Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Mahoraise de commerce a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler l'ordre de recouvrer n° UE 87/2020 du 15 septembre 2020 émis par l'Office de développement de l'économie agricole d'Outre-Mer pour un montant de 7 520,63 euros.
Par un jugement n° 2001533 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 février 2023 et le 24 juin 2024, la société Mahoraise de commerce, représentée par Me Volpellière, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Mayotte du 22 décembre 2022 ;
2°) d'annuler le titre de perception n° UE 87/2020 du 15 septembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Office de développement de l'économie agricole d'Outre-Mer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le titre exécutoire est insuffisamment motivé ;
- aucune procédure contradictoire n'a été mise en œuvre, et elle n'a pu présenter ses observations écrites sur la somme retenue de 7 520,63 euros dès lors qu'elle n'a pas été invitée à présenter ses observations sur le nouveau chiffrage ;
- le contrôle est irrégulier, du fait de l'absence de l'analyse de risque prévu par l'article 24 du règlement d'exécution (UE) n° 180-2014 de la commission du 20 février 2024 ;
- il n'est pas justifié de l'assermentation des agents de contrôle dans les conditions prévues par les dispositions de l'article R. 622-4 du code rural et de la pêche maritime ;
- c'est au prix d'une erreur manifeste d'appréciation que l'Odeadom a estimé qu'elle n'avait pas répercuté l'aide intégralement au consommateur, dès lors que si l'on tient compte des frais de logistique et de transport, à concurrence de 900 euros en moyenne, les taux de marge, tous inférieurs ou égaux à 40,85 %, ne démontrent aucune surfacturation, d'autant que les taux de marge sont plus importants à Mayotte ;
- la méthode consistant à comparer le taux de marge brute de certains produits avec le taux de marge brute globale est contestable, eu égard à la structure de ses ventes et dès lors que rien n'oblige un commerçant à appliquer son taux de marge commerciale brute globale à tous les différents produits qu'il vend ; une comparaison avec la concurrence, qui est nécessaire dès lors qu'il s'agit d'un élément que l'ODEADOM indique avoir pris en compte, révèle qu'elle s'aligne sur les prix pratiqués par ses concurrents ; les prix pratiqués respectent le bouclier qualité prix (BQP) ; les produits vendus en métropole le sont sensiblement au même prix, alors que les contraintes sont beaucoup plus importantes, ce qui démontre qu'elle minore ses marges ;
- l'ODEDOM ne pouvait pas utiliser trois méthodes et devait se tenir à une méthode unique ;
- l'ODEADOM omet de prendre en compte les promotions, pertes et casses.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 décembre 2023, l'Office de développement de l'économie agricole d'Outre-Mer (ODEADOM), représenté par Me Volpelliere, conclut :
- à titre principal, au rejet de la requête ;
- à titre subsidiaire, à ce que la cour constate que la créance de l'ODEADOM est bien fondée et subordonne la restitution de la somme réclamée à la société Mahoraise de commerce, à l'absence de délivrance, par l'ODEADOM, d'un nouveau titre de perception régulier, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
- à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Mahoraise de commerce au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 25 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 25 juillet 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l'Union ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 180/2014 de la Commission du 20 février 2024 établissant les modalités d'application du règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès,
- et les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Mahoraise de commerce (SOMACO), qui exerce une activité d'importation et de distribution, a perçu au titre de l'année 2018 une somme de 20 098,89 euros versée par l'Office de développement de l'économie agricole d'Outre-Mer (ODEADOM) au titre de l'aide au régime spécifique d'approvisionnement (RSA) du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Elle a fait l'objet en septembre 2019 d'un contrôle sur place, à l'issue duquel l'ODEADOM a estimé que la société n'avait pas répercuté l'aide sur le consommateur final. Par un titre de perception du 15 septembre 2020, l'ODEADOM a mis à la charge de la SOMACO le paiement de la somme de 7 520,63 euros. La SOMACO relève appel du jugement du 22 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce titre de perception.
