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10/04/2025 | FRANCE | N°23BX01084

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 10 avril 2025, 23BX01084


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une première requête, la société à responsabilité limitée (SARL) Groupe Fages a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'ordonner, avant-dire droit, une nouvelle expertise du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation portant sur l'éligibilité au crédit d'impôt en faveur de la recherche prévu à l'article 244 quater B du code général des impôts des dépenses engagées au titre de l'exercice clos en 2017 par les sociétés S

APEF et SAPEF Mayotte pour les besoins de la mise en œuvre des projets de semis hydrauliques et de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête, la société à responsabilité limitée (SARL) Groupe Fages a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'ordonner, avant-dire droit, une nouvelle expertise du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation portant sur l'éligibilité au crédit d'impôt en faveur de la recherche prévu à l'article 244 quater B du code général des impôts des dépenses engagées au titre de l'exercice clos en 2017 par les sociétés SAPEF et SAPEF Mayotte pour les besoins de la mise en œuvre des projets de semis hydrauliques et de la réalisation de travaux de mise au point de toitures végétalisées, et de lui accorder le remboursement d'un crédit d'impôt en faveur de l'innovation pour les projets mis en œuvre par la société SAPEF au titre de l'exercice clos en 2017.

Par une seconde requête, la SARL Groupe Fages a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'ordonner, avant-dire droit, une nouvelle expertise du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation portant sur l'éligibilité au crédit d'impôt en faveur de la recherche prévu à l'article 244 quater B du code général des impôts des dépenses engagées au titre de l'exercice clos en 2017 par les sociétés SAPEF et SAPEF Mayotte pour les besoins de la mise en œuvre des projets de semis hydrauliques et de la réalisation de travaux de mise au point de toitures végétalisées.

Par un jugement n° 1900950, 2000652 du 21 février 2023, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté les demandes de la SARL Groupe Fages après les avoir jointes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 19 avril 2023 et 31 octobre 2024, la SARL Groupe Fages, représentée par la société Fidal, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 21 février 2023 ;

2°) de faire droit aux demandes de restitution de l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2016 et 2017 liées à l'imputation des créances de crédit d'impôt recherche (CIR) et de crédit d'impôt innovation (CII) ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner un nouvel expert ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'expertise sollicitée par l'administration fiscale en application des articles L. 45 B et R. 45 B-1 du livre des procédures fiscales ne respecte pas le manuel de Frascati, repris par la doctrine administrative fiscale BOI-BIC-RICI-10-10-10-20 au I paragraphe 1 ; l'expert ne s'est pas prononcé au regard de l'état des règles de l'art de 2016, il n'a pas pris en compte la spécificité de la zone géographique concernée, il ne disposait pas des compétences adaptées, il a fait preuve de partialité compte tenu des a priori techniques qui sont portés dans le rapport, il n'a pas pris en compte le dernier rapport transmis par la filiale de la société, intégrant les réponses à ses demandes ; le rapport d'expertise ne reflète donc pas une analyse scientifique des dépenses de recherches effectuées par les filiales de la société Groupe Fages au regard du manuel de Frascati et de la doctrine administrative ;

- le rapport d'expertise est entaché d'irrégularités au regard des dispositions de l'article R. 45 B du livre des procédures fiscales dès lors qu'il est insuffisamment motivé et est fondé sur des références scientifiques qui sont postérieures à l'année 2016 ou qui ne concernent pas des données de zone géographique comparable ; il est entaché de nombreuses irrégularités faisant douter de la probité des écritures du rapport et a entravé la société dans la compréhension des éventuelles demandes de précisions techniques de l'expert, la privant ainsi de la garantie d'un débat oral et contradictoire scientifique sur les recherches effectuées ;

- la procédure d'imposition est entachée d'irrégularités dès lors que les décisions de rejet des réclamations de la société ne sont pas motivées, contrairement à ce que prévoit l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales et la doctrine administrative publiée au BOI-BIC-RICI-10-10-10 n° 160 ; l'administration fiscale s'est crue liée par l'avis de l'expert ; s'agissant plus spécifiquement de la décision de rejet relative au crédit d'impôt recherche et au crédit d'impôt innovation de 2017, l'administration fiscale s'est référée au rapport de l'expert qui ne porte que sur les dépenses exposées par les filiales de la société au titre de l'année 2016 et la décision de rejet ne comporte aucune analyse des dépenses exposées au titre du crédit d'impôt recherche 2017 ; dans le cadre de l'instruction du dossier, l'administration aurait dû solliciter des éléments complémentaires ;

- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors qu'il ne s'est pas prononcé sur l'éligibilité des dépenses au titre du crédit d'impôt recherche et du crédit d'impôt innovation de l'année 2016 ainsi que sur la conformité de la procédure au regard des exigences de l'article R. 45 du livre des procédures fiscales au titre de cette même année ; il doit donc être annulé pour vice de forme conformément à la doctrine administrative publiée au BOI-CTX-ADM-10-70-3 n° 40 b ; le tribunal s'est prononcé sur l'éligibilité des dépenses de la société au crédit d'impôt recherche et au crédit d'impôt innovation de l'année 2017 au regard d'un rapport d'expertise exclusivement fondé sur l'année 2016 et, plus largement, irrégulier ; le tribunal a retenu, à tort, qu'il n'est pas démontré que l'expert n'a pas tenu compte des derniers éléments fournis par le contribuable ni que l'expert avait un a priori défavorable au contribuable ; enfin, le tribunal ne s'est pas prononcé sur l'irrégularité de la procédure au regard de l'article L. 45 du livre des procédures fiscales pour le crédit d'impôt recherche 2017 et il a jugé à tort que la société n'avait pas expliqué la nature des travaux d'innovation qu'elle avait réalisés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 septembre 2023 et 29 novembre 2024, ce dernier non communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 5 novembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 5 décembre 2024 à 12 heures.

Par un courrier du 6 février 2025, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions dirigées contre les rejets des demandes de restitution du crédit d'impôt innovation de la société Equilibre pour l'année 2016 et de restitution du crédit d'impôt recherche de la société Equilibre Environnement Mayotte, devenue SAPEF Mayotte, au titre de la même année, faute d'avoir été contestés dans le cadre d'une réclamation préalable.

Un mémoire en réponse à ce courrier, enregistré le 11 février 2025 et communiqué le même jour, a été présenté par la société Groupe Fages.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lucie Cazcarra,

- et les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Groupe Fages est la société mère d'un groupe intégré fiscalement composé de la société d'aménagement paysager et foncier (SAPEF), de la société Equilibre Environnement Mayotte, devenue SAPEF Mayotte, et de la société Equilibre. En cette qualité, elle a sollicité le 5 mai 2017 la restitution du crédit d'impôt recherche et du crédit d'impôt innovation au titre des dépenses réalisées par les sociétés SAPEF, SAPEF Mayotte et Equilibre au cours de l'année 2016. Par décision du 12 juillet 2019, l'administration fiscale lui a restitué le crédit d'impôt innovation correspondant aux travaux réalisés en 2016 par la SAPEF pour un montant de 13 815 euros et a rejeté le surplus de ses demandes. La réclamation de la société Groupe Fages du 30 décembre 2019 ayant été rejetée par l'administration fiscale le 9 juin 2020, elle a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une requête, enregistrée sous le n° 2000652. Parallèlement à cette première demande, la société Groupe Fages a sollicité le 3 mai 2018 la restitution du crédit d'impôt recherche et du crédit d'impôt innovation au titre des dépenses réalisées par ses filiales au cours de l'année 2017. Sa demande ayant été rejetée par décision du 19 avril 2019, la société Groupe Fages a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une seconde requête, enregistrée sous le n° 1900950, qui, par un jugement du 21 février 2023, a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à la désignation avant dire droit d'un expert et, d'autre part, au remboursement du crédit d'impôt innovation pour les projets mis en œuvre par les sociétés SAPEF et SAPEF Mayotte au titre de l'exercice clos en 2017. Par la présente requête, la société Groupe Fages relève appel de ce jugement, demande à ce qu'il soit fait droit à ses demandes de remboursement de crédit d'impôt innovation et de crédit d'impôt recherche au titre des exercices clos en 2016 et 2017 et, à titre subsidiaire, que soit prononcée la désignation d'un nouvel expert.

Sur la recevabilité des conclusions d'appel :

2. En l'absence de toute contestation portée par la société requérante, dans sa réclamation du 30 décembre 2019, à l'encontre du rejet de la demande de restitution du crédit d'impôt innovation portant sur les travaux réalisés par la société Equilibre et sur la demande de restitution du crédit d'impôt recherche pour les travaux réalisés par la société Equilibre Environnement Mayotte, devenue la société SAPEF Mayotte, ses conclusions sont irrecevables en tant qu'elles sont dirigées contre ces rejets. En outre, et en tout état de cause, ces conclusions sont nouvelles en appel et sont dès lors irrecevables.

