Vu la requête, enregistrée le 13 mai 2004, présentée pour la société anonyme PEPINIERES DE HAUTE-NORMANDIE (SAPHN), dont le siège est 1215 route de Neufchâtel à Isneauville (76230), par Me Sarrazin, avocat ; la SAPHN demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9802080 en date du 16 décembre 2003 en tant que le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à la décharge de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie, en droits et intérêts de retard, au titre de l'exercice clos le 30 avril 1992 ;
2°) de prononcer la décharge demandée et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que ledit jugement est entaché d'un défaut de réponse aux moyens tirés de la consultation de la SAPHN sur sa cession, du niveau de prix de cette cession, et de l'absence d'avantage financier retiré par les cédants ; que les premiers juges lui ont attribué à tort la charge de la preuve de l'acte anormal de gestion ; que le contrat de bail du 3 février 1984 prévoyait une renonciation préalable à toute indemnité pour résiliation anticipée en raison, d'une part, du faible niveau de loyer stipulé et, d'autre part, de l'extension éventuelle de la voirie routière ; que les consorts X n'ont retiré nul avantage financier de la libération anticipée des terres louées ; que les premiers juges ont estimé à tort qu'une clause de non-concurrence ne pouvait compenser la renonciation à un droit à bail ; à titre subsidiaire, que le montant de l'avantage consenti devait être évalué par référence au loyer stipulé, et non aux indemnités d'éviction versées dans des circonstances comparables ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2004, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie qui conclut au rejet de la requête ; à cette fin, il fait valoir que le redressement est fondé non sur le niveau du prix de cession, mais sur la renonciation à une indemnité pour résiliation anticipée du bail ; que les conditions particulières du contrat de bail n'excluaient aucunement le droit de réclamer une indemnité d'éviction ; que le faible niveau de loyer stipulé n'était pas en rapport avec une renonciation à l'indemnité d'éviction ; qu'une telle renonciation est présumée un acte anormal de gestion ; que, dans les autres cessions consenties à la même époque par les consorts X, une indemnité d'éviction a été versée ; que la clause de non-concurrence ne saurait par nature compenser la perte d'un élément d'actif ; qu'en raison du caractère irrégulier de l'activité de jardinerie exploitée par la requérante et de la cession à la société Leroy Merlin de la majorité du capital social de la SAPHN, cette clause ne constituait aucunement une contrepartie réelle et sérieuse ;
Vu l'ordonnance en date du 20 décembre 2005 fixant la clôture de l'instruction au 20 janvier 2006 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 mars 2006 à laquelle siégeaient M. Philippe Couzinet, président de chambre, M. Alain Dupouy, président-assesseur et M. Jean-Eric Soyez, premier conseiller :
- le rapport de M. Jean-Eric Soyez, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Jérôme Michel, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il est constant qu'en première instance, la société anonyme PEPINIERES DE HAUTE-NORMANDIE (SAPHN) avait fait valoir que ses organes délibérants avaient été consultés sur la cession à la société Leroy Merlin, le 18 octobre 1991, de terrains loués aux consorts X, que cette cession avait été conclue à un prix proche de transactions comparables intervenues entre mars et octobre 1991, et que les cédants n'avaient retiré aucun avantage financier de cette opération ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en première instance, la requérante avait soulevé un moyen tiré de ce qu'en renonçant à toute indemnisation à la suite de la résiliation anticipée d'un bail conclu le 3 février 1984, avec effet au 1er novembre 1983, elle n'avait pas commis en faveur des consorts X un acte anormal de gestion ; qu'ainsi, les éléments rappelés ci-dessus doivent être regardés comme des arguments, à l'appui de ce moyen, auxquels le juge de l'impôt n'est jamais tenu de répondre ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant un tel avantage, l'entreprise a agi dans son propre intérêt ; que s'il appartient à l'administration d'apporter la preuve de faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'une renonciation à recettes consentie par une entreprise à un tiers constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a pu bénéficier en retour de contreparties ;
En ce qui concerne le principe de l'acte anormal de gestion :
Considérant qu'il est constant que, lors de la cession en date du 18 octobre 1991 à la société Leroy Merlin de parcelles louées par l'indivision X, le bail dont était titulaire la SAPHN courait encore sur dix ans ;
