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17/04/2025 | FRANCE | N°25BX00073

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 17 avril 2025, 25BX00073


Vu la procédure suivante :



Procédure antérieure :



Mme D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 12 avril 2024 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2404498 du 10 décembre 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'ar

rêté du 12 avril 2024 du préfet de la Gironde.



Procédure devant la cour :



Par une r...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Mme D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 12 avril 2024 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2404498 du 10 décembre 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 12 avril 2024 du préfet de la Gironde.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 13 et 15 janvier 2025, le préfet de la Gironde demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 décembre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) de rejeter la demande de Mme D....

Il soutient que :

- les premiers juges n'avaient pas à examiner la réalité de l'offre de soins pour son fils au C... dès lors que l'avis de l'OFII conclut que l'enfant nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité ;

- la décision de refus de séjour ne méconnaît pas les dispositions de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense et des pièces enregistrés les 21, 23 janvier et

26 février 2025, Mme D..., représentée par Me Payet, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués par le préfet ne sont pas fondés.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux en date

13 février 2025.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin,

- et les observations de Me Payet, représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante nigériane née le 22 septembre 1995, est entrée irrégulièrement en France en janvier 2019, d'après ses déclarations. L'intéressée a sollicité le bénéfice de son admission au titre de l'asile le 5 mars 2021. Par des décisions rendues le

10 novembre 2021 et le 10 mars 2022, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ont rejeté sa demande. Par un arrêté du 21 mars 2022, la préfète de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Mme D... n'a pas exécuté cette mesure d'éloignement et a sollicité le 22 août 2023 son admission au séjour dans le cadre des dispositions de

l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en raison de l'état de santé de son fils. Par arrêté du 12 avril 2024, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par la présente requête, le préfet de la Gironde relève appel du jugement du

10 décembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé, sur demande de Mme D..., l'arrêté du 12 avril 2024.

Sur le bienfondé du jugement attaqué :

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... fait état d'un parcours migratoire traumatisant avant son arrivée en France en 2019, au cours duquel elle a donné naissance à son troisième enfant, B..., le 1er mai 2018 alors qu'elle était emprisonnée en Lybie, dans un contexte particulièrement compliqué et sans prise en charge médicale, ses deux premiers enfants, nés en 2014 et 2016 étant restés au C.... De son union avec un ressortissant nigérian en séjour régulier en France, sont ensuite nés à Bordeaux deux autres enfants les 11 juillet 2022 et

10 juin 2024. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du certificat médical du Dr A..., pédopsychiatre au pôle universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, daté du 8 juillet 2024 qui révèle toutefois une situation antérieure à l'arrêté contesté, que le jeune B..., né dans les geôles libyennes, présente un trouble du spectre autistique d'intensité sévère, associé à une déficience intellectuelle, un retard sévère de parole et de langage, des troubles du comportement et une obésité sévère. En raison de cette pathologie, il fait l'objet depuis septembre 2021 d'une prise en charge intensive, globale et pluridisciplinaire en hôpital de jour à raison de

3 demi-journées par semaine. Il ressort notamment d'une première synthèse du pôle hospitalier datée du 9 mai 2023 que la prise en charge est extrêmement complète et d'un bilan orthophonique d'évolution du 21 août 2023 que grâce à cette prise en charge spécifique et régulière, de presque trois années à la date de l'arrêté contesté, des progrès sont observés. Dans ces conditions, et quand bien même le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), saisi par le préfet dans le cadre de la demande de titre de séjour de Mme D... en raison de l'état de santé de son fils en litige, a conclu que l'état de santé de l'enfant nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité, il ressort des pièces du dossier, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, qu'interrompre la prise en charge spécifique et pluridisciplinaire dont il fait l'objet entrainerait un effondrement de ses acquis et une désorganisation psychique sévère de l'enfant, alors en outre, que plusieurs rapports indiquent que le C... n'est pas en mesure de proposer des soins de santé mentale adaptés et que ce pays, qui compte moins de

150 psychiatres pour 200 millions d'habitants, rencontre toujours des difficultés majeures concernant la stigmatisation des personnes souffrant de troubles autistiques. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré, dans les circonstances très particulières de l'espèce, et alors que la présence de Mme D... aux côtés de son enfant est indispensable, qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour et en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet de la Gironde avait porté atteinte à l'intérêt supérieur du jeune B... en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 12 avril 2024. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation du jugement et de rejet de la demande de Mme D... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

5. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me Payet.

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Gironde est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Payet la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 27 mars 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente assesseure,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 avril 2025.

La rapporteure,

Héloïse Pruche-MaurinLa présidente,

Evelyne Balzamo

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 25BX00073


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 25BX00073
Date de la décision : 17/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : PAYET

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-17;25bx00073 ?
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