Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai le
30 mai 2001, présentée pour M. Raymond X, demeurant ..., agissant tant en son nom personnel que pour le compte de la société de droit canadien Sogenord Américain Inc et M. Gilles Y, demeurant ..., par Me Deguitre, avocat ; les requérants demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 96-2033 en date du 2 février 2001 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision en date du
16 août 1996 par lequel le maire de la ville d'Amiens a refusé de réparer le préjudice subi consécutif à la rupture des négociations menées dans le cadre de la délégation de la gestion du palais des sports Pierre de Coubertin et à la condamnation de la ville d'Amiens à leur verser la somme de 3 500 000 francs assorties des intérêts légaux ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susmentionnée et de condamner la ville d'Amiens à leur verser la somme demandée en première instance assortie des intérêts au taux légal et anatoscisme à compter du 16 août 1996 ;
3°) condamner la ville d'Amiens à leur verser la somme de 20 000 francs au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Code C+ Classement CNIJ : 54-01-04
54-01-05
Ils soutiennent que la décision de la ville d'Amiens, résultant de sa lettre en date du
30 août 1995, de rejeter leur demande d'indemnisation, est fondée exclusivement sur le terrain défini par la loi du 29 janvier 1993 relative aux délégations de service public alors que par lettre du 13 avril 1996, ils ont précisé le fondement de leur demande d'indemnisation reposant sur la responsabilité extra-contractuelle de la ville ; que la collectivité a répondu, le 16 août 1996, sans ambiguité, négativement à cette seconde demande en indiquant les voies et délais de recours et a entendu ainsi fixer à partir de cette lettre le point de départ du délai de recours contentieux ; que le jugement doit donc être réformé sur le point de la recevabilité de leur demande d'annulation de cette dernière décision ; que leur intérêt à agir est établi dès lors que leur recours, fondé sur une action délictuelle, résulte des manoeuvres dolosives de la ville qui sont à l'origine de la perte de leurs apports, destinés au financement d'un projet parvenu à aboutissement et remis en cause pour des raisons d'opportunité ; que les fautes imputables à la ville, c'est à dire rupture brutale et abusive des négociations engagées par la ville avec la Compagnie Française de Loisirs pour la gestion déléguée de son palais des sports et appropriation indue par la ville des études réalisées dans ce cadre par cette société, sont constitutives d'un dol et engagent pleinement la responsabilité extra-contractuelle de la collectivité ; qu'ils rapportent la preuve qu'ils ont subi un préjudice distinct du préjudice résultant de la perte de la valeur des actions détenues par eux dans la société Compagnie Française de Loisirs (C.F.L.) ;
Vu le jugement et les décisions attaqués ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2002, présenté pour la ville d'Amiens, représentée par son maire en exercice, par la S.C.P. d'avocats Marguet-Hosten, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation des requérants à lui verser la somme de
1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que les requérants n'ont pas d'intérêt à agir dès lors que la société C.F.L. a été déclarée en liquidation judiciaire et que le mandataire judiciaire et liquidateur a conclu avec la ville d'Amiens une convention par laquelle la ville s'engage à indemniser, à titre définitif, la C.F.L. à hauteur de
26 666, 66 euros toutes taxes comprises ; que les requérants n'ont pas la capacité pour agir car ils n'établissent pas qu'ils ont subi un préjudice distinct de celui de la société C.F.L. ; que l'intervention de la société de droit canadien Sogenord Américain Inc, n'ayant formé aucune demande préalable, est irrecevable ; que sur le fond, il convient de confirmer le jugement du tribunal, les requérants n'apportant aucun élément nouveau à l'appui de leurs prétentions ;
Vu le mémoire en intervention, enregistré le 3 mars 2004, présenté pour la société de droit canadien Sogenord Américain Inc, dont le siège social est à Montréal (Canada), représentée par son administrateur et responsable pour la France, par Me Deguitre, avocat, par lequel elle demande, d'une part, qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête par les mêmes moyens que ceux exposés par MM. X et Y et, d'autre part, de condamner le défendeur à lui verser la somme de 3 049 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le décret n° 99-435 du 28 mai 1999 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 mars 2004 où siégeaient
M. Gipoulon, président de chambre, Mme Brin, président-assesseur et Mme Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Eliot, conseiller,
- et les conclusions de M. Paganel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que par délibération en date du 19 mai 1994, le conseil municipal de la ville d'Amiens a décidé l'engagement d'une procédure de mise en concurrence pour l'attribution d'un contrat portant délégation de service public pour l'exploitation du palais des sports municipal ; que suite à la publication, en juin 1994, d'un avis public d'appel à la concurrence, six entreprises ont déposé leurs candidatures ; que sur avis de la commission compétente, la ville d'Amiens a engagé des discussions avec deux d'entre elles, la société F.S.L.-G.E.S.C.L.U.B. et le groupement d'entreprises S.E.G.E.P.I.C. dont faisait partie la société Compagnie Française de Loisirs (C.F.L.) ; que par délibération du conseil municipal en date du 13 avril 1995, la collectivité a décidé d'abandonner la procédure de mise en concurrence ; que les requérants ont été informés de cette décision par une lettre du maire en date du 30 mai 1995 ;
Sur la recevabilité des conclusions présentées devant le tribunal administratif :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, applicable au moment de l'introduction de la requête de première instance : Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ;
