Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Bocage et patrimoine a demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2018 par lequel le préfet de l'Indre a autorisé la société MSE La Haute-Borne à exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Tilly.
Par un arrêt avant-dire droit n° 19BX01049 du 31 mai 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux, par ses articles 1er et 2, a annulé cet arrêté en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, a suspendu son exécution jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation, par son article 3, a sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la demande jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre ou six mois à compter de la notification de l'arrêt pour permettre à la société Engie Green Tilly de lui notifier le cas échéant une mesure de régularisation et, par son article 4, a réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par cet arrêt.
Par une décision n° 466162 du 20 juillet 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé les articles 1er et 2 de l'arrêt du 31 mai 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux et a renvoyé l'affaire dans cette mesure devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n°23BX02061.
Procédures devant la cour :
I. Sous le n° 19BX01049, par courriers des 13 juin et 28 juillet 2022, le préfet de l'Indre a informé la cour des démarches entreprises auprès du pétitionnaire pour régulariser le vice entachant l'arrêté du 14 septembre 2018 et de l'engagement de ce dernier dans la réalisation d'études de mise à jour du dossier, selon un planning prévisionnel ne devant pas conduire au dépôt d'un dossier complet en préfecture avant fin 2023.
Par un courrier du 19 janvier 2023, la société Engie Green Tilly a informé la cour de ce que le planning prévisionnel de la mise à jour de son dossier devrait la conduire au dépôt d'un dossier complet en préfecture au premier ou au deuxième trimestre 2024.
En réponse à un courrier du 3 janvier 2024 du conseil de la société Engie Green Tilly faisant suite à la décision n° 466162 du 20 juillet 2023 du Conseil d'Etat, la cour a informé
celui-ci de ce qu'elle restait saisie de la régularisation de l'avis de l'autorité environnementale dans le cadre de l'instance initiale.
Par un courrier du 6 février 2025, les parties ont été invitées à informer la cour de l'existence d'un arrêté modificatif régularisant le vice entachant la procédure, relevé au point 23 de l'arrêt avant-dire droit du 31 mai 2022.
Par un courrier enregistré le 20 février 2025, le préfet de l'Indre a informé la cour de ce que le pétitionnaire envisage le dépôt d'un dossier de régularisation en préfecture en septembre 2025.
Par un courrier enregistré le 21 février 2025, la société Engie Green Tilly a informé la cour de ce que le planning prévisionnel de la mise à jour de son dossier devrait la conduire au dépôt d'un dossier complet en préfecture au troisième trimestre 2025.
Par un courrier enregistré le 24 février 2025, l'association Bocage et patrimoine a indiqué à la cour que 33 mois après l'arrêt avant-dire droit du 31 mai 2022, aucune mesure n'a encore été notifiée.
Par un mémoire enregistré le 3 avril 2025, qui n'a pas été communiqué, l'association Bocage et patrimoine conclut aux mêmes fins que sa requête, en se prévalant de diverses jurisprudences qu'elle estime en lien avec le présent contentieux.