Sur la régularité du jugement :

3. En premier lieu, il résulte de la réclamation présentée par la société Groupe Fages le 30 décembre 2019 que la société a limité sa contestation à une partie seulement des crédits d'impôt dont elle avait sollicité la restitution auprès de l'administration fiscale au titre de l'année 2016. Ainsi, et comme l'a relevé l'administration dans le rejet de cette réclamation préalable, la critique formulée par la société Groupe Fages a porté uniquement sur la régularité du rapport d'expertise ayant conclu à l'inégibilité au crédit d'impôt recherche de 2016 des travaux conduits par la société SAPEF. Par ailleurs, la société Groupe Fages a repris dans sa requête enregistrée sous le n° 2000652 les moyens formulés dans sa réclamation préalable pour solliciter la désignation d'un expert. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal administratif s'est borné à examiner la régularité du rapport d'expertise établi en mars 2019 relatif au crédit d'impôt recherche pour l'année 2016 et ne s'est pas prononcé sur le bien-fondé du rejet des demandes de restitution du crédit d'impôt recherche et du crédit d'impôt innovation des sociétés filiales de la société Groupe Fages au titre de l'année 2016.

4. En deuxième lieu, et contrairement à ce que soutient la société requérante, le tribunal administratif s'est prononcé, au point 5 de son jugement, sur la régularité de la procédure suivie dans le cadre de l'instruction de sa demande de remboursement du crédit d'impôt recherche au regard de l'article L. 45 du livre des procédures fiscales.

5. En dernier lieu, en soulevant à l'encontre du jugement attaqué des moyens tirés des erreurs d'appréciation qu'auraient commises les premiers juges, tenant au fait que le tribunal se serait fondé sur un rapport d'expertise irrégulier qui concernait les seuls travaux menés par les filiales en 2016 pour statuer sur des travaux réalisés en 2017, que contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, il était démontré que l'expert n'a pas tenu compte des derniers éléments fournis par le contribuable et que la société a expliqué la nature des travaux d'innovation réalisés, la société requérante ne critique pas la régularité du jugement mais son bien-fondé.

Sur la régularité de la procédure :

6. En premier lieu, aux termes de l'article 199 ter B du code général des impôts : " I. Le crédit d'impôt pour dépenses de recherche défini à l'article 244 quater B est imputé sur l'impôt sur le revenu dû par le contribuable au titre de l'année au cours de laquelle les dépenses de recherche prises en compte pour le calcul du crédit d'impôt ont été exposées. L'excédent de crédit d'impôt constitue au profit de l'entreprise une créance sur l'Etat d'égal montant. Cette créance est utilisée pour le paiement de l'impôt sur le revenu dû au titre des trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée puis, s'il y a lieu, la fraction non utilisée est remboursée à l'expiration de cette période (...) ". Aux termes de l'article L. 45 B du livre des procédures fiscales, dans sa version alors applicable : " La réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt défini à l'article 244 quater B du code général des impôts peut, sans préjudice des pouvoirs de contrôle de l'administration des impôts qui demeure seule compétente pour l'application des procédures de rectification, être vérifiée par les agents du ministère chargé de la recherche et de la technologie (...) ". Aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire (...) ". Aux termes de l'article R. 198-10 du même livre : " (...) En cas de rejet total ou partiel de la réclamation, la décision doit être motivée (...) ". Il résulte de ces dispositions que la demande de remboursement d'une créance de crédit d'impôt recherche présentée sur le fondement des dispositions de l'article 199 ter B du code général des impôts constitue une réclamation au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales et que la décision par laquelle l'administration fiscale rejette tout ou partie d'une telle réclamation n'a pas le caractère d'une procédure de reprise ou de redressement.

