Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association de soins à domicile de La Réunion (ASDR) a demandé au tribunal administratif de la Réunion de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'exercice clos en 2017, des rappels de taxe d'apprentissage qui lui ont été réclamés au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017, des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui lui ont été réclamés au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017.
Par un jugement n° 2200207, 2200209, 2200453 du 11 avril 2023, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 mai 2023, et un mémoire complémentaire enregistré le 18 janvier 2024, l'association de soins à domicile de La Réunion (ASDR), représentée par Me Badin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 avril 2023 du tribunal administratif de la Réunion ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'exercice clos en 2017, des rappels de taxe d'apprentissage qui lui ont été réclamés au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017, des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui lui ont été réclamés au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de 1'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'erreurs de droit, de fait et d'appréciation ;
- l'article L. 6161-5 du code de la santé publique réserve la qualité d'ESPIC aux établissements qui " poursuivent un but non lucratif " ; la doctrine BOI-ANNX-000181 précise que " ce statut est légalement réservé aux établissements gérés par un organisme sans but lucratif " ;
- elle respecte toutes les exigences posées à l'article L. 6112-2 du code de la santé publique et est le seul établissement privé de la Réunion à bénéficier de cette habilitation tant sur un plan organisationnel que concurrentiel ; sa situation ne peut être comparée à celle d'un établissement qui ne bénéficie pas de ce statut ;
- la simple qualité de membre de l'association des trois infirmiers ne démontre pas que sa gestion est intéressée ; ils ne sont pas membres du conseil d'administration et n'exercent pas de fonction de gestion ou d'administration (BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, n° 60, 130 et 140) ;
- la démarche des néphrologues qui lui adressent leurs patients est altruiste ; les rapports avec la SELARL de néphrologie et de dialyse reposent sur une coopération exemplaire entre la médecine de ville et les structures extrahospitalières, dans l'intérêt des patients et de l'assurance maladie qui voit ses dépenses réduites ; l'article R. 6123- 54 du code de la santé publique distingue ces activités ;
- les activités de soins dispensées par les néphrologues de la SELARL de néphrologie et de dialyse se distinguent de celles dispensées par elle, qui n'implique aucun moyen spécifique, dès lors que l'intervention du praticien se borne à s'assurer de l'adéquation d'un traitement à l'état de santé d'un patient ; l'intervention de ces néphrologues consiste à dispenser des consultations et non pas à procéder aux actes de soin ; elle ne met pas à leur disposition de bureau ;
- l'objet social de l'ASDR n'est pas celui d'un établissement de santé public ou d'un établissement de santé privé lucratif qui dispense des soins ; elle pratique une minoration tarifaire, voire des soins gratuits quand des personnes n'ont pas les moyens d'honorer les factures de l'ASDR ; un fonds d'aide sociale couvre les dépenses en lien avec le traitement du patient qui restent à leur charge ou celle de leur famille ;
- elle consacre les excédents de son activité de dialyse au développement d'une activité d'hospitalisation à domicile (HAD) qui, depuis 2016, est prépondérante (BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, n° 630-460) ;
- loin de constituer un prolongement de leurs activités, les consultations dispensées par les néphrologues se font dans l'intérêt exclusif du patient ;
- elle n'a jamais affirmé que " les résultats excédentaires des unités d'auto-dialyse et de dialyse médicalisée couvrent le déficit allégué des prestations de dialyse à domicile " ;
- elle fait état des modalités de calcul de ces consultations, qui correspondent aux rares moyens logistiques qu'elle est susceptible de mobiliser lorsque les néphrologues interviennent dans ses unités de dialyse ; les redevances sont facturées à l'acte ;