II. Sous le n° 23BX02061, par des mémoires, enregistrés les 28 septembre 2023,
11 janvier, 7 mai et 8 juillet 2024, l'association Bocage et patrimoine, représentée par Me Gohier, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2018 par lequel le préfet de l'Indre a autorisé la société MSE La Haute-Borne à exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Tilly ou, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer pendant un délai de six mois afin de permettre la régularisation de l'arrêté par la production d'une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'illégalité mentionnée au point 23 de l'arrêt avant-dire droit du 31 mai 2022, qui n'a pas été infirmé à ce titre par la décision du Conseil d'Etat n° 466162, n'a toujours pas été régularisée par une décision modificative faisant suite à la production d'un avis de l'autorité environnementale répondant aux exigences de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 ;
- au regard de la décision du Conseil d'Etat n° 466162 annulant les articles 1er et 2 de l'arrêt du 31 mai 2022, il appartient à la cour d'apprécier, alors que la fréquentation du site d'étude et de l'aire d'implantation par de nombreuses espèces protégées ne fait pas débat, si les effets du projet, malgré les mesures d'évitement ou de réduction prévues, font courir un risque suffisamment caractérisé auxdites espèces ; s'agissant de l'avifaune, parmi les huit espèces d'intérêt patrimonial remarquable sensibles à l'éolien présents à proximité de la zone d'implantation du projet, il convient de prendre en compte la situation toute particulière de la cigogne noire, classée " en danger critique d'extension " dans les départements de la
Haute-Vienne et de l'Indre, et pour la protection de laquelle est défini un secteur d'enjeu majeur de dix kilomètres autour du nid qualifié de très sensible et un secteur de vingt kilomètres constituant la zone de gagnage alimentaire qualifiée de vitale ; or, l'étude d'impact, qui mentionne la cigogne noire comme étant présente à plusieurs emplacements dans le périmètre d'un kilomètre de la zone d'implantation du parc éolien, et dans les périmètres de quatre à dix kilomètres autour de cette zone, retient un risque " potentiellement fort " en période d'exploitation ; de plus, alors que la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) Nouvelle-Aquitaine a rendu public le 7 août 2023 la découverte de trois nids rapprochés de quelques kilomètres, le projet en litige se trouve à l'intersection de ces trois nids et multiplierait les risques de dérangement et de collision avec les spécimens répertoriés, compte tenu de l'altitude en vol de la cigogne qui la rend potentiellement vulnérable à la collision avec les pales des aérogénérateurs ; alors qu'aucune mesure d'évitement n'a été prévue pour la cigogne noire, la destruction d'un seul individu de cette espèce représente un risque non acceptable ; ce fait nouveau est de nature à lui seul à justifier la censure de l'arrêté ayant délivré l'autorisation environnementale, pour méconnaissance de l'article L. 181-3 du code de l'environnement, ou à tout le moins un arrêté dérogatoire à la destruction de cette espèce en application de l'article L. 411-2 du même code ; par ailleurs, les risques encourus par la grue cendrée, le milan royal et le courlis cendré, malgré les mesures d'évitement et de réduction, sont également suffisamment caractérisés pour justifier une demande de dérogation au titre de l'article L. 411-1 ; s'agissant des chiroptères répertoriés à proximité du site, l'effectivité des risques encourus, malgré les mesures d'évitement et de réduction, justifie également une demande de dérogation au titre de l'article L. 411-1 du code de l'environnement.
Par un mémoire enregistré le 12 janvier 2024, le préfet de l'Indre conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la régularisation de l'avis de l'autorité environnementale impose un travail d'actualisation du dossier, qui est en cours ;
- la nécessité d'obtenir, le cas échéant, une dérogation au titre des espèces protégées n'a pas, en principe, pour conséquence d'imposer un refus d'autorisation, le juge étant tenu de mettre en œuvre les pouvoirs de demande de régularisation qu'il tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.
Par un mémoire enregistré le 23 février 2024, la société Engie Green Tilly, société par actions simplifiée à associé unique à laquelle l'autorisation a été transférée, représentée par Me Enckell, conclut au rejet de la requête ou, subsidiairement, à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente d'un arrêté de régularisation et à ce que soit mis à la charge de l'association Bocage et patrimoine le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen tiré de l'absence de régularisation de l'avis de l'autorité environnementale, qui concerne l'instance n° 19BX01049, est inopérant dans le cadre de l'instance n° 23BX02061 ;
- le moyen tiré de la nécessité de solliciter une dérogation au titre des espèces protégées n'est pas fondé, en l'absence de risque suffisamment caractérisé après prise en compte des mesures d'évitement et de réduction.
Par une ordonnance du 9 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au
2 septembre 2024.