Sur la procédure :
2. La SOMACO reprend en appel, sans les assortir d'arguments nouveaux ou de critique utile du jugement, les moyens tirés du défaut de motivation du titre de perception litigieux, du défaut de mise en œuvre d'une procédure contradictoire, de la méconnaissance de l'article 24 du règlement d'exécution (UE) n° 180-2014 de la commission du 20 février 2024 en l'absence de l'analyse de risque et du défaut d'assermentation de l'agent ayant mené le contrôle. Il convient d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
Sur le bien-fondé de la créance :
3. Aux termes du considérant 6 du règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 portant mesures spécifiques dans le domaine de l'agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l'Union : " Afin de garantir l'approvisionnement des régions ultrapériphériques en produits agricoles essentiels et de pallier les surcoûts induits par l'ultrapériphéricité de ces régions, il convient d'instaurer un régime spécifique d'approvisionnement. En fait, la situation géographique exceptionnelle des régions ultrapériphériques, par rapport aux sources d'approvisionnement en produits essentiels à la consommation humaine, à la transformation ou en tant qu'intrants agricoles, entraîne dans ces régions des surcoûts d'acheminement. En outre, d'autres facteurs objectifs liés à l'ultrapériphéricité de ces régions, et en particulier leur insularité et leurs faibles surfaces agricoles, imposent aux opérateurs et aux producteurs des régions ultrapériphériques des contraintes supplémentaires qui handicapent lourdement leurs activités. Ces handicaps peuvent être allégés en abaissant les prix desdits produits essentiels (...) ". Le 1 de l'article 13 du même règlement dispose : " Le bénéfice du régime spécifique d'approvisionnement résultant de l'exonération du droit à l'importation ou de l'octroi de l'aide est subordonné à une répercussion effective de l'avantage économique jusqu'à l'utilisateur final qui, selon le cas, peut être le consommateur lorsqu'il s'agit de produits destinés à la consommation directe, le dernier transformateur ou conditionneur lorsqu'il s'agit de produits destinés aux industries de transformation ou de conditionnement, ou l'agriculteur lorsqu'il s'agit de produits utilisés pour l'alimentation animale ou comme intrants agricoles. ". Aux termes de l'article 6 du règlement d'exécution (UE) n° 180/2014 de la Commission du 20 février 2024 établissant les modalités d'application du règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil : " Répercussion de l'avantage sur l'utilisateur final / Aux fins de l'article 13, paragraphe 1, du règlement (UE) no 228/2013, les autorités compétentes prennent toutes les mesures appropriées pour contrôler la répercussion effective de l'avantage sur l'utilisateur final. Ce faisant, elles peuvent apprécier les marges commerciales et les prix pratiqués par les différents opérateurs concernés. (...) ".
4. Il résulte de l'instruction, notamment du compte-rendu de contrôle sur place et du tableau annexé au courrier du 12 décembre 2019, que, lors du contrôle, l'ODEADOM a constaté qu'au titre de la campagne 2018, le taux de marge brute commerciale de produits laitiers d'importation commercialisés par la SOMACO se situait entre 42 % et 67 %. Après intégration des coûts logistiques indiqués par la société dans le cadre de la procédure contradictoire, le taux de marge recalculé variait entre 14 % et 79 % selon les produits. Pour apprécier ces taux de marge et s'assurer que l'aide perçue sur ces produits avait été effectivement répercutée sur le consommateur final, l'ODEADOM a utilisé trois méthodes, la première consistant à demander à la SOMACO le détail du calcul des coûts de revient relatifs aux douze produits ayant bénéficié d'une aide RSA, la deuxième portant sur l'analyse des comptes de résultat de l'opérateur, ainsi que de l'ensemble des comptes charges et produits, afin de déterminer le niveau de marge global de la société, et enfin, la troisième consistant dans le recueil de données en lien avec la catégorie de produits concernée auprès des enseignes du même secteur à Mayotte et par la consultation de rapports d'observatoires. L'ODEADOM a alors considéré qu'au regard d'un taux de marge raisonnable estimé à 30 %, mais aussi du taux de marge commerciale brute globale de 40,85 % pratiqué par l'entreprise, le taux de marge de 43 % ou plus constaté sur plusieurs des produits laitiers bénéficiant du dispositif d'aide était excessif, de sorte que l'aide perçue sur ces produits n'avait manifestement pas été effectivement répercutée sur le consommateur final. Il a alors recalculé le prix de chaque produit en tenant compte de la marge moyenne de 40,85 % avant de déterminer la surfacturation par unité vendue, afin de calculer le montant d'aide non justifié, s'élevant, après mise en œuvre de la procédure contradictoire et prise en compte des frais de logistique indiqués par la société, à 7 520,63 euros.
