Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... F... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a confirmé la sanction de 5 jours de cellule disciplinaire avec sursis prononcée à son encontre par le président de la commission de discipline de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré
le 29 juillet 2019.
Par un jugement n° 201138 du 16 février 2023, le tribunal a annulé cette décision
et a condamné l'Etat à verser à l'AARPI Thémis, conseil de M. F..., une somme
de 900 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi
du 10 juillet 1991.
Par une requête enregistrée le 21 avril 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel de ce jugement et conclut au rejet de la demande présentée par M. F....
Il soutient que :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande :
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la demande de M. F... était tardive dès lors que son recours administratif préalable présenté le 22 novembre 2021 contre la décision du 29 juillet 2019, qui lui a été notifiée le même jour, était intervenu au-delà du délai de quinze jours prescrit par l'article R. 57-7-32 du code de procédure pénale ; ce recours a d'ailleurs été rejeté pour ce motif par une décision explicite du 13 décembre 2021 ;
En ce qui concerne la légalité de la décision :
- l'autorité ayant décidé les poursuites disciplinaires était dûment habilitée par décision du 2 mai 2019, régulièrement publiée le 19 mai suivant au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Charente-Maritime ;
- le rapport d'enquête a été rédigé par le premier surveillant, M. A... C..., conformément aux exigences de l'article R. 57-7-14 du code de procédure pénale ;
- les droits de la défense de M. F... n'ont pas été méconnus ; en effet, il a pu consulter le dossier de procédure disciplinaire le 23 juillet 2019 à 17h soit plusieurs jours avant la tenue de la commission de discipline le 29 juillet suivant, conformément aux dispositions de l'article R. 57-7-16 du code de procédure pénale ; l'administration n'était pas tenue de lui remettre une copie de son dossier ;
- contrairement ce qu'il soutient, l'intéressé a pu être assisté par un avocat commis d'office lors de la commission de discipline ;
- la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux s'étant substituée à celle du président de la commission de discipline du 29 juillet 2019, le moyen tiré de ce que cette décision ne comportait pas les nom, prénom, qualité et signature du président est inopérant ;
- M. F... se borne à contester la véracité des faits qui lui sont reprochés sans produire d'éléments de nature à remettre en cause les énonciations portées sur le compte-rendu d'incident, lesquelles ont justifié la sanction en litige.
Par un mémoire enregistré le 16 novembre 2023, M. F... représenté
par l'AARPI Thémis, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme
de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que :
- sa demande n'était pas tardive ; en effet, l'administration lui a certes fait signer la décision du 29 juillet 2019 mais ne lui en a pas remis une copie, de sorte qu'il n'était pas en mesure de prendre connaissance de son contenu ni de se voir opposer les voies et délais de recours pour la contester ; il n'a eu connaissance de ces éléments que le 16 novembre 2021, à l'occasion de la production du mémoire en défense du ministre, et l'a alors contestée dans le délai de quinze jours prescrit par l'article R. 57-7-32 du code de procédure pénale ;
- les faits ayant justifié la sanction sont inexacts ; son codétenu ne sachant ni lire ni écrire, il lui avait demandé de remplir ses bons de cantine ;
- l'administration n'établit pas que siégeaient à la commission de discipline les deux assesseurs requis par l'article R. 234-2 du code pénitentiaire ;
- Mme E..., directrice du quartier Citadelle, ne disposait pas d'une délégation de compétence régulièrement publiée pour présider la commission de discipline ;
- il n'est pas établi que le premier assesseur, membre de l'administration pénitentiaire, ne soit pas le rédacteur du compte-rendu d'incident à l'origine de la procédure disciplinaire ;
- la matérialité des faits reprochés, lesquels consistaient à avoir racketté un autre détenu en lui demandant de cantiner pour lui et à avoir insulté un surveillant pénitentiaire, n'est pas établie ;
- la sanction est disproportionnée, d'autant qu'il n'avait aucun antécédent disciplinaire.
M. F... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code pénitentiaire ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., écroué le 8 novembre 2016, était incarcéré à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré depuis avril 2019. Par décision du 29 juillet 2019 lui a été infligée une sanction de 5 jours de quartier disciplinaire assortie d'un sursis durant six mois pour des insultes proférées à l'encontre d'un surveillant. Après avoir estimé que M. F... devait être regardé comme ayant demandé l'annulation de la décision implicite par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux avait rejeté son recours administratif préalable obligatoire formé le 22 novembre 2021 à l'encontre de la sanction du 29 juillet 2019, le tribunal administratif de Poitiers a annulé cette décision par un jugement du 16 février 2023 en retenant, faute de défense au fond, l'inexactitude matérielle des faits, invoquée par le requérant. Le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 57-7-32 du code de procédure pénale : " La personne détenue qui entend contester la sanction prononcée à son encontre par la commission de discipline doit, dans le délai de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision, la déférer au directeur interrégional des services pénitentiaires préalablement à tout recours contentieux. Le directeur interrégional dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception du recours pour répondre par décision motivée. L'absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet ". Il résulte de ces dispositions qu'un détenu n'est recevable à déférer au juge administratif que la seule décision, expresse ou implicite, du directeur régional des services pénitentiaires, qui arrête définitivement la position de l'administration et qui se substitue ainsi à la sanction initiale prononcée par le chef d'établissement.
3. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a repris les dires du requérant selon lesquels M. F... ne s'était jamais vu notifier la sanction qui lui avait été infligée le 29 juillet 2019, dont il n'aurait eu connaissance qu'à l'occasion du mémoire en défense présenté par le garde des sceaux le 16 novembre 2021. Il a estimé que l'intéressé devait être regardé comme ayant sollicité l'annulation de la décision implicite par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux avait rejeté son recours administratif préalable obligatoire formé le 22 novembre 2021 à l'encontre de cette sanction.