7. La société Groupe Fages soutient que, se bornant à se référer aux conclusions de l'expert mandaté par le ministère de la recherche pour le crédit d'impôt recherche et le crédit d'impôt innovation de ses filiales au titre des travaux réalisés en 2016, l'administration n'a pas usé de son pouvoir de contrôle et a insuffisamment motivé ses décisions de rejet. Elle soutient également que, s'agissant des décisions de rejet relatives aux crédits d'impôt recherche et d'innovation pour la SAPEF et la SAPEF Mayotte au titre de l'année 2017, l'administration fiscale ne pouvait régulièrement se reporter au rapport de l'expert portant sur les dépenses exposées par les filiales au titre de l'année 2016 sans tenir compte de la nature des dépenses réalisées au cours de l'année 2017. Toutefois, les vices qui peuvent entacher la décision par laquelle le directeur compétent des finances publiques rejette la réclamation dont il est saisi par un contribuable sont sans incidence sur la régularité ou sur le bien-fondé des décisions rejetant les demandes de remboursement de crédit d'impôt innovation et de crédit d'impôt recherche contestées.

8. Par ailleurs, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine BOI-BIC-RICI-10-10-10-20 n° 160 du 13 juillet 2021 dès lors que la décision refusant de restituer un crédit d'impôt ne constitue ni un rehaussement d'impôt ni un redressement.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 45 B-1 du livre des procédures fiscales : " I. La réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt mentionné à l'article 244 quater B du code général des impôts est vérifiée soit par un agent dûment mandaté par le directeur général pour la recherche et l'innovation, soit par un délégué régional à la recherche et à la technologie ou un agent dûment mandaté par ce dernier. (...) / II. Dans le cadre de cette procédure, l'agent chargé du contrôle de la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses déclarées envoie à l'entreprise contrôlée une demande d'éléments justificatifs. L'entreprise répond dans un délai de trente jours, éventuellement prorogé de la même durée à sa demande. L'entreprise joint à sa réponse les documents nécessaires à l'expertise de l'éligibilité des dépenses dont la liste est précisée dans la demande d'éléments justificatifs (...). / L'agent chargé du contrôle peut envoyer à l'entreprise contrôlée une demande d'informations complémentaires à laquelle celle-ci doit répondre dans un délai de trente jours. / Si les éléments fournis par l'entreprise en réponse à cette demande ne permettent pas de mener l'expertise à bien, l'agent chargé du contrôle peut envoyer à l'entreprise contrôlée une seconde demande d'informations à laquelle celle-ci doit répondre dans un délai de trente jours. Dans ce délai, l'entreprise a la faculté de demander un entretien afin de clarifier les conditions d'éligibilité des dépenses. / L'agent chargé du contrôle peut se rendre sur place après l'envoi d'un avis de visite (...). / III. L'avis sur la réalité de l'affectation des dépenses à la recherche est émis par les agents chargés du contrôle au vu de la réponse de l'entreprise à la demande d'éléments justificatifs qui lui a été adressée, des documents mentionnés au II, et, le cas échéant, des réponses aux demandes d'informations complémentaires et des éléments recueillis à l'occasion des échanges avec l'entreprise lors de l'entretien dans les locaux de l'administration ou de la visite sur place. / Lorsque l'entreprise n'a pas répondu aux demandes d'informations qui lui ont été adressées, lorsqu'elle a refusé de communiquer les pièces justificatives demandées ou lorsqu'elle n'a pas produit ces éléments en cas de visite sur place, les agents chargés du contrôle constatent que l'affectation des dépenses à la recherche n'est pas justifiée. / L'avis est notifié à l'entreprise et communiqué à la direction générale des finances publiques. Il est motivé lorsque la réalité de l'affectation à la recherche de dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt est contestée ".

10. Il résulte de ces dispositions que l'article R. 45 B-1 du livre des procédures fiscales a pour objet d'imposer aux agents du ministère chargé de la recherche d'adresser à l'entreprise contrôlée au titre du crédit d'impôt recherche une demande d'éléments justificatifs, de garantir à cette dernière un délai de trente jours pour y répondre, le cas échéant prorogé de la même durée sur demande, de reconnaître à cette entreprise la faculté de s'entretenir avec l'agent chargé du contrôle lorsque, ne pouvant mener à bien son expertise, ce dernier lui a adressé une seconde demande d'informations complémentaires et, enfin, d'imposer la motivation de l'avis rendu par l'agent du ministère chargé de la recherche lorsque la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses contrôlées est contestée. La méconnaissance par l'administration de ces dispositions ne peut demeurer sans conséquence sur le bien-fondé de l'imposition que s'il est établi que, n'ayant privé l'intéressé d'aucune garantie, elle n'a pas pu avoir d'influence sur le redressement.