Les parties ont été invitées le 12 mars 2025 à présenter des observations sur la possibilité pour la cour de surseoir à statuer sur le fondement de l'article L. 181-18 du code de l'environnement afin de permettre la régularisation du vice susceptible d'être retenu tiré de l'absence de demande de dérogation prévue au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 29 octobre 2009 du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, et du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo,
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,
- et les observations de Me Genty, représentant l'association Bocage et patrimoine, et de Me Challend De Cevins, représentant la société Engie Green Tilly.
Une note en délibéré présentée par la société Engie Green Tilly a été enregistrée le 11 avril 2025.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 14 septembre 2018, le préfet de l'Indre a autorisé la société MSE La Haute-Borne à exploiter un parc éolien composé de sept éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Tilly. Cette autorisation a été transférée à la société Engie Green Tilly le 14 février 2019. Saisie par l'association Bocage et patrimoine, la cour administrative d'appel de Bordeaux, par un arrêt avant-dire droit n° 19BX01049 du 31 mai 2022, a, par ses articles 1er et 2, annulé cet arrêté en tant qu'il ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement et suspendu son exécution jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation, et, par ses articles 3 et 4, sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la demande jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre ou six mois à compter de la notification de l'arrêt pour permettre à la société Engie Green Tilly de lui notifier le cas échéant une mesure de régularisation du vice tiré de l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale mentionnée au point 23 et réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par cet arrêt. Par une décision n° 466162 du 20 juillet 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé les articles 1er et 2 de cet arrêt du 31 mai 2022 et a renvoyé l'affaire dans cette mesure devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n°23BX02061. Le Conseil d'Etat n'ayant pas annulé les articles 3 et 4 de l'arrêt du 31 mai 2022, la cour reste saisie, sous le n°19BX01049, de la régularisation de l'avis de l'autorité environnementale dans le cadre de l'instance initiale.
Sur la jonction :
2. Les deux requêtes n°19BX01049 et n°23BX02061 sont dirigées contre une même décision. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 14 septembre 2018 :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. Il résulte de l'instruction que, dans les délais fixés à l'article 3 du dispositif de l'arrêt rendu le 31 mai 2022, aucune mesure de régularisation du vice entachant l'autorisation environnementale en litige, relevé au point 23, n'a été notifiée à la cour, tant dans les délais initiaux fixés à quatre ou six mois à compter du 31 mai 2022, qu'à la date du présent arrêt. Dans ces conditions, l'association Bocage et patrimoine est fondée à soutenir que l'arrêté du
14 septembre 2018 par lequel le préfet de l'Indre a autorisé l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de Tilly[0] reste entaché d'une irrégularité de procédure.
En ce qui concerne la légalité interne :
S'agissant de la méconnaissance de l'article L. 181-3 du code de l'environnement :
4. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. / (...) ". Selon l'article L. 512-1 du même code : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. / (...) ". Aux termes de l'article L. 181-3 de ce code : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement (...) II.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; / (...) ".
5. Par son arrêt avant-dire droit du 31 mai 2022, la cour, qui n'a prononcé qu'une annulation partielle de l'arrêté préfectoral du 14 septembre 2018, en tant qu'il ne comportait pas de dérogation " espèces protégées ", a implicitement estimé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer d'annulation totale sur le fondement des articles L. 511-1 et L. 181-3 du code de l'environnement. Le Conseil d'Etat n'ayant censuré l'arrêt qu'en tant qu'il s'est prononcé sur la nécessité de solliciter une dérogation " espèces protégées " et n'ayant renvoyé l'affaire à la cour que dans cette mesure, l'arrêt est devenu définitif sur les autres points déjà examinés par la cour. Par suite, le moyen tiré de ce que l'atteinte à la conservation de la population de cigogne noire que porterait le parc projeté serait de nature à justifier l'annulation de l'arrêté ayant délivré l'autorisation environnementale, pour méconnaissance de l'article L. 181-3 du code de l'environnement, ne peut qu'être écarté.
S'agissant de la méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement :
6. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle (...) d'animaux de ces espèces (...). ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / (...) ".
7. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens d'une espèce protégée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
8. L'association requérante soutient que le parc éolien risque de porter atteinte à de nombreuses espèces protégées, dont la cigogne noire, et que le préfet de la Haute-Vienne aurait, dès lors, dû demander au pétitionnaire de déposer un dossier de demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées en application des dispositions précitées de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.
9. La cigogne noire est inscrite à l'annexe 1 de la directive 2009/147/CE concernant la conservation des oiseaux sauvages, qui font l'objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d'assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution. Elle est en outre mentionnée à l'article 3 de l'arrêté du 29 octobre 2009 du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, et du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection, interdisant en particulier, " sur les parties du territoire métropolitain où l'espèce est présente ainsi que dans l'aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants la destruction, l'altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. (...) ". Elle est classée " EN ", soit comme étant en danger, sur la liste rouge nationale des oiseaux nicheurs de France métropolitaine, et considérée comme étant en danger critique (classée CR) à l'échelle des régions du Centre et du Limousin. La population nicheuse n'excède pas 70 couples au niveau national.
10. Il résulte d'études générales jointes au dossier, que la cigogne noire, espèce diurne, solitaire, farouche et discrète, est un oiseau à grand territoire qui niche en forêt. En période de nourrissage des jeunes, elle capture ses proies, qui sont essentiellement des proies aquatiques, en se déplaçant dans les eaux peu profondes, jusqu'à une vingtaine de kilomètres du nid. L'espèce est connue pour revenir plusieurs années de suite dans les mêmes secteurs pour nidifier, selon une moyenne en France de sept ans. Les œufs, pondus entre fin mars et mai, éclosent entre fin avril et début juin, les jeunes séjournant ensuite au nid entre 63 et 71 jours.
11. Il résulte de l'instruction que l'annexe 4 de l'étude d'impact portant expertise naturaliste, réalisée en août 2011, signalait déjà la présence de la cigogne noire observée, en périodes de nidification, dans la zone tampon de quatre kilomètres autour du parc éolien projeté, et en période migratoire, dans les différentes zones tampon d'un, quatre et dix kilomètres. Il résulte de l'instruction que la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) Nouvelle-Aquitaine a communiqué le 7 août 2023 une carte localisant trois nids de cigogne noire récemment identifiés à cheval sur les départements de l'Indre, de la Vienne et de la Haute-Vienne, ainsi que les périmètres de nidification de cette espèce, comprenant un secteur très sensible de nidification, qualifié d'enjeu majeur, de dix kilomètres et un domaine vital d'alimentation de vingt kilomètres autour des nids. La DREAL précise qu': " en raison des projets éoliens à proximité des nids, cette communication s'impose puisque l'altitude en vol de la cigogne la rend potentiellement vulnérable à la collision avec les pâles des aérogénérateurs. L'installation de ces infrastructures dans le domaine vital de la cigogne noire augmenterait le risque de dérangement comme la fragmentation de son territoire ". Si la société Engie soutient qu'il résulte de cette carte que la distance entre ces trois nids et son projet de parc éolien est comprise entre douze et vingt kilomètres, il résulte de l'instruction que le projet litigieux se situe à l'intersection de ces trois nids, à l'intérieur des trois périmètres vitaux de vingt kilomètres autour de ces nids, et, compte tenu de la localisation volontairement imprécise des nids par la DREAL pour éviter tout accroissement du risque de dérangement, à la limite des trois secteurs très sensibles de dix kilomètres autour desdits nids. Dans ces conditions, bien qu'il ne soit pas établi qu'elle soit revenue depuis 2023 dans le secteur pour nidifier, la fréquentation du site d'implantation du projet par la cigogne noire peut être considérée comme réelle, actuelle et régulière. Or, si la pétitionnaire affirme qu'après application des mesures d'évitement et de réduction, les impacts résiduels du projet sur la cigogne noire peuvent être considérés comme faibles, que ce soit en phase de travaux ou en phase d'exploitation, il reconnait ainsi que le risque de collision avec les aérogénérateurs n'est pas nul. En raison de la menace importante d'extinction de l'espèce nicheuse en France et de ses très faibles effectifs, en particulier en région Centre-Val de Loire, il résulte de l'instruction que la mortalité d'un ou de plusieurs individus nicheurs de cigogne noire en raison d'une collision avec une éolienne du parc projeté expose cette espèce à un risque suffisamment caractérisé de destruction, qui ne pourra pas être prévenu par les mesures spécifiées dans l'arrêté attaqué et qui est de nature à justifier une dérogation " espèces protégées ".
