Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-955 QPC du 10 décembre 2021 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo,
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,
- et les observations de Me Fontaine, représentant Mme A... B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., militaire de carrière née le 24 mars 1964, a été affectée en Polynésie française en qualité de maître d'hôtel au sein du carré des officiers en zone Martine de Mururoa, du 21 juillet 1988 au 26 juillet 1989. Elle a contracté un cancer au niveau du sein droit en 2000, puis au niveau du sein gauche en 2014, avec une récidive diagnostiquée en 2020. Mme B... a présenté, le 27 avril 2022, une demande d'indemnisation en sa qualité de victime des essais nucléaires, devant le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Par une décision du 30 septembre 2022, le CIVEN a rejeté sa demande, au motif que l'intéressée avait été exposée à des doses efficaces engagées inférieures au seuil de 1 mSv (millisievert). Par la présente requête, Mme B... relève appel du jugement du 18 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de cette décision, à ce qu'il soit ordonné une expertise aux fins d'évaluation de son préjudice, ainsi qu'à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 40 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " I. Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./ (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : (...) / 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. / (...) ". Aux termes du I de l'article 4 de la même loi : " Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui se prononce par une décision motivée dans un délai de huit mois suivant le dépôt du dossier complet. ". Aux termes du V du même article 4, dans sa rédaction issue de l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : " Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique ". Aux termes de l'article R. 1333-11du code de la santé publique : " I.- Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an (...) ". Enfin, aux termes de l'article 1er du décret du 15 septembre 2014 relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " La liste des maladies mentionnée à l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 susvisée est annexée au présent décret. / Les maladies figurant sur cette liste mais ayant pour origine des métastases secondaires à une maladie n'y figurant pas ne sont pas retenues pour l'application de ces dispositions ". Cette annexe mentionne notamment le cancer du sein.
3. En premier lieu, ainsi que l'ont pertinemment relevé les premiers juges, il résulte de l'instruction que Mme B... a présenté sa demande en sa qualité de victime des essais nucléaires devant le CIVEN, le 27 avril 2022, soit après l'entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2018. Dès lors, cette demande doit être examinée au regard des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 dans sa version issue de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018. Par suite, le moyen tiré de ce que le CIVEN devait rapporter la preuve de ce que les cancers dont elle a été atteinte résultent d'une cause exclusivement étrangère aux rayons ionisants des essais nucléaires est inopérant, dès lors que cette preuve ne doit être rapportée que sous l'empire de la loi du 5 janvier 2010 dans sa version issue de la loi du 28 février 2017, qui n'est pas applicable au litige.
4. En second lieu, il résulte des dispositions applicables de la loi du 5 janvier 2010 que le législateur a entendu, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, le faire bénéficier de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 millisievert (1 mSv). Si, pour le calcul de la dose reçue, l'administration peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé. En l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à l'administration de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires. Si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de 1 mSv.
5. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que Mme B..., en poste en Polynésie française entre juillet 1988 et juillet 1989 et atteinte de deux cancers au niveau des seins gauche et droit, diagnostiqués en 2000 et 2014, puis d'une récidive en 2020, remplit les conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par les dispositions citées au point 2. Elle peut ainsi se prévaloir de la présomption de causalité pour prétendre à la réparation des préjudices résultant des pathologies dont elle a été victime.
6. Pour renverser cette présomption, le CIVEN soutient qu'alors qu'à partir de 1975, les expérimentations, réalisées dans le sous-sol profond des atolls, étaient souterraines, Mme B..., qui a été affectée entre juillet 1988 et juillet 1989 en qualité de maître d'hôtel au sein du carré des officiers et n'était pas autorisée à pénétrer dans la zone contrôlée située à proximité immédiate du site d'essai dans laquelle pouvait se présenter un risque d'irradiation, n'a pas fait l'objet d'une exposition externe. Il ajoute qu'elle a néanmoins bénéficié d'une mesure de surveillance collective, faisant apparaitre une dosimétrie d'ambiance en zone Martine (Mururoa) pendant les essais de 1988 et 1989, bien inférieure à 1 mSv. Il soutient également, s'agissant de la contamination interne, que l'intéressée a bénéficié lors de son arrivée et de son départ de Mururoa d'examens anthroporadiamétriques consistant à détecter le rayonnement gamma, qui ont donné respectivement un résultat d'indice de tri considéré comme normal.
7. Il résulte de l'instruction que Mme B... a séjourné à Mururoa quatorze ans après les derniers essais nucléaires atmosphériques, qui ont eu lieu du 2 juillet 1966 au 14 septembre 1974. Si des expérimentations souterraines ont été réalisées durant la période de son affectation en Polynésie française, il n'est ni établi ni allégué qu'elles auraient été à l'origine de fuites radioactives. Mme B..., qui était maître d'hôtel au carré des officiers, ne soutient pas qu'elle aurait été affectée à des fonctions radiologiquement exposées, ni conduite à pénétrer dans la zone où les essais étaient réalisés. A ce titre, elle n'était pas soumise à une surveillance dosimétrique spécifique. Néanmoins, il résulte du document établi par le département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires que la dosimétrie d'ambiance dans la zone Martine au cours des années 1988 et 1989, respectivement mesurée à 0,269 mSv et 0,284 mSv, n'a pas révélé de niveau anormal de rayonnements ionisants. De même, les résultats des examens anthroporadiamétriques subis par Mme B... au début et à la fin de son séjour à Mururoa, les 26 juillet 1988 et 17 juillet 1989, ont donné lieu à un " indice de tri " de 0,79 et 0,89, soit un indice inférieur à la limite de 2 admise par la littérature scientifique comme celle de la contamination interne. Si Mme B... soutient qu'elle a été en contact, du fait de ses activités de loisirs, avec l'eau du lagon qui était contaminée, la seule production du permis bateau de l'intéressée ne démontre pas l'insuffisance des mesures de surveillance mises en place. Par ailleurs, il n'est pas contesté que la nourriture et l'eau destinées à la consommation n'étaient pas d'origine locale, cette circonstance excluant le risque de contamination par ingestion. En conséquence, le CIVEN doit être regardé comme démontrant que Mme B... a été exposée à une dose de rayonnements ionisants inférieure à 1 mSv durant sa présence en Polynésie française, renversant ainsi la présomption de causalité.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes en annulation et en indemnisation.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat (CIVEN), qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires.
Copie en sera adressée au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 juin 2025.
La rapporteure,
Béatrice Molina-AndréoLa présidente,
Evelyne BalzamoLa greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX02923