5. En premier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'interdisait à l'ODEADOM d'utiliser les trois méthodes décrites ci-dessus. Par suite, la SOMACO n'est pas fondée à soutenir que l'ODEADOM aurait dû n'utiliser qu'une seule méthode.
6. En deuxième lieu, la SOMACO soutient que la méthode qui consiste à comparer le taux de marge brute commerciale des produits laitiers qu'elle commercialise avec son taux de marge commerciale global est erronée, dès lors que son chiffre d'affaires est réalisé à 18 % par la vente de cigarettes, dont le taux de marge commerciale ne dépasse pas 16 %. Toutefois, ainsi qu'il vient d'être rappelé, pour établir que l'aide perçue sur les produits laitiers n'avait pas été effectivement répercutée sur le consommateur final, l'ODEADOM ne s'est pas fondé sur la seule comparaison des taux de marge brute commerciale des produits laitiers avec le taux de marge commerciale global, mais a utilisé deux autres méthodes. Alors que l'une d'entre elles, consistant dans le recueil de données pour la catégorie de produits concernée auprès des enseignes du même secteur à Mayotte, l'a amenée à considérer que le taux de marge commerciale raisonnable s'élevait à 30 %, l'ODEADOM a retenu le taux de 40,85 % de marge commerciale brute globale pratiqué par l'entreprise, plus favorable à cette dernière.
7. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'ODEADOM, après mise en œuvre de la procédure contradictoire, a tenu compte des frais de logistique indiqués par la société dans son courrier du 17 janvier 2020. Si la SOMACO fait valoir qu'en tenant compte des frais de logistique et de transport, à concurrence de 900 euros en moyenne, les taux de marge sont tous inférieurs ou égaux à 40,85 %, en se bornant à produire un " tableau de calcul de marge commerciale brute par produit ", elle n'apporte pas d'élément suffisant au soutien de ces allégations. De même, la SOMACO n'apporte aucun élément au soutien de ses affirmations selon lesquelles il y aurait lieu de tenir compte des promotions, pertes et casses.
8. Enfin, les circonstances que les prix pratiqués respectent le bouclier qualité prix (BQP) et que les produits vendus en métropole le sont sensiblement au même prix sont sans influence sur le constat, opéré par l'ODEADOM, de l'absence de répercussion de l'aide sur le consommateur final.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SOMACO n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Sur les frais de l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge de l'ODEADOM, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la SOMACO demande au titre des frais de l'instance. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre sur ce fondement à la charge de la SOMACO la somme de 1 500 euros.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SOMACO est rejetée.
Article 2 : La SOMACO versera à l'ODEADOM la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Mahoraise de Commerce et à l'Office de développement de l'économie agricole d'Outre-Mer.
Délibéré après l'audience du 27 février 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mars 2025.
La présidente-assesseure,
Bénédicte MartinLa présidente-rapporteure,
Frédérique Munoz-PauzièsLa greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt et de la souveraineté alimentaire en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX00549