- sur les années contrôlées, aucun praticien n'a bénéficié de moyens allant au-delà des 3/4 du SMIC annuel ; la qualité d'ESPIC lui interdit de pratiquer des dépassements d'honoraires (BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, n° 100, 660) ; elle respecte le critère du prix ;
- ce fonctionnement a conduit l'administration fiscale à ne pas la fiscaliser des années durant ; 75 % de ses patients résident à moins de cinq kilomètres de leur lieu de dialyse ; les organismes lucratifs étant systématiquement éloignés de plus de cinq kilomètres de ses implantations, elle n'entre pas en concurrence avec eux ; elle exerce ses activités de dialyse hors centre grâce à des autorisations sanitaires au nombre limité afin de répondre à un besoin de santé contingenté ; tant d'un point de vue légal que factuel, elle ne peut être en concurrence avec un autre établissement de soins ;
- son action se distingue de celle de l'AURAR ; elle n'intervient pas dans un marché concurrentiel et n'exerce pas dans le même bassin hospitalier, des activités identiques à celles d'établissements de santé privés ;
- elle ne fait pas de publicité et respecte l'article R. 4127- 19 du code de la santé publique ;
- l'ouverture de plusieurs centres de dialyse au nord de la Réunion n'a pas pour effet de modifier sa situation dès lors qu'elle a toujours localisé ses activités de dialyse dans cette partie du département ;
- elle exerce dans quatre sites une activité d'hospitalisation à domicile qui représente près de 50 % de son activité, qui n'entre en concurrence avec aucune structure du territoire ;
- les néphrologues perçoivent seulement des honoraires " de la caisse de sécurité sociale " ; lorsqu'ils interviennent, les médecins associés d'une SELARL ayant pour objet de pratiquer l'activité de dialyse en centre renoncent à une partie de leur activité en acceptant de ne pas facturer de dépassement d'honoraires et en limitant leurs consultations et des interventions ponctuelles, ce dernier objectif étant l'un des avantages de la dialyse hors centre ;
- les activités de dialyse se sont développées et sont restées cantonnées au territoire d'intervention qui avait été porté à la connaissance de l'administration fiscale ;
- l'administration ne pouvait remettre en cause cette position que pour l'avenir ;
- son activité ne peut être comparée à celle des établissements de santé privés lucratifs ;
- selon le bulletin officiel des finances publiques (BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20, n° 530), la concurrence entre organismes lucratifs et non lucratifs doit s'apprécier " à un niveau fin " et sectoriel.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 novembre 2023 et 22 mars 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas fait l'objet d'une communication, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par l'ASDR ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Martin,
- les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique,
- et les observations de Me Badin, représentant l'association de soins à domicile de La Réunion (ASDR).
Considérant ce qui suit :
1. L'association de soins à domicile de la Réunion (ASDR) est une association régie par la loi 1901, déclarée en préfecture le 8 septembre 1987, qui a notamment pour objet, dans le périmètre des îles de la Réunion et de Mayotte, la prise en charge et le développement des méthodes alternatives à l'hospitalisation par les centres d'auto dialyse, le traitement à domicile, tout autre mode de traitement, ainsi que le règlement de tout problème propre au traitement des patients à domicile. Le 23 juillet 2010, elle s'est déclarée comme établissement de santé privé d'intérêt collectif (ESPIC) auprès de l'agence régionale de santé de l'océan indien, laquelle l'autorise à mettre en œuvre le traitement de l'insuffisance rénale chronique (terminale et l'hospitalisation à domicile). L'association dispose sur l'ile de la Réunion de cinq structures d'alternative à la dialyse en centre à Saint-André, Saint-Paul, Sainte-Marie, La Possession et Sainte-Clotilde-Saint-Denis et de quatre secteurs d'hospitalisation à domicile.
2. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur l'ensemble des déclarations fiscales au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017, l'administration fiscale, selon la procédure de rectification contradictoire s'agissant de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2017, et la procédure de taxation d'office s'agissant de la cotisation à la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la taxe d'apprentissage des années 2015 à 2017, a estimé que l'association n'était pas gérée de manière désintéressée au sens des articles 207-1-5° et 261-7-1° du code général des impôts et qu'elle exerçait son activité de dialyse dans les mêmes conditions que les autres établissements privés de santé de l'île, ce qui la privait du bénéfice de l'exonération des impôts commerciaux. Les impositions d'un montant total, en droits, intérêts de retard et majorations, de 944 860 euros, ont été mises en recouvrement le 15 juillet 2021. La réclamation du 5 août 2021 ayant été rejetée le 14 février 2022, l'ASDR a porté le litige devant le tribunal administratif de la Réunion, en sollicitant la décharge des cotisations à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2017, de la CVAE et de la taxe d'apprentissage au titre des années 2015, 2016 et 2017. L'ASDR relève appel du jugement du 11 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de la Réunion a rejeté ses demandes.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
3. D'une part, aux termes de l'article 206 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. (...) sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes dans les conditions prévues au IV de l'article 3 du décret n° 55-594 du 20 mai 1955 modifié, (...) ainsi que, sous réserve des dispositions du 6° et 6° bis du 1 de l'article 207, les établissements publics, (...) et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. / 1 bis. Toutefois, ne sont pas passibles de l'impôt sur les sociétés prévu au 1 les associations régies par la loi du 1er juillet 1901 (...), dont la gestion est désintéressée, lorsque leurs activités non lucratives restent significativement prépondérantes (...) / Les organismes mentionnés au premier alinéa deviennent passibles de l'impôt sur les sociétés prévu au 1 à compter du 1 erjanvier de l'année au cours de laquelle l'une des trois conditions prévues à l'alinéa précité n'est plus remplie. (...) ". Le 5° bis de l'article 207 du même code dispose que sont exonérés de l'impôt sur les sociétés les organismes sans but lucratif mentionnés au 1° du 7 de l'article 261, pour les opérations à raison desquelles ils sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée. Aux termes de l'article 261 de ce code : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : (...) /7. (Organismes d'utilité générale) : 1° a. les services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leurs membres par les organismes légalement constitués agissant sans but lucratif, et dont la gestion est désintéressée. (...) / d. le caractère désintéressé de la gestion résulte de la réunion des conditions ci-après : /L'organisme doit, en principe, être géré et administré à titre bénévole par des personnes n'ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation. / Toutefois, lorsqu'une association régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association (...) décide que l'exercice des fonctions dévolues à ses dirigeants justifie le versement d'une rémunération, le caractère désintéressé de sa gestion n'est pas remis en cause si ses statuts et ses modalités de fonctionnement assurent sa transparence financière, l'élection régulière et périodique de ses dirigeants, le contrôle effectif de sa gestion par ses membres et l'adéquation de la rémunération aux sujétions effectivement imposées aux dirigeants concernés ; cette disposition s'applique dans les conditions suivantes : (...) le montant de toutes les rémunérations versées à chaque dirigeant au titre de la présente disposition ne peut en aucun cas excéder trois fois le montant du plafond visé à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale. (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 1447 du même code : " I. La cotisation foncière des entreprises est due chaque année par les personnes physiques ou morales, (...) qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée. (...) / II. La cotisation foncière des entreprises n'est pas due par les organismes mentionnés au premier alinéa du 1 bis de l'article 206 qui remplissent les trois conditions fixées par ce même alinéa. / (...) ". En application de l'article 1586 ter de ce code, les personnes morales qui exercent une activité dans les conditions fixées à l'article 1447 et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 euros sont soumises à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
5. Enfin, l'article 1599 ter A du même code soumet à la taxe d'apprentissage les associations et organismes passibles de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 206, à l'exception de ceux désignés au 5 de l'article précité, quel que soit leur objet.
6. En application de ces dispositions, les associations ne sont exonérées d'impôt sur les sociétés, de taxe professionnelle et de taxe sur la valeur ajoutée que si, d'une part, leur gestion présente un caractère désintéressé et si, d'autre part, les services qu'elles rendent ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique. Toutefois, même dans le cas où une association intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, elle reste exclue du champ de l'impôt sur les sociétés, et de la taxe professionnelle et continue de bénéficier de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée si elle exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s'adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et à tout le moins des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l'information du public sur les services qu'elle offre.
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 6161-5 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable jusqu'au 28 janvier 2016 : " Sont qualifiés d'établissements de santé privés d'intérêt collectif : (...) 2° Les établissements de santé privés gérés par des organismes sans but lucratif qui en font la déclaration auprès de l'agence régionale de santé. (...) " et aux termes de l'article D. 6161-2 du même code, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Les organismes privés sans but lucratif déclarent la qualité d'établissement de santé privé d'intérêt collectif du ou des établissements de santé qu'ils gèrent au directeur général de l'agence régionale de santé territorialement compétent. /La déclaration comprend l'engagement pris par l'établissement de santé de respecter les garanties prévues aux 1° et 2° de l'article L. 6112-3 et d'appliquer aux assurés sociaux les tarifs prévus aux articles L. 162-20 et L. 162-26 du code de la sécurité sociale ainsi que les dispositions d'encadrement tarifaire mentionnées au IV de l'article 53 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. ".
