Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 25 novembre 2024 par lequel le préfet de La Réunion lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner en France pour une durée de cinq ans.
Par un jugement n° 2401585 du 2 décembre 2024, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 décembre 2024, M. A... B..., représenté par Me Dejoie, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 2 décembre 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 novembre 2024 par lequel le préfet de La Réunion lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, lui a interdit de retourner en France pour une durée de cinq ans et a procédé à son inscription dans le système d'information Schengen ;
3°) d'enjoindre au préfet de La Réunion de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " et d'organiser son rapatriement aux frais de l'Etat, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'un vice d'incompétence de son signataire ;
- elle a été prise en méconnaissance du laissez-passer en évacuation sanitaire qui l'autorisait à se trouver sur le territoire réunionnais jusqu'au 3 décembre 2024 ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard de son mauvais état de santé ;
- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation au regard de la menace à l'ordre public qu'il pourrait représenter ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision portant refus de fixation d'un délai de départ volontaire :
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation quant à la soustraction prétendue à une précédente mesure d'éloignement et au risque de soustraction à l'obligation de quitter le territoire français en litige ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de cinq ans :
- elle est entachée d'un vice d'incompétence de son signataire ;
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation quant à son principe et à sa durée ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus d'un délai de départ volontaire ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 avril 2025, le préfet de La Réunion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une décision n° 2024/003580 du 16 janvier 2025, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis M. A... B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A... B..., ressortissant comorien né le 14 juin 1989, est entré à La Réunion le 27 décembre 2012 muni d'un laissez-passer délivré par le préfet de Mayotte dans le cadre d'une évacuation sanitaire et a bénéficié, à compter de cette date, de titres de séjour délivrés en raison de son état de santé, renouvelés jusqu'au 13 janvier 2016. Le 27 novembre 2015, il a été écroué au centre pénitentiaire de Saint-Denis, puis condamné par le tribunal correctionnel de Saint-Denis le 18 août 2017 à une peine de six ans d'emprisonnement pour des faits d'atteinte sexuelle par majeur sur mineur de quinze ans. Libéré en mai 2020, M. A... B... n'a pas demandé la régularisation de sa situation administrative et a été interpellé à la suite d'un contrôle de police routier le 6 juillet 2023. Le préfet de La Réunion a alors pris à son encontre, le 11 juillet 2023, un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire pendant une durée d'un an, dont la légalité a été confirmée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 20 février 2024. M. A... B... a exécuté cette mesure d'éloignement le 28 juillet 2023. Après être retourné irrégulièrement à Mayotte le 5 février 2024, il est de nouveau entré à La Réunion le 3 juillet 2024 muni d'un laissez-passer en évacuation sanitaire accordé par le préfet de Mayotte. Par un arrêté du 25 novembre 2024, le préfet de La Réunion lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner en France pour une durée de cinq ans. Par la présente requête, M. A... B... relève appel du jugement du 2 décembre 2024 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle est édictée après vérification du droit au séjour, en tenant notamment compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France et des considérations humanitaires pouvant justifier un tel droit. / (...) ". Le préfet ne peut légalement obliger un étranger à quitter le territoire français si celui-ci réunit les conditions d'attribution de plein droit d'un titre de séjour. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... B... souffre d'une dysplasie broncho pulmonaire sévère compliquée de surinfections et d'hémoptysie itératives, ainsi que d'épilepsie traitée par Lamictal, et d'un trouble psychiatrique nécessitant un suivi et un traitement par thymorégulateur. Il ressort également des certificats médicaux produits que l'absence de prise en charge médicale est de nature à entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. A ce titre, l'intéressé a d'ailleurs fait l'objet d'un laissez-passer en évacuation sanitaire lui permettant de voyager de Mayotte à La Réunion pour se faire soigner au centre hospitalier universitaire Sud-Réunion, sur la période du 3 juillet au 3 décembre 2024. Dans ce contexte, il appartenait au préfet de La Réunion, avant d'édicter la mesure d'éloignement en litige, dans le cadre de la vérification du droit au séjour de M. A... B..., de saisir le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration afin qu'un avis soit émis sur la disponibilité des soins dans le pays d'origine de l'intéressé. En ne sollicitant pas cet avis, l'autorité administrative a méconnu les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il résulte de ce qui précède que M. A... B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 25 novembre 2024.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu, seul susceptible de l'être en l'état de l'instruction, l'exécution du présent jugement implique seulement que le préfet de La Réunion procède au réexamen de la situation de M. A... B.... Par suite, il y a lieu de lui enjoindre de procéder à ce réexamen, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
6. M. A... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, Me Dejoie, de la somme de 1 200 euros, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 2 décembre 2024 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de La Réunion du 2 décembre 2024 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Réunion de procéder au réexamen de la situation de M. B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Dejoie, conseil de M. A... B..., la somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. A... B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... B..., au ministre de l'intérieur, au préfet de La Réunion et à Me Dejoie.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 juin 2025.
La rapporteure,
Béatrice Molina-AndréoLa présidente,
Evelyne BalzamoLa greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX02940