Considérant que la demande de première instance formée par MM. Raymond X et Gilles Y, associés de la société Compagnie Française de Loisirs, membre du groupement d'entreprises S.E.G.E.P.I.C., tendait à l'annulation de la décision du 16 août 1996 par laquelle le maire d'Amiens a rejeté leur demande tendant à réparer le préjudice qu'ils auraient subi suite à la rupture des négociations engagées avec S.E.G.E.P.I.C. par la ville et à la condamnation de
celle-ci à leur verser une indemnité de 3 500 000 francs au titre dudit préjudice ; qu'en demandant la condamnation de la ville d'Amiens à leur verser la somme en litige,
MM. X et Y ont donné à l'ensemble de leur requête le caractère d'une demande de plein contentieux ;
Considérant que la décision en date du 30 août 1995 par laquelle le maire d'Amiens a rejeté pour la première fois la demande des requérants formulée le 13 juin 1995 tendant à la réparation du préjudice subi suite à la rupture des négociations engagées avec S.E.G.E.P.I.C. par la ville, ne mentionnait pas les voies et délais de recours ; que, dès lors, les dispositions de l'article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel précitées s'opposent à ce que le délai de recours contentieux de deux mois prévu à l'article
R. 102 alinéa 1 du même code ait commencé à courir contre cette décision ; que, par suite, la nouvelle décision de rejet prise par le maire d'Amiens le 16 août 1996 n'avait pas le caractère d'une décision purement confirmative d'une précédente décision à l'encontre de laquelle le délai de recours aurait expiré ; qu'il est constant que les requérants ont introduit leur requête devant les premiers juges le 21 octobre 1996, soit dans le délai de 2 mois qui a couru à compter du
19 août 1996, date de la notification, portant mention des voies et délais de recours de la décision du 16 août 1996 ; qu'ainsi, les requérants sont fondés à soutenir que, c'est à tort, que le tribunal administratif a rejeté, comme tardives, leurs conclusions tendant à l'annulation de cette dernière décision ; que par voie de conséquence l'ensemble de leur requête est recevable ;
Considérant, par ailleurs, que le tribunal administratif a statué, à tort, sur la recevabilité de l'intervention de la société Sogenord Américain Inc alors qu'il résulte de l'instruction que
M. X avait introduit sa requête tant en son nom personnel que pour le compte de ladite société ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que le jugement du tribunal administratif doit être annulé ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par MM. X et Y ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par la ville d'Amiens :
Considérant que la ville d'Amiens oppose une fin de non-recevoir tirée de ce que
MM. X et Y, qui se prévalent de leur qualité d'associés de la société Compagnie Française de Loisirs, n'ont pas d'intérêt leur donnant qualité à agir, à défaut de préjudice personnel, pour engager sa responsabilité extra-contractuelle ;
Considérant qu'il est constant que par jugement en date du 25 avril 1995, le tribunal de commerce de Toulouse a prononcé la liquidation judiciaire de la société Compagnie Française de Loisirs ; que s'il appartient au seul liquidateur, en vertu de l'article 152 de la loi du
25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, d'exercer les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine, et notamment, d'agir en justice pour obtenir réparation d'un préjudice causé par un tiers à la société en liquidation judiciaire, les créanciers dont les droits éventuels à indemnité résulteraient d'un préjudice direct, personnel et distinct de ceux se rattachant aux intérêts collectifs de la masse sont recevables à exercer une action en justice en leur nom personnel ;
Considérant, toutefois, que si la faute d'un tiers porte atteinte au capital social comme cela est allégué en l'espèce, le préjudice direct est subi par la personne morale distincte des personnes physiques qui la composent ; que les actionnaires, qui n'en subissent qu'un préjudice indirect ne peuvent exercer une action qui ne leur appartient pas ; qu'en l'espèce, les requérants n'établissent pas que la décision attaquée de la ville d'Amiens, à supposer qu'elle soit à l'origine des difficultés financières de la société Compagnie Française de Loisirs, a entraîné un préjudice qui leur est personnel ; que, dès lors, ils ne sont pas fondés à se prévaloir d'un intérêt à agir pour obtenir réparation des préjudices qui résulteraient de la décision prise par la ville d'Amiens d'interrompre les négociations en vue de déléguer la gestion et l'exploitation du palais des sports municipal ; que, par suite, leur requête est irrecevable ;
Sur l'intervention de la société Sogenord Américain Inc :
Considérant que cette intervention est présentée à l'appui de la requête de
MM. X et Y ; que cette requête étant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, irrecevable, l'intervention n'est en conséquence, et tout état de cause, pas recevable ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la ville d'Amiens, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance soit condamnée à payer à MM. X et Y et à la société Sogenord Américain Inc la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner
MM. X et Y à payer à la ville d'Amiens, la somme de 1 000 euros qu'elle demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 2 février 2001 est annulé.
Article 2 : L'intervention de la société Sogenord Américain Inc n'est pas admise.
Article 3 : La demande présentée par MM. X et Y devant le tribunal administratif d'Amiens et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.
Article 4 : MM. X et Y sont condamnés à verser à la ville d'Amiens la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761- du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Raymond X, à M. Gilles Y, à la ville d'Amiens, à la société Sogenord Américain Inc ainsi qu'au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
Délibéré à l'issue de l'audience publique du 9 mars 2004 dans la même composition que celle visée ci-dessus.
Prononcé en audience publique le 23 mars 2004.
Le rapporteur
Signé : A. Eliot
Le président de chambre
Signé : J.F. Gipoulon
Le greffier
Signé : G. Vandenberghe
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier
Guillaume Vandenberghe
N°01DA00579 7