important que celui initialement prévu, correspondant à la capacité totale effective de 952 m3 des fosses à lisier installées sur l'exploitation située à Illies ;
Considérant que pour justifier du montant du manque à gagner subi du fait du retard pris pendant trois années dans la construction des bâtiments et, par suite, dans le démarrage de son exploitation, M. Y... produit une expertise qui se fonde sur le revenu cumulé qu'aurait pu percevoir l'exploitant entre 1999, date à laquelle il avait prévu de commencer son exploitation et l'année 2028, correspondant à l'âge de sa retraite et demande une indemnité correspondant au 3/29ème de ce revenu ; que cette simulation trop aléatoire ne permet pas d'évaluer de manière suffisamment précise et certaine le préjudice subi par l'intéressé ; qu'il ressort cependant de l'instruction, et notamment de la synthèse de la comptabilité relative aux premières années d'exploitation de la porcherie sur le nouveau site, établie par le centre d'économie rurale à la demande de l'exploitant, que ce dernier a perçu comme revenus pendant la première année la somme de 29 680 euros et pendant la seconde année la somme de 65 603 francs pour un cheptel annuel respectif de deux cents et de deux cent cinquante animaux ; qu'il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par M. Y... qui n'aurait pu élever sur le site de la commune d'Illies qu'un cheptel réduit par rapport à ses prévisions, compte tenu de la capacité effective des fosses à lisier projetées, en fixant le montant de sa réparation à la somme de 53 000 euros ;
En ce qui concerne les autres préjudices :
Considérant, d'une part, qu'il n'est pas établi ni même allégué que l'étude réalisée par la société ABS Qualinord pour examiner la faisabilité du projet d'exploitation sur la commune d'Illies, n'a pas été utile à la mise en oeuvre et à la réalisation du projet que M. Y... a décidé, à la suite de la décision de refus de permis de construire du maire d'Illies, de transférer sur des parcelles situées sur la commune d'Arneke ; que, d'autre part, si M. Y... soutient qu'il a dû subir des frais de déménagement, il admet lui-même qu'il a dû vendre sa maison pour obtenir des liquidités afin de financer son projet et trouver un logement provisoire ; qu'en outre, il résulte de l'instruction que domicilié à Mons en Pévèle, il aurait dû, en tout état de cause, engager de tels frais pour habiter sur le lieu où devait être installée la porcherie ; qu'enfin, l'appelant ne saurait prétendre au remboursement du coût de l'expertise établie afin de déterminer le montant de ce préjudice dès lors qu'il résulte de ce qui précède que celle-ci n'a pas été utile dans la présente instance ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Y... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa requête ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. Y... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à la commune d'Illies la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Illies au profit de M. Y... la somme de 1 500 euros en application des mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Lille en date du 17 mars 2005 est annulé.
Article 2 : La commune d'Illies versera à M. Y... la somme de 53 000 euros.
Article 3 : La commune d'Illies versera à M. Y... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune d'Illies tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Xavier Y... et à la commune d'Illies.
Copie sera transmise au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience du 22 juin 2006, à laquelle siégeaient :
- Mme Christiane Tricot, président de chambre,
- M. Olivier Yeznikian, président-assesseur,
- Mme Agnès Eliot, conseiller,
Lu en audience publique, le 3 août 2006.
Le rapporteur,
Signé : A. ELIOT
Le président de chambre,
Signé : C. B...
Le greffier,
Signé : B. A...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le Greffier
B. A...
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N°05DA00676