4. Il ressort cependant des pièces produites pour la première fois en appel par l'administration que par décision du 29 novembre 2021, notifiée le 13 décembre suivant, la direction interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux a rejeté explicitement le recours administratif préalable obligatoire que M. F... avait présenté le 22 novembre 2021, en raison de sa tardiveté. Par suite, en annulant une décision implicite du directeur interrégional alors que cette décision n'a jamais été constituée, les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité, et celui-ci doit dès lors être annulé.
5. Il y a lieu, par suite, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par M. F... devant le tribunal administratif, qui doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 29 novembre 2021.
Sur la recevabilité de la demande :
6. Le garde des sceaux soutient que la demande présentée par M. F... devant le tribunal était irrecevable dès lors qu'il avait saisi tardivement le directeur interrégional des services pénitentiaires de la contestation de la décision du 29 juillet 2019.
7. Aux termes de l'article R. 57-7-26 du code de procédure pénale dans sa version applicable au litige : " La décision sur la sanction disciplinaire est prononcée en présence de la personne détenue. Elle lui est notifiée par écrit sans délai et doit comporter, outre l'indication de ses motifs, le rappel des dispositions de l'article R. 57-7-32. ". Une telle notification implique que la décision soit effectivement remise à son destinataire.
8. M. F... soutient, sans être contredit, que la décision du 29 juillet 2029 ne lui a jamais été remise. Dans ces conditions, et bien que lui-même et son avocat l'aient signée le jour de la commission du conseil de discipline, l'absence de remise de cette décision n'est pas de nature à avoir fait courir les délais de recours à son encontre. Dans ces conditions, le recours préalable présenté par M. F... le 22 novembre 2021 ne saurait être regardé comme tardif. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de sa demande devant le tribunal, en raison de la tardiveté de son recours préalable obligatoire, ne peut qu'être rejetée.
Sur la légalité de la décision du 29 novembre 2021 :
9. L'institution d'un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. Il s'ensuit que la décision prise à la suite du recours se substitue nécessairement à la décision initiale et qu'elle est seule susceptible d'être déférée au juge de la légalité. Si l'exercice d'un tel recours a pour but de permettre à l'autorité administrative, dans la limite de ses compétences, de remédier aux illégalités dont pourrait être entachée la décision initiale, sans attendre l'intervention du juge, la décision prise sur le recours n'en demeure pas moins soumise elle-même au principe de légalité. En l'espèce, la substitution à la décision initiale de la décision prise par le directeur interrégional des services pénitentiaires ne fait pas obstacle à ce que soit invoqué à l'encontre de cette décision un moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie devant la commission de discipline.
10. M. F... soutient que l'administration n'a pas établi que le premier assesseur ayant siégé au sein de la commission de discipline n'était pas le rédacteur du compte-rendu d'incident à l'origine de la procédure disciplinaire.
11. En vertu de l'article R. 57-5-14 du code de procédure pénale applicable au présent litige : " A la suite de ce compte rendu d'incident, un rapport est établi par un membre du personnel de commandement du personnel de surveillance, un major pénitentiaire ou un premier surveillant et adressé au chef d'établissement. Ce rapport comporte tout élément d'information utile sur les circonstances des faits reprochés à la personne détenue et sur la personnalité de celle-ci. L'auteur de ce rapport ne peut siéger en commission de discipline ". Selon l'article R. 57-7-8 du code de procédure pénale alors en vigueur : " Le premier assesseur est choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement. ". Enfin, en vertu de l'article 2 du décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 portant statut particulier du corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire applicable au litige : " Le corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire comprend trois grades : 1° Un grade de surveillant et surveillant brigadier qui comporte un échelon d'élève, un échelon de stagiaire et douze échelons ; à partir du 6e échelon de ce grade, les surveillants prennent le titre de surveillant brigadier ; 2° Un grade de premier surveillant qui comporte six échelons ; 3° Un grade de major pénitentiaire qui comporte cinq échelons et un échelon exceptionnel. "
12. En réponse au moyen susévoqué, l'administration se borne à indiquer que le rapport d'enquête a été rédigé par M. A... C..., premier surveillant. Ce faisant, elle n'établit pas que ce dernier qui relevait, en sa qualité de premier surveillant, du 2ème grade du corps d'encadrement et pouvait, à ce titre, siéger au sein de la commission de discipline, n'était pas l'un des assesseurs ayant eu à statuer sur la situation de M. F... lors de la commission de discipline qui s'est tenue le 29 juillet 2019. Le procès-verbal de la commission ne comporte pas le nom des assesseurs. Dans ces conditions, M. F... est fondé à soutenir que la procédure suivie devant cette commission a méconnu les dispositions précitées de l'article R. 57-5-14 du code de procédure pénale.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens évoqués par M. F..., que ce dernier est fondé à demander l'annulation de la décision
du 29 novembre 2021.
Sur les frais liés au litige :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à l'AARPI Thémis, conseil de M. F..., en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi
du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 16 février 2023 est annulé.
Article 2 : La décision du 29 novembre 2021 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux est annulée.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à l'AARPI Thémis, conseil de M. F..., en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, à M. B... F... et à l'AARPI Thémis. Copie en sera adressée au directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux.
Délibéré après l'audience du 18 février 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2025.
La rapporteure,
Sabrina D...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX01105