Vu le recours, enregistré le 9 août 2004, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande à la Cour :
11) d'annuler les articles 2 et 3 du jugement n° 99-1350 en date du 8 avril 2004 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a déchargé la société X du complément de taxe
sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier 1990 au
31 décembre 1991 ;
2°) de remettre à la charge de la société X ladite taxe ;
Il soutient que, si la société X a déduit la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures émises par la société Normandie Collectivités pour des prestations d'assistance commerciale, ces factures et les conventions commerciales ne permettent pas d'apprécier la matérialité des prestations fournies ; qu'il appartient au contribuable de démontrer cette matérialité et ainsi la réalité des opérations ayant donné lieu à déduction, en application des articles 272-2 et 283-4 du code général des impôts et 223-1 de l'annexe II audit code ; qu'il appartient à une entreprise de justifier de la déductibilité de ses charges ; qu'à défaut de justificatifs probants que les sommes facturées constituent la contrepartie de services effectivement rendus, l'administration était fondée à refuser la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, sans inverser la charge de la preuve ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2004, présenté pour la société anonyme X, dont le siège est ..., par Me Laurent, avocat, qui conclut au rejet du recours et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que les missions dévolues à la société Normandie Collectivités comportaient l'assistance commerciale pour l'obtention de marchés et des interventions sur site pendant des chantiers ; que les contrats, avenants, factures et échanges de courriers établissent la réalité des prestations ; que l'administration n'a jamais établi l'absence d'activité réelle de la société Normandie Collectivités ; que dans le cas de prestations de services, la production de la facture suffit à faire naître une présomption de la réalité de la prestation ; qu'alors qu'il incombe à l'administration d'établir que la prestation facturée n'a pas été réellement exécutée, celle-ci n'établit pas que les factures étaient fictives ou de complaisance ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 24 octobre 2005, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, qui conclut aux mêmes fins que son recours par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 29 décembre 2005, présenté pour la société X, qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ; elle soutient en outre que la 6ème directive ne prévoit pas que l'exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée est subordonné à la justification des services rendus par le prestataire ; que l'administration ne peut utilement se prévaloir de la directive 2001/115/CE, qui n'a pas d'effet rétroactif ; que la remise en cause de la taxe déduite, alors que la taxe a été versée par le prestataire, aboutit à un enrichissement sans cause de l'Etat et méconnaît la règle de neutralité de la taxe sur le compte de résultat ; que la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que les dispositions nationales en matière de mentions nécessaires sur les factures pour permettre le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice du droit à déduction ; que les exigences du service vont au-delà de celles prévues par la 6ème directive interprétée par la Cour de justice des Communautés européennes ; que la preuve d'une application irrégulière des principes posés par la 6ème directive incombe à l'administration ; que l'insécurité juridique induite par les décisions juridictionnelles contradictoires en la matière n'est pas compatible avec le droit communautaire ; que la Cour de justice des Communautés européennes a posé le principe que seule la facture doit entrer en compte pour ouvrir droit à déduction, ce qui est conforme au principe de sécurité juridique ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 janvier 2006 à laquelle siégeaient M. Couzinet, président de chambre, M. de Pontonx, premier conseiller et
M. Platillero, conseiller :
- le rapport de M. Platillero, conseiller ;
- et les conclusions de M. Michel, commissaire du gouvernement ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
Considérant qu'aux termes de l'article 271 du code général des impôts : « 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération » ; qu'aux termes de l'article 272 du même code : « 2. La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ou le document en tenant lieu » ; qu'aux termes de l'article 283 dudit code : « 4. Lorsque la facture ou le document ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée » ; qu'il résulte de ces dispositions que le redevable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucune marchandise ou prestation de services ; que, dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et se présentait à ses clients comme assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, sans qu'il soit manifeste qu'il n'aurait pas rempli les obligations l'autorisant à faire figurer cette taxe sur ses factures, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir l'inexistence des biens ou prestations concernés ;