11. La société requérante fait tout d'abord valoir que les rapports des experts sur les dépenses d'innovation et de recherche exposées par ses filiales au cours de l'année 2016 ne sont pas suffisamment motivés. Toutefois, les décisions de rejet contestées ne sont pas fondées sur le rapport d'expertise intervenu en septembre 2018. Il s'ensuit que la société requérante ne peut utilement contester la régularité de ce rapport d'expertise. S'agissant du rapport de mars 2019, relatif aux travaux présentés par la SAPEF pour l'année 2016 au titre du crédit d'impôt recherche, l'expert, dont les compétences ne sont pas utilement remises en cause, a explicité les raisons pour lesquelles chacun des projets présentés n'était pas éligible. En outre, si la société fait valoir que l'expert l'a privée d'une garantie de débat oral et contradictoire scientifique sur les recherches effectuées, elle ne justifie ni même n'allègue avoir vainement sollicité un entretien avec l'expert afin de clarifier les conditions d'éligibilité des dépenses. Il ressort par ailleurs du rapport d'expertise que plusieurs entretiens téléphoniques ont eu lieu entre l'expert et les responsables de la SAPEF au cours desquels l'expert a sollicité des précisions et des compléments d'informations sur les projets soumis. Quant à la circonstance que l'expert n'aurait pas pris en compte les dernières explications complémentaires fournies par la SAPEF, cela n'est nullement établi dès lors que l'expert a expressément indiqué dans son rapport qu'il a " pris en compte le dernier rapport, considéré par les auteurs comme "unique et cohérent" ". Enfin, la société requérante n'est pas fondée à sa prévaloir du manuel de Frascati, édité par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), définissant les opérations de recherche et de développement, qui ne constitue pas une interprétation formelle d'un texte fiscal au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales émanant de l'administration fiscale et susceptible de lui être opposée. En outre, et en tout état de cause, il ressort du rapport d'expertise que l'expert a analysé les projets de la société au regard des cinq critères définis par le manuel de Frascati, à savoir " comporter un élément de nouveauté ", " comporter un élément de créativité ", " comporter un élément d'incertitude ", " être systématique ", et " être transférable et/ou reproductible ".

12. La société requérante soutient enfin que M. B..., auteur de l'expertise de mars 2019, n'a pas présenté toutes les garanties d'impartialité et de probité requises. Elle fait ainsi valoir que l'expert a été partial compte tenu des a priori techniques dont il a fait état dans son rapport. Cette critique ne révèle toutefois pas un manque d'impartialité. Quant au manque de probité, il n'est pas davantage établi par les éléments avancés par la société requérante tenant notamment au délai de remise du rapport ou à la mention dans le rapport de M. A..., en tant que participant aux réunions téléphoniques avec la société, dont la qualification et la fonction ne sont pas indiquées. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des principes d'impartialité et de probité par l'expert doit être écarté.

13. En dernier lieu, eu égard à la motivation de la décision contestée, l'administration fiscale, qui a exercé le pouvoir d'appréciation qu'il lui appartenait de mettre en œuvre tout en se fondant sur le rapport de l'expert, ne peut être regardée comme s'étant crue, à tort, en situation de compétence liée.

Sur l'éligibilité des travaux aux crédits d'impôt en faveur de la recherche et de l'innovation :

14. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa version alors applicable : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 duodecies, 44 terdecies à 44 quindecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : /a) Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de recherche scientifique et technique, y compris la réalisation d'opérations de conception de prototypes ou d'installations pilotes. (...) / b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations. (...) / c) les autres dépenses de fonctionnement exposées dans les mêmes opérations ; (...) / k) Les dépenses exposées par les entreprises qui satisfont à la définition des micro, petites et moyennes entreprises donnée à l'annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité et définies comme suit : 1° Les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits autres que les prototypes et installations pilotes mentionnés au a ; / (...) Pour l'application du présent k, est considéré comme nouveau produit un bien corporel ou incorporel qui satisfait aux deux conditions cumulatives suivantes : / -il n'est pas encore mis à disposition sur le marché ; / -il se distingue des produits existants ou précédents par des performances supérieures sur le plan technique, de l'écoconception, de l'ergonomie ou de ses fonctionnalités. / Le prototype ou l'installation pilote d'un nouveau produit est un bien qui n'est pas destiné à être mis sur le marché mais à être utilisé comme modèle pour la réalisation d'un nouveau produit. (...) ". Aux termes de l'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts, dans sa version alors applicable : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : / a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale, qui pour apporter une contribution théorique ou expérimentale à la résolution des problèmes techniques, concourent à l'analyse des propriétés, des structures, des phénomènes physiques et naturels, en vue d'organiser, au moyen de schémas explicatifs ou de théories interprétatives, les faits dégagés de cette analyse ; / b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée qui visent à discerner les applications possibles des résultats d'une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l'entreprise d'atteindre un objectif déterminé choisi à l'avance. / Le résultat d'une recherche appliquée consiste en un modèle probatoire de produit, d'opération ou de méthode ; / c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté ".

