Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 janvier 2023 et 30 septembre 2024, la société Parc Eolien de Cire d'Aunis et Ardillières, représentée par Me Gelas, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2022 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour la création et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire des communes d'Ardillières et de Ciré d'Aunis et de lui délivrer l'autorisation sollicitée ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de reprendre l'instruction de sa demande d'autorisation environnementale, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de trente jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) à titre subsidiaire, de proposer la mise en place d'une mission de médiation en vue de l'obtention d'un accord entre les parties ou, à titre très subsidiaire, d'ordonner avant-dire droit une expertise en vue d'évaluer la gêne que le projet est susceptible de représenter pour la détection du radar militaire de Rochefort ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé, en ce qu'il ne précise pas en quoi son projet serait susceptible de constituer une gêne avérée pour la détection du radar militaire de la Rochelle ; ce moyen est opérant, dès lors que l'arrêté en cause se fonde sur un avis qui est manifestement irrégulier ;
- il est entaché d'une erreur de fait en ce qu'il se réfère à " deux éoliennes du projet de la société Eoliennes d'Aunis 2 ", soit à un autre projet sans rapport avec celui en litige ;
- il est illégal du fait de l'illégalité de l'avis du ministre des armées du 13 septembre 2022 sur lequel il est fondé ;
- cet avis est fondé sur l'instruction n° 105/DSAE/DIRCAM du 16 juin 2021 qui a été abrogée le 2 juin 2022 ; compte tenu de cette abrogation, il convient de faire application de l'instruction n° 1050/DSAE/DIRCAM du 9 juillet 2018 ; or, le projet respecte cette instruction qui impose que les projets situés entre 20 et 30 kilomètres de radars militaires respectent un espace de 5° entre les éoliennes ;
- cet avis est entaché d'une erreur dans l'appréciation de la gêne avérée pour la détection non acceptable pour les armées ; dans un précédent avis du 6 novembre 2020, le ministre des armées avait considéré que l'éolienne E1 ne serait pas de nature à remettre en cause les missions des forces armées ; le risque de gêne n'est qu'hypothétique dès lors que le radar de Rochefort n'est pas encore mis en place ; l'analyse opérée par le logiciel Timor n'aboutit à aucune appréciation concrète de la situation ;
- l'arrêté attaqué est lui-même fondé sur l'instruction n° 105/DSAE/DIRCAM du 16 juin 2021 qui a été abrogée et est entaché d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 mars 2024, le préfet de la Charente-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 25 avril 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il déclare s'associer aux écritures du préfet de la Charente-Maritime.
Par une ordonnance du 3 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'aviation civile ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo,
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,
- et les observations de Me Boudrot, représentant la société Parc Eolien de Ciré d'Aunis et Ardillières et en présence de Mme Gibert, commissaire des armées.
Considérant ce qui suit :
1. Le 1er juillet 2022, la société Parc Eolien de Ciré d'Aunis et Ardillières a déposé une demande d'autorisation environnementale pour la création et l'exploitation d'un parc éolien composé de deux éoliennes, d'une hauteur de 180 mètres, sur le territoire des communes de Ciré d'Aunis et d'Ardillières (Charente-Maritime). Par un arrêté du 18 novembre 2022, le préfet de la Charente-Maritime a rejeté cette demande d'autorisation environnementale. La société Parc Eolien de Cire d'Aunis et Ardillières demande l'annulation de cet arrêté.