12. Il résulte de ce qui précède que le pétitionnaire était tenu de présenter, dans le cadre de la réalisation de son projet de parc éolien un dossier de demande de dérogation aux interdictions de destruction d'espèces protégées prévues à l'article L. 411-1 du code de l'environnement. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'ampleur du risque de destruction encouru pour d'autres espèces protégées au regard du caractère non divisible d'une dérogation " espèces protégées " conduisant l'autorité administrative à procéder à une analyse globale, l'association Bocage et patrimoine est fondée à soutenir que l'arrêté préfectoral du
14 septembre 2018, en tant qu'il ne comporte pas de dérogation espèces protégées, est illégal.
Sur la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :
13. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I.- Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, même après l'achèvement des travaux : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, limite à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demande à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / (...) II.- En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées. ".
14. Le sursis à statuer a pour objet de permettre la régularisation de l'autorisation attaquée. Cette régularisation implique l'intervention d'une décision complémentaire qui corrige le vice dont est entachée la décision attaquée. S'il constate que la régularisation a été effectuée, le juge rejette le recours dont il est saisi. En revanche, si aucune mesure de régularisation ne lui est notifiée, il appartient au juge de prononcer l'annulation de l'autorisation litigieuse.
15. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en l'absence de notification d'une mesure de régularisation dans les délais fixés à l'article 3 du dispositif de l'arrêt rendu le 31 mai 2022, du vice entachant l'autorisation environnementale en litige, il y a lieu d'annuler l'arrêté du
14 septembre 2018 en tant qu'il n'a pas été précédé d'un avis de l'autorité environnementale préparé par un service disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011.
16. Il résulte de ce qui a été dit au point 12 que l'autorisation en litige est entachée d'un vice tiré de l'absence de demande de dérogation prévue au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Ce vice est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative comportant une telle dérogation, prise après la consultation prévue à l'article R. 181-28 du code de l'environnement.
17. Il y a lieu de sursoir à statuer sur la présente requête, pendant un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt, pour permettre à la société pétitionnaire de transmettre à la cour une autorisation environnementale modificative comprenant la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement.
18. Il y a également lieu de suspendre l'exécution de l'arrêté du 14 septembre 2018 jusqu'à l'édiction d'un avis de l'autorité environnementale par un service disposant d'une telle autonomie et jusqu'à la délivrance éventuelle de la dérogation requise.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de l'Indre du 14 septembre 2018 est annulé en tant qu'il n'a pas été précédé d'un avis de l'autorité environnementale préparé par un service disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la requête jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt pour permettre à la société Engie Green Tilly de notifier le cas échéant à la cour une mesure de régularisation de l'illégalité mentionnée au point 12 du présent arrêt.
Article 3 : L'exécution des parties non viciées de l'arrêté du préfet de l'Indre du 14 septembre 2018 est suspendue jusqu'à l'édiction d'un avis de l'autorité environnementale par un service disposant d'une telle autonomie et jusqu'à la délivrance éventuelle de la dérogation prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Bocage et patrimoine, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et à la société Engie Green Tilly.
Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Indre.
Délibéré après l'audience du 10 avril 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2025.
La rapporteure,
Béatrice Molina-AndréoLa présidente,
Evelyne BalzamoLa greffière,
Stéphanie Larrue
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01049, 23BX02061