Considérant que la preuve de l'inexistence des biens ou prestations susmentionnée doit être regardée comme apportée lorsque l'administration, après avoir relevé un faisceau d'indices lui permettant de remettre en cause l'existence de ces biens ou prestations, se fonde sur l'absence de justification par le redevable de la taxe de la fourniture d'un bien ou d'une prestation de services déterminés à son profit, la circonstance que les articles 18 et 22 de la sixième directive n° 77/388 du 17 mai 1977 n'imposent pas au contribuable de justifier de la matérialité des services rendus par son prestataire n'étant pas, en tout état de cause, de nature à priver l'Etat de la possibilité de remettre en cause l'exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée lorsque une telle matérialité n'est pas établie ; que cette règle gouvernant la charge de la preuve, qui interdit à l'administration de présumer de l'absence de matérialité des biens ou prestations lorsqu'elle est en présence de factures régulièrement établies et ne dispose pas d'éléments sérieux en ce sens, ne rend pas impossible ou excessivement difficile l'exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ni ne porte atteinte au principe de sécurité juridique du droit communautaire ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société anonyme X a déduit la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur des factures établies à son nom au cours des années 1990 et 1991 par la société Normandie Collectivités, dont il n'est pas allégué qu'elle n'était pas régulièrement inscrite au registre du commerce et des sociétés et ne se présentait pas à ses clients comme assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ni qu'il était manifeste qu'elle n'aurait pas rempli les obligations l'autorisant à faire figurer cette taxe sur ses factures, suite à la réalisation de prestations d'assistance commerciale en vue de l'obtention de marchés et d'interventions sur site pendant la réalisation de chantiers ; qu'il est constant que ces factures étaient établies en termes généraux et s'inscrivaient dans le cadre de l'exécution de conventions générales conclues entre les deux sociétés les 20 mai 1986 et 12 février 1988, ces documents ne permettant pas d'établir la nature des prestations qui ont donné lieu à l'émission de chacune des factures litigieuses ; que la société X ne produit aucun document concernant les prestations qu'aurait effectuées à son profit la société Normandie Collectivités, tels que, notamment, études ou comptes rendus de réunions techniques, ni document relatif à l'apport technique et commercial des interventions de cette société pour l'obtention de marchés, et s'est bornée à produire en première instance, d'une part, une simple liste de courriers échangés entre les deux sociétés, insusceptible d'établir la matérialité de prestations, et quelques correspondances échangées entre le 27 octobre 1988 et le 23 juillet 1990 dans le cadre de la réalisation d'un chantier à Oissel, alors que les factures qui mentionnaient la taxe sur la valeur ajoutée dont la déduction a été refusée et qui auraient fait suite à la réalisation de ce chantier étaient datées des 27 août 1990, 7 février et 12 juillet 1991 ; qu'ainsi, à défaut d'éléments contraires, l'administration, qui, contrairement aux allégations de l'intimée, n'est pas tenue d'établir l'absence de toute activité de la société Normandie Collectivités, doit être regardée comme apportant la preuve de l'inexistence des prestations facturées à la société X ; que, par suite, c'est à tort que les premiers juges ont, pour accorder à la société X la décharge qu'elle demandait, estimé que la preuve de l'inexécution des prestations facturées n'était pas apportée par l'administration ;
Considérant toutefois qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société X tant devant la Cour que devant le Tribunal administratif de Rouen ;
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors en vigueur : « L'administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation » ;
Considérant que les notifications de redressements des 17 décembre 1993 et 9 juin 1994 mentionnent les textes dont le service a fait application pour refuser la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse et font état des motifs pour lesquels une telle déduction a été refusée ; que ces notifications de redressements sont ainsi suffisamment motivées ;
Considérant, en second lieu, que la circonstance que la société Normandie Collectivités a versé la taxe sur la valeur ajoutée correspondant aux prestations litigieuses est sans incidence sur l'exercice par la société X du droit à déduction de cette taxe ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé, d'une part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a déchargé la société X du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du
1er janvier 1990 au 31 décembre 1991 et, d'autre part, à demander que ce complément soit remis à la charge de cette société ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation » ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la société X la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 99-1350 du Tribunal administratif de Rouen en date du 8 avril 2004 sont annulés.
Article 2 : Le complément de taxe sur la valeur ajoutée qui a été réclamé à la société X au titre de la période du 1er janvier 1990 au 31 décembre 1991 est remis à sa charge.
Article 3 : Les conclusions de la société X tendant à l'application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à la société anonyme X.
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N°04DA00697