Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 7 juin 2022 par lequel le préfet de la Guyane a rejeté sa demande de titre de séjour.
Par un jugement n° 2201187 du 6 juin 2024, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2024, M. A..., représenté par Me Hussein, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 6 juin 2024 du tribunal administratif de la Guyane ;
2°) d'annuler l'arrêté du 7 juin 2022 par lequel le préfet de la Guyane a rejeté sa demande de titre de séjour ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Guyane de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler d'une durée de 6 mois renouvelable ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé car il ne comporte aucune mention sur l'intérêt supérieur de son enfant ;
- ce défaut de motivation révèle également un défaut d'examen complet et sérieux de sa situation personnelle et ce d'autant que sa compagne est, contrairement à ce qu'indique l'arrêté, en situation régulière sur le territoire depuis plusieurs années, de sorte que sa situation réelle n'a nullement été prise en considération ;
- il est entaché d'une erreur de fait en ce qu'il indique qu'il " produit dans son dossier administratif, une archive non légalisée par le consulat d'Haïti " et qu'ainsi la délivrance d'un titre de séjour lui est refusée au titre de l'article R.431-10 du Ceseda alors qu'il justifie de son état civil et de sa nationalité ; le préfet n'aurait pas pris la même décision sans commettre cette erreur de fait ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile tel qu'éclairé par la circulaire n° INTK1229185C du 28 novembre 2012 et une circulaire plus ancienne en date du 12 mai 1998 (NOR : INTD9800108C : BO min. Int. N°2/98) ; il est également entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- il méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par ordonnance du 22 avril 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 7 mai 2025 à 12 heures.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant haïtien né en 1988, est entré en France en 2013 selon ses déclarations. Le 22 novembre 2021, l'intéressé a sollicité son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 7 juin 2022, le préfet de la Guyane a rejeté sa demande de titre de séjour. M. A... relève appel du jugement du 6 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : 1° Les documents justifiants de son état civil ; 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; (...) La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. (...) ". Selon l'article L. 811-2 de ce code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
3. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
4. Il résulte des termes de l'arrêté attaqué que, pour refuser à M. A... la délivrance d'un titre de séjour, le préfet de la Guyane s'est notamment fondé sur la circonstance que les pièces produites par l'intéressé à l'appui de sa demande ne sont pas légalisées par le consulat d'Haïti et ne sont donc pas authentiques. Pour justifier de son état civil et notamment de son identité et de sa nationalité, M. A... avait effectivement produit dans son dossier administratif, à l'appui d'un acte de naissance délivré par les archives nationales de la République d'Haïti, un document de " légalisation " ne comportant pas la signature du Consul de France à Haïti. Toutefois, le requérant avait produit devant le tribunal un autre document comportant cette fois la signature de Mme C..., " Consul, Chef de poste du consulat " et un tampon du 9 novembre 2020 du consulat d'Haïti à Cayenne légalisant une signature, dont l'authenticité n'a pas été remise en cause par le préfet de la Guyane. Il suit de là que l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de fait en ce qu'il mentionne que les pièces produites par M. A... à l'appui de sa demande ne sont pas authentiques.
5. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L.423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France en 2013, ainsi qu'en atteste la demande qu'il a déposée le 19 décembre 2013 tendant au bénéfice de l'asile. Les documents variés et d'une nature différente qu'il produit, notamment, une attestation d'hébergement depuis 2015 établie par la mère de sa compagne, datée du 19 octobre 2018, une facture d'électricité de 2018, l'acte de naissance de sa fille à Cayenne en 2015, les certificats de scolarité de son enfant mineur sur les années 2018-2019, 2021-2022, 2023-2024, un certificat médical de 2018, une attestation d'assurance sur les années 2018-2019, et les avis de sa situation déclarative à l'impôt sur le revenu des années 2015, 2016, 2018, 2020, 2021, 2022, sont de nature à justifier sa présence en France depuis 7 ans à la date de l'arrêté attaqué, laquelle n'est d'ailleurs pas contestée par le préfet. Il ressort également des pièces du dossier que sa compagne et mère de son enfant a bénéficié de précédents titres de séjour valables du 28 mars 2019 au 27 mars 2020 puis du 16 avril 2020 au 15 avril 2022. Si à la date de l'arrêté attaqué, celle-ci n'était plus détentrice d'un titre de séjour, elle justifiait néanmoins d'un droit au séjour ainsi que l'atteste le nouveau titre valable du 23 août 2022 au 22 août 2024 qui lui a ensuite été délivré. Enfin, le requérant établit, par les attestations qu'il produit, contribuer à l'éducation de son enfant. Par suite, alors même que M. A... ne justifie pas d'une intégration particulière dans le tissu économique français, eu égard aux conditions de son séjour en France, il est fondé à soutenir qu'en décidant de prendre à son encontre l'arrêté contesté, le préfet a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être accueillis. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle doit être accueilli.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Sur l'injonction :
8. Eu égard au motif retenu, l'annulation de l'arrêté du préfet de la Guyane implique nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressé. Par suite, il y a lieu, sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle à la date de la nouvelle décision du préfet, d'enjoindre au préfet de la Guyane de délivrer à M. A... le titre de séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Hussein, son avocat, d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 6 juin 2024 du tribunal administratif de la Guyane et l'arrêté du 7 juin 2022 du préfet de la Guyane sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Guyane de délivrer à M. A... le titre de séjour sollicité dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Hussein une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Guyane.
Délibéré après l'audience du 20 mai 2025 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président de la cour,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente de chambre,
M. Nicolas Normand, président-assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2025.
Le rapporteur,
Nicolas B...
Le président,
Luc DerepasLa greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX03044