15. Il appartient au juge de l'impôt d'apprécier, au vu de l'instruction dont le litige qui lui est soumis a fait l'objet, et compte tenu, le cas échéant, de tous éléments produits par l'une ou l'autre des parties, si une entreprise remplit les conditions lui permettant de se prévaloir de l'avantage fiscal institué par l'article 244 quater B du code général des impôts.

En ce qui concerne l'année 2016 :

16. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport réalisé en mars 2019 par l'expert désigné par la délégation régionale à la recherche et à la technologie de La Réunion, que le premier projet intitulé " mise au point d'une technique de lutte contre l'érosion superficielle, à partir de semences d'espèces indigènes de La Réunion et d'autres régions tropicales " n'a pas fait l'objet de protocoles précisément décrits permettant de lever des verrous scientifiques, au demeurant mal identifiés en raison de l'insuffisance de l'analyse de l'état de l'art existant en la matière, qui auraient apporté des solutions innovantes et reproductibles. Si la société Groupe Fages fait valoir que les critères de créativité et de reproductibilité sont remplis, elle se borne à des allégations générales sur les protocoles suivis et les innovations introduites par ses recherches qui ne sont pas de nature à remettre en cause les conclusions de l'expert. Dans ses observations en défense, le ministre relève en outre, sans que cela ne soit sérieusement contesté par la société, que les essais réalisés correspondent davantage à des travaux d'ingénierie destinés à valider des conditions optimales de levée des plantules pour la réalisation de semis hydraulique dans le cadre de l'activité commerciale de la société.

17. Le second projet de la SAPEF intitulé " mise au point de toitures végétalisées pour des bâtiments d'habitation, tertiaires ou à usage industriel en zone tropicale et cyclonique " était composé de deux sous-projets. Le premier sous-projet portait sur des " essais et réalisation de toitures végétalisées en semis hydraulique à La Réunion avec système d'arrosage par sub-irrigation " et le second sur " l'identification d'une gamme de végétaux adaptée aux conditions limitantes d'une toiture végétalisée en milieu tropical ". Comme pour le premier projet, l'expert désigné par la délégation régionale à la recherche et à la technologie de La Réunion a conclu à l'inégibilité de ces travaux aux motifs que les travaux menés n'ont pas été inscrits dans une démarche scientifique, avec une analyse de l'état de l'art quasiment inexistante, et des résultats insuffisants en termes d'amélioration des connaissances, d'innovation et de créativité. Si la société requérante fait état des verrous techniques à surmonter et d'éléments de créativité et d'inventivité liés notamment aux spécificités des climats tropicaux, elle n'apporte pas d'éléments suffisamment précis permettant d'établir l'existence de verrous techniques ou scientifiques impossibles à surmonter dans l'état des connaissances existantes à la date des projets. Par ailleurs, la société ne justifie pas de résultats reproductibles.

18. Il résulte ainsi de ce qui précède que les travaux afférents à ces projets, pour lesquels le dossier ne permet pas d'identifier l'existence d'innovations significatives et la levée d'incertitudes scientifiques ou technologiques, ne sont pas éligibles au crédit d'impôt recherche.

En ce qui concerne l'année 2017 :

S'agissant des travaux réalisés par la SAPEF et la SAPEF Mayotte au titre du crédit d'impôt recherche :