Sur l'intervention du ministre des armées :
2. Le ministre des armées, qui n'a pas la qualité de partie à l'instance dès lors que l'arrêté contesté a été pris par le préfet de la Charente-Maritime, justifie d'un intérêt au maintien dudit arrêté. Son intervention en défense doit donc être admise.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'exception d'illégalité de l'avis du ministre des armées :
3. Aux termes de l'article R. 181-32 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige : " Lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, le préfet saisit pour avis conforme : / 1° Le ministre chargé de l'aviation civile : / a) Pour ce qui concerne les radars primaires, les radars secondaires et les radiophares omnidirectionnels très haute fréquence (VOR), sur la base de critères de distance aux aérogénérateurs ; / b) Pour les autres aspects de la circulation aérienne, sur tout le territoire et sur la base de critère de hauteur des aérogénérateurs. / Ces critères de distance et de hauteur sont fixés par un arrêté des ministres chargés des installations classées et de l'aviation civile ; / 2° Le ministre de la défense, y compris pour ce qui concerne les radars et les radiophares omnidirectionnels très haute fréquence (VOR) relevant de sa compétence (...) ". Aux termes de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile, alors applicable : " A l'extérieur des zones grevées de servitudes de dégagement en application du présent titre, l'établissement de certaines installations qui, en raison de leur hauteur, pourraient constituer des obstacles à la navigation aérienne est soumis à une autorisation spéciale du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense. (...) ". Aux termes de l'article R. 181-34 du code de l'environnement : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : / (...) 2° Lorsque l'avis de l'une des autorités ou de l'un des organismes consultés auquel il est fait obligation au préfet de se conformer est défavorable (...) ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement : " L'installation est implantée de façon à ne pas perturber de manière significative le fonctionnement des radars utilisés dans le cadre des missions de sécurité météorologique des personnes et des biens et de sécurité à la navigation maritime et fluviale. / En outre, les perturbations générées par l'installation ne remettent pas en cause de manière significative les capacités de fonctionnement des radars et des aides à la navigation utilisés dans le cadre des missions de sécurité à la navigation aérienne civile et les missions de sécurité militaire. (...) ".
4. Il résulte des dispositions précitées que l'autorité administrative compétente pour délivrer une autorisation unique doit, lorsque l'installation envisagée est susceptible de constituer un obstacle à la navigation aérienne en raison de son emplacement et de sa hauteur, saisir le ministre chargé de l'aviation civile et le ministre de la défense et que cette autorité est tenue, à défaut d'accord de l'un des ministres dont l'avis est ainsi requis, de refuser l'autorisation demandée.
5. Si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.
6. Pour refuser l'autorisation environnementale sollicitée par la société Parc Eolien de Ciré d'Aunis et Ardillières, le préfet de la Charente-Maritime s'est fondé sur l'avis défavorable du ministre des armées en date du 13 septembre 2022, qui a relevé que le projet, qui se situe à 20 kilomètres du radar militaire de Rochefort, présente une gêne avérée pour la détection et l'intégrité des informations transmises par ce radar, non acceptable pour les armées.
7. En premier lieu, la société requérante soutient que l'avis du ministre des armées du 13 septembre 2022 est fondé sur une instruction n° 1050/DSAE/DIRCAM du 16 juin 2021 relative au traitement des dossiers obstacles, qui a été abrogée par une instruction du 2 juin 2022. Il ressort toutefois de l'examen de cet avis, dont le caractère défavorable opposé à la demande d'autorisation environnementale repose sur les perturbations qu'est susceptible de provoquer le projet en raison de sa proximité avec le radar militaire de Rochefort, qu'il se fonde expressément et uniquement sur l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile relatif aux conditions d'implantation des installations de grande hauteur susceptibles de constituer des obstacles à la navigation aérienne. Par suite, le moyen tiré de ce que cet avis ministériel serait entaché à cet égard d'une erreur de droit ne peut qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, la société Parc Eolien de Ciré d'Aunis et Ardillières ne saurait utilement se prévaloir de la circonstance que son projet respecterait les critères, notamment de distance, fixés par l'instruction n° 1050/DSAE/DIRCAM relative aux traitements des dossiers obstacles du 9 juillet 2018, cette instruction ayant été modifiée dans la version de cette instruction du 16 juin 2021, elle-même abrogée par l'instruction n° 1051 du 2 juin 2022.
9. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que l'avis litigieux est fondé, non sur l'application d'un critère théorique de distance dans l'appréciation de la perturbation des radars par les éoliennes, mais par une analyse circonstanciée du projet. A ce titre, il ressort en particulier de la note technique de la brigade aérienne de la posture permanente de sûreté air (BAPPS) du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) produite par l'administration, que le projet éolien de la société Parc Eolien de Cire d'Aunis et Ardillières sera en intervisibilité électromagnétique avec le radar militaire GM 406 de Rochefort, dont il sera de nature à dégrader les performances, ce qui constitue un risque non acceptable dans le cadre de la posture permanente de sûreté aérienne. Cette note fait état de l'analyse de l'incidence de l'intervisibilité électromagnétique, réalisée grâce à un outil de calcul dédié dénommé " TIMOR ", pour les deux éoliennes du projet, dont il ressort que les aérogénérateurs, d'une hauteur de 179 mètres, seraient situés à une distance du radar de 20 kilomètres et seraient détectables par celui-ci sur une hauteur de 167 à 173 mètres. Alors que le radar de Rochefort est actuellement en cours de construction, le risque ainsi relevé ne peut être regardé, contrairement à ce qui est soutenu, comme hypothétique. La société requérante, qui n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause les éléments techniques fournis par l'administration, ne peut davantage utilement faire valoir que, dans le cadre de la demande d'autorisation d'un premier projet d'implantation d'un parc éolien déposée par une autre société dont l'éolienne n°1 se situait au même emplacement que l'éolienne n°1 du projet présentement en litige, le ministre des armées avait relevé, dans un avis du 6 novembre 2020, que cette éolienne, " en zone de coordination du radar, ne serait pas de nature à mettre en cause les missions de forces armées ", dès lors que le manque de perfectionnement dont souffrait alors le logiciel Timor n'avait pas permis d'effectuer une analyse radar concrète sur cette éolienne. Au regard de ces éléments, il ne résulte pas de l'instruction que le ministre des armées aurait commis une erreur d'appréciation en estimant que le projet de parc éolien en cause était susceptible de perturber les capacités de détection du radar militaire de Rochefort.
En ce qui concerne les autres moyens :
10. Si l'arrêté mentionne que " les deux éoliennes du projet de la société Eoliennes d'Aunis 2 (...) sont situées dans la zone de coordination du radar militaire de Rochefort ", alors que les éoliennes en cause sont celles de la société Parc Eolien de Cire d'Aunis et Ardillières, il ressort de l'examen de l'arrêté attaqué, qui fait référence à la demande d'autorisation environnementale du 1er juillet 2022 de la société requérante, à l'avis défavorable du ministre des armées du 13 septembre 2022 et à des éléments factuels propres au projet en cause, tels que la hauteur des éoliennes et leur situation en intervisibilité électromagnétique simple avec le radar de Rochefort, que le préfet de la Charente-Maritime n'a commis qu'une simple erreur de plume non constitutive d'une méprise sur le projet examiné. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait ne peut qu'être écarté.
11. Compte tenu de la situation de compétence liée dans laquelle se trouvait le préfet de la Charente-Maritime, en vertu des principes exposés au point 4, et de la légalité de l'avis du ministre des armées, qui résulte de ce qui a été exposé précédemment, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué du 18 novembre 2022 serait entaché d'une insuffisance de motivation, d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ne peuvent qu'être écartés comme inopérants.
12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'ouverture d'une procédure de médiation ou d'ordonner la mesure d'expertise sollicitée, que la société Parc Eolien de Cire d'Aunis et Ardillières n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 18 novembre 2022. Ses conclusions à fin d'injonction doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la société requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'intervention du ministre des armées est admise.
Article 2 : La requête de la société Parc Eolien de Ciré d'Aunis et Ardillières est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc Eolien de Ciré d'Aunis et Ardillières, au ministre des armées et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 juin 2025.
La rapporteure,
Béatrice Molina-AndréoLa présidente,
Evelyne Balzamo
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23BX00164 2