Considérant, en premier lieu, que le service relève à juste titre qu'il ressort des conditions particulières du contrat conclu le 3 février 1984 que les terrains loués excédaient la superficie strictement nécessaire à l'exploitation de la pépinière, et n'avaient été pris à bail qu'en vue, d'une part, d'une rotation entre les parcelles à usage de pépinières et de grande culture, d'autre part, le cas échéant, dans le but de supporter une aliénation au domaine public liée au développement de l'urbanisation, du commerce et de la voirie ; que le caractère surabondant de ces terrains justifiait un niveau de loyer correspondant à celui des terres à usage de grande culture, très inférieur à celui des terres à usage de pépinières ; qu'ainsi, le service établit qu'aucune de ces stipulations n'excluait d'avance une indemnisation en cas de résiliation anticipée du bail à l'initiative des consorts X ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il est soutenu que les consorts X n'ont retiré de la libération anticipée des terres louées aucun avantage relatif au prix de cession et que seul l'acquéreur a effectivement bénéficié de la renonciation de la SAPHN à toute indemnité d'éviction ; que, toutefois, il n'est pas contesté qu'à la date de cession des parcelles, l'exécution du contrat imposait aux bailleurs l'obligation de maintenir sur les lieux la preneuse jusqu'à l'expiration du bail ; que, dans ces conditions, dans la mesure où les consorts X ont été déliés de cette obligation sans qu'aucune indemnité ne leur fût réclamée, l'administration démontre que la SAPHN a consenti un abandon de recettes au profit de ses bailleurs ;
Considérant, en troisième lieu, que l'abandon de recettes consenti par une entreprise au profit d'un tiers ne relève pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf si l'entreprise justifie d'une contrepartie ;
Considérant qu'il ressort de l'acte de cession du 18 octobre 1991 que l'acquéreuse s'engageait pendant trente ans à ne commercialiser ni végétaux, ni terres ou engrais, ni produits d'alimentation animale, sauf en cas de fermeture ou de changement d'activité de la SAPHN ou de ses successeurs ; qu'il n'est pas contesté que cette clause de non-concurrence modifiait les conditions d'exploitation de la SAPHN, alors que la renonciation à une indemnité d'éviction doit être qualifiée d'abandon portant en tout ou partie sur un élément d'actif immobilisé ; que l'acte de cession des parcelles du 18 octobre 1991 a été conclu en échange de l'acquisition des titres de la SAPHN détenus par l'indivision X, et sous condition suspensive de l'autorisation administrative d'ouverture d'une surface de vente d'au moins 2 200 m² ; qu'ainsi, l'acquéreur devenu actionnaire majoritaire de la SAPHN pouvait à discrétion modifier son activité et, par là, retirer toute portée à la clause de non-concurrence mentionnée ci-dessus ; qu'en se bornant à alléguer sans aucun justificatif qu'elle est présentement la pépinière la plus importante de la région, la requérante ne démontre pas qu'eu égard à l'ensemble des termes de la transaction intervenue entre la société Leroy Merlin et les consorts X, elle avait retiré de cette clause une contrepartie réelle et sérieuse de l'abandon de toute indemnité d'éviction ; qu'ainsi, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un acte anormal de gestion ;
En ce qui concerne le montant du redressement :
Considérant que, pour évaluer l'indemnité à laquelle la SAPHN a renoncé, sur une base de 16,86 francs par m², le service s'est référé aux indemnités d'éviction versées le 19 mai 1993 par la société Leroy Merlin et le 15 octobre 1993 par la société HDI, dans des circonstances comparables ;
Considérant d'une part que, pour l'évaluation du montant de cette indemnité, il convient de rechercher la valeur que revêtaient effectivement pour la SAPHN les terres en cause ; qu'à cet égard, ainsi qu'il a été dit plus haut, ces parcelles n'étaient pas indispensables à l'exploitation de pépinières ; qu'il y a donc lieu de retenir, pour l'évaluation du droit à bail restant à courir pendant dix ans, le tarif « grandes cultures » initialement stipulé ; que, d'autre part, le service n'établit ni même n'allègue que l'indemnité compensât d'autres préjudices que la perte du droit à bail ; qu'il s'ensuit qu'il ne démontre pas que l'indemnité à laquelle a renoncé sans contrepartie la SAPHN, doive être supérieure à la somme des loyers stipulés et dus jusqu'au terme du bail ; qu'ainsi le montant des recettes auxquelles la SAPHN a renoncé, doit être fixé non à la somme de 646 058 francs, retenue par l'administration, mais à celle de 107 677 francs, résultant de la somme des loyers restant à courir pendant dix ans, évalués au prix des terres de grande culture, soit 2 304 francs à l'hectare ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAPHN est seulement fondée à demander une réduction en base de 538 381 francs du complément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie, en droits et intérêts de retard, au titre de l'exercice clos le 30 avril 1992, et la réformation, dans cette mesure, du jugement du 16 décembre 2003 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'État une somme 1 500 euros au titre des frais exposés par la SAPHN et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La base de l'impôt sur les sociétés assigné à la SAPHN au titre de l'exercice clos le 30 avril 1992 est réduite à concurrence d'une somme de 538 381 francs.
Article 2 : La SAPHN est déchargée de la différence entre la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie, en droits et intérêts de retard, au titre de l'exercice clos le 30 avril 1992 et celle résultant de l'article 1er.
Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Rouen en date du 16 décembre 2003 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à la SAPHN, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la SAPHN est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme PEPINIERES DE HAUTE-NORMANDIE et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie sera transmise au directeur des services fiscaux chargé de la direction du contrôle fiscal Nord.
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N°04DA00420