19. La SAPEF a mené deux projets de recherche, le premier relatif à la " mise au point d'un semis hydraulique, notamment à base de flore endémique, entre autres pour la lutte contre l'érosion superficielle ", le second relatif à la " mise au point de toitures végétalisées pour des bâtiments d'habitation, tertiaires ou à usage industriel en zone tropicale et cyclonique ". La société SAPEF Mayotte a développé pour sa part un projet de recherche relatif à " la mise au point d'un semis hydraulique, notamment à base de flore indigène à Mayotte, entre autres pour la lutte contre l'érosion superficielle ". Il résulte toutefois de l'instruction que les sociétés n'ont pas présenté, pour chacun de ces projets, des protocoles scientifiques clairement établis permettant de parvenir à des résultats reproductibles et que les essais réalisés correspondent davantage à des travaux d'ingénierie. Si la société Groupe Fages fait valoir que les essais menés par ses filiales en 2017 ont été planifiés sur plusieurs phases qu'elle détaille et qu'il ne s'agit pas de travaux d'ingénierie réalisés dans le cadre d'une activité commerciale, elle ne justifie pas, par la généralité de ses propos, de ce que ses recherches auraient apporté des solutions innovantes et reproductibles. Il s'ensuit que c'est à bon droit que l'administration a estimé que ces projets n'étaient pas éligibles au crédit d'impôt recherche.

S'agissant des travaux réalisés par la SAPEF et la SAPEF Mayotte au titre du crédit d'impôt innovation :

20. La SAPEF a mené deux projets portant respectivement sur l' " étude d'une solution alternative aux câbles inox pour les supports de lianes grimpantes sur les coursives de bâtiments " et sur la " surface circulaire pour les véhicules à partir de Gazon des Mascareignes ". Dans son premier projet, la société étudie le remplacement des câbles inox pour la végétalisation des façades, lourds et coûteux, par des fils nylon, fils d'ombrière et fil nylon de débroussailleuse, plus légers et rendant leur utilisation plus facile. L'administration relève que la société ne démontre pas les performances supérieures des câbles en plastique dans le domaine de l'éco-conception, sur le plan de l'ergonomie et sur le plan des fonctionnalités, et ne satisfait donc pas à la seconde condition prévue à l'article 244 quater B, II, k du code général des impôts. Dans la note produite au soutien de son mémoire en réplique, la société Groupe Fages se borne à des considérations générales, sans caractériser une amélioration de la performance environnementale du projet par rapport à l'état du marché sur la base d'indicateurs répondant à des normes en vigueur et sans apporter de mesures permettant d'apprécier l'impact énergétique ou les performances sur le plan des fonctionnalités de son projet. Dans son second projet, la société combine des grilles Grassprotecta, produite par un fournisseur européen, qui offrent un renforcement structurel pour résister aux charges et à l'érosion du sol, et du Gazon des Mascareignes, qu'elle commercialise, supportant une circulation régulière en permettant de maintenir une couverture végétale dense tout en contribuant à réduire l'érosion. L'administration considère que les performances supérieures du projet ne sont pas démontrées par des critères mesurables et objectifs. Là encore, la société Groupe Fages n'apporte pas d'éléments permettant de justifier des performances de son projet. Elle indique d'ailleurs dans sa note qu'aucun test mesurant les résultats de ce projet n'a été réalisé sur l'année 2017.

21. La société SAPEF Mayotte a, quant à elle, mené un projet d'innovation portant sur la " mise au point d'un parking perméable en dalle alvéolée à remplissage rapide ", consistant à mettre au point un prototype de parking perméable, composé d'un support de dalle alvéolée rempli d'une surface drainante. L'administration considère que les performances du projet, notamment sur le plan énergétique, ne sont ni mesurées ni démontrées. En se bornant à soutenir que l'évaluation de l'éco-conception, de l'ergonomie d'un produit et de ses performances fonctionnelles est complexe, ne se base pas uniquement sur des mesures quantifiables et peut être subjective, la société Groupe Fages n'apporte pas d'élément utile permettant de remettre en cause l'appréciation portée par l'administration. L'administration fiscale n'a donc pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts en ne regardant pas les projets des sociétés SAPEF et SAPEF Mayotte comme constituant des travaux ouvrant droit au crédit d'impôt innovation.

22. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu de faire droit à la demande de désignation d'un expert, que la société Groupe Fages n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté ses demandes.

Sur les frais liés à l'instance :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme demandée par la société Groupe Fages au titre des frais qu'elle a exposés en appel et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Groupe Fages est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupe Fages et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 24 mars 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Bénédicte Martin, présidente,

Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,

Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2025.

La rapporteure,

Lucie CazcarraLa présidente,

Bénédicte MartinLa greffière,

Laurence Mindine

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX01084


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01084
Date de la décision : 10/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MARTIN
Rapporteur ?: Mme Lucie CAZCARRA
Rapporteur public ?: Mme REYNAUD
Avocat(s) : FIDAL BOURGES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-10;23bx01084 ?
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