8. En application de ces dispositions, par lettre du 23 juillet 2010, l'ASDR a déclaré à l'agence régionale de santé son statut d'établissement de santé privé d'intérêt collectif et a produit le procès-verbal de la délibération du même jour par laquelle son conseil d'administration s'est engagé à respecter les garanties rappelées au 2ème alinéa de l'article D. 6161-2 du code de la santé publique. Alors même qu'elle s'est engagée à exercer l'ensemble de son activité dans les conditions énoncées à l'article L. 6112-2 du même code, elle ne peut toutefois utilement se prévaloir de sa qualité d'organisme sans but lucratif pour soutenir qu'elle doit être exonérée des impositions en litige dès lors que cette qualification reposait sur un régime déclaratif et que le caractère désintéressé de sa gestion doit être examiné au regard des critères rappelés au point 6.
9. En second lieu, l'association de soins à domicile de la Réunion, créée en 1988 sous le régime de la loi de 1901, a principalement pour objet le traitement et la prise en charge des patients souffrant d'insuffisance rénale chronique terminale, par la dialyse et l'hospitalisation à domicile. Il résulte de l'instruction que l'association a compté entre 2015 et 2017 au maximum 8 membres dont 4 constituaient le conseil d'administration. Parmi ces membres, trois infirmiers libéraux ont perçu des honoraires de l'association, représentant la majorité de leurs revenus professionnels. Ses deux présidents successifs, médecins néphrologues sont également les associés et gérants de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) de néphrologie et de dialyse, laquelle n'a ni locaux ni salariés et regroupe six médecins associés dont cinq, puis six à compter de février 2017, étaient les seuls intervenants auprès de l'association et ont perçu des honoraires pour les consultations effectuées pour son compte, en application de conventions d'exercice professionnel conclues à titre individuel. Ces conventions stipulent que l'ASDR met à disposition de ces praticiens ses locaux, son matériel et le personnel médical et administratif qualifié, sans aucune contrepartie et leur règle dans un délai de trente jours, sur son compte bancaire, leurs honoraires de consultations, pour lesquels elle établit les factures mensuelles qu'elle transmet à l'organisme d'assurance maladie. Si l'association soutient que les interventions des médecins au titre de l'association ne requéraient aucun moyen spécifique et se bornaient à des consultations sans actes de soin, dans l'intérêt des patients, il n'en demeure pas moins qu'en procédant à la prise en charge et au développement des méthodes alternatives à l'hospitalisation qu'il s'agisse de centres d'auto dialyse ou de traitement à domicile, les médecins néphrologues utilisaient, sans aucune contrepartie financière au cours des années vérifiées, la structure associative pour exercer leur activité professionnelle et le suivi des malades, ainsi qu'il ressort du tableau récapitulatif des consultations produit devant le tribunal, faisant l'objet de remboursements par les organismes sociaux. Si, postérieurement aux années vérifiées, à compter de l'année 2019, les contrats d'exercice professionnel prévoient à l'article 8 une redevance au titre de la gestion des honoraires de suivi des patients dialysés dans les centres ASDR au coût de gestion unitaire de la consultation de 0,197 euros, un tel pourcentage de 0,66 % (redevance théorique/honoraires) se situe très en deçà du pourcentage communément admis par la profession, ainsi que le relève d'ailleurs la Cour des comptes dans un rapport rédigé en octobre 2023 sur les établissements de santé publics et privés. Dans ces conditions, eu égard aux modalités de sa gouvernance et de fonctionnement avec les professionnels de santé intervenant en son nom, l'association doit être regardée comme ayant consenti à ses membres, des avantages en nature faisant obstacle à la reconnaissance du caractère désintéressé de sa gestion.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la condition tenant au caractère non concurrentiel de l'activité que la gestion de l'association appelante ne présente pas un caractère désintéressé, ce qui fait obstacle à l'exonération d'impôt sur les sociétés, de taxe professionnelle et de taxe sur la valeur ajoutée.
11. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a estimé que l'ASDR devait être assujettie, au titre de la période en litige, en application des dispositions citées aux points 3, 4, 5, à l'impôt sur les sociétés, à la taxe d'apprentissage et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
En ce qui concerne l'application de la doctrine fiscale :
12. Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. (...) ".
13. En premier lieu, le paragraphe n° 460 de l'instruction administrative BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 du 7 juin 2017 dispose que " La gestion d'un organisme n'est pas désintéressée si celui-ci a pour but exclusif ou principal de fournir des débouchés à une entreprise ou d'exercer une activité complémentaire de celle d'un organisme du secteur lucratif dans laquelle un dirigeant de l'organisme aurait, directement ou indirectement, des intérêts. " et le n° 100, qu' " il est admis que le caractère désintéressé de la gestion de l'organisme ne soit pas remis en cause si la rémunération brute mensuelle totale versée à chaque dirigeant, de droit ou de fait, n'excède pas les trois quarts du SMIC ". Les n° 60, 130, 140 et 530 de la même doctrine rappellent les conditions du caractère désintéressé d'une association et précisent que " Constituent des dirigeants de droit les membres du conseil d'administration ou de l'organe qui en tient lieu, quelle qu'en soit la dénomination " et qu'il convient d'entendre " Par rémunération, (...) le versement de sommes d'argent ou l'octroi de tout autre avantage consenti par l'organisme (...). Sont notamment visés les salaires, honoraires et avantages en nature, et autres cadeaux, de même que tout remboursement de frais dont il ne peut être justifié qu'ils ont été utilisés conformément à leur objet ". L'association renvoie enfin au paragraphe 630 en soutenant qu'elle consacre les excédents de son activité de dialyse au développement d'une activité d'hospitalisation à domicile (HAD) qui, depuis 2016, est prépondérante. L'association requérante ne peut utilement se prévaloir de cette doctrine, dans les prévisions de laquelle elle ne rentre pas.
14. En deuxième lieu, l'ASDR ne peut utilement se prévaloir de la doctrine BOI-ANNX-000181 du 22 avril 2013 laquelle concerne l'activité liée aux établissements de santé à but non lucratif gérés par des mutuelles (secteur sanitaire) relevant du livre III du code de la mutualité.
15. En troisième lieu, si, aux termes du paragraphe 660 de la doctrine BOI-IS-CHAMP-10-50-10-20 : " Cette condition de prix est réputée respectée lorsque les tarifs de l'organisme se trouvent homologués par la décision particulière d'une autorité publique ; ceci suppose que l'organisme soit soumis à une tarification qui lui est propre. En revanche, les dépassements des tarifs homologués sont de nature à caractériser une activité lucrative. ", il n'est en tout état de cause pas contesté que l'association appelante ne procède pas à des dépassements de tarifs homologués.
En ce qui concerne la prise de position formelle au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales :
16. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. /(...) " et aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi. (...) ".
17. L'association entend se prévaloir de la garantie accordée aux contribuables par les dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales en cas de prise de position formelle de l'administration fiscale, en se fondant sur un courrier du 2 février 2000, par lequel, en réponse au questionnaire renseigné le 27 décembre 1999, il lui a été indiqué qu'elle était exonérée des impôts commerciaux compte tenu d'une gestion désintéressée et de l'absence de concurrence de son activité avec une autre entreprise du secteur privé dans le département. Il résulte toutefois de l'instruction qu'ainsi que le rappelait le même courrier, toute portée doit être enlevée à la réponse produite, dès lors que la contribuable a transmis des informations erronées à l'appui de sa demande, et alors qu'au surplus, son activité a évolué au cours des dernières années et se trouve en situation concurrentielle avec des établissements publics et privés. Pour ce même motif, l'association appelante ne peut utilement se prévaloir d'un droit acquis qui ne pouvait être remis en cause que pour l'avenir.
18. Il résulte de tout ce qui précède que l'association de soins à domicile de la Réunion n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce que soit mise à la charge de l'Etat le versement d'une somme d'argent au titre des frais de justice ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'association de soins à domicile de la Réunion est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association de soins à domicile de la Réunion et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-Ouest.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juin 2025.
La rapporteure,
Bénédicte MartinLa présidente,
Frédérique Munoz-PauzièsLa greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01407