Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Auch Hyper distribution a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'État à lui verser la somme de 547 477 euros en réparation du préjudice causé par son refus d'accorder le concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice et du fait des attroupements des " gilets jaunes ".
Par un jugement n° 2000199 du 18 octobre 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Par une ordonnance n° 22BX03085 du 5 janvier 2023, le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis au Conseil d'État, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le dossier de la requête d'appel de la société Auch Hyper distribution contre ce jugement.
Par une décision n° 470489 du 25 juillet 2023, le Conseil d'État a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 décembre 2022, la société Auch Hyper distribution, représentée par Me Ruff, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 18 octobre 2022 du tribunal administratif de Pau ;
2°) d'annuler la décision du 2 décembre 2019 par laquelle la préfète du Gers a rejeté sa demande indemnitaire ;
3°) de condamner l'État à lui verser la somme de 547 477 euros en réparation du préjudice causé par son refus d'accorder le concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice et du fait des attroupements des " gilets jaunes ", assortie des intérêts moratoires et de leur capitalisation ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité sans faute de l'État est engagée sur le fondement de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution du fait de son refus d'accorder le concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice à l'occasion des attroupements des " gilets jaunes " ;
- la responsabilité sans faute de l'État est engagée sur le fondement de l'article L. 211 10 du code de la sécurité intérieure au titre des dommages causés par les attroupements et rassemblements ;
- elle a subi un préjudice constitué par la perte d'exploitation, la perte nette liée à la destruction de marchandises périssables, les frais de publicité et de promotion et les frais de justice et de sécurisation qu'elle a dû exposer, induits par les situations de blocage.
Un mémoire a été présenté par le ministre de l'intérieur le 5 février 2025, postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
Par une ordonnance du 15 novembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 18 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de la route ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vincent Bureau,
- et les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Entre le 17 novembre et le 15 décembre 2018, des manifestations ont eu lieu sur le territoire de la commune d'Auch, en particulier le samedi, notamment aux abords du rond-point desservant le centre commercial géré par la société Auch Hyper distribution. Par une ordonnance du 22 novembre 2018, le président du tribunal de grande instance d'Auch a notamment interdit à toute personne d'organiser et de participer à toute action susceptible de gêner ou empêcher le libre accès et la libre exploitation de l'hypermarché concerné et a ordonné le déblocage des accès du centre commercial et l'expulsion de toute personne bloquant les accès ou occupant le site de façon illicite. Par un courrier du 2 décembre 2019, le préfet du Gers a rejeté la demande d'indemnisation présentée par la société Auch Hyper distribution du fait du refus d'accorder le concours de la force publique pour l'exécution de cette ordonnance et du fait des attroupements en lien avec ces manifestations. La société Auch Hyper distribution relève appel du jugement du 18 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande de condamnation de l'État.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution : " L'État est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'État de prêter son concours ouvre droit à réparation ". Aux termes de l'article L. 153-2 du même code : " L'huissier de justice chargé de l'exécution peut requérir le concours de la force publique ". Aux termes de l'article R. 153-1 de ce code : " Si l'huissier de justice est dans l'obligation de requérir le concours de la force publique, il s'adresse au préfet. / La réquisition contient une copie du dispositif du titre exécutoire. Elle est accompagnée d'un exposé des diligences auxquelles l'huissier de justice a procédé et des difficultés d'exécution. / Toute décision de refus de l'autorité compétente est motivée. Le défaut de réponse dans un délai de deux mois équivaut à un refus (...) ".
3. D'une part, il résulte de ces dispositions que le représentant de l'État, saisi d'une demande en ce sens, doit prêter le concours de la force publique en vue de l'exécution des décisions de justice ayant force exécutoire. Seules des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public, ou des circonstances postérieures à une décision de justice ordonnant l'expulsion d'occupants du domaine public, faisant apparaître que l'exécution de cette décision serait de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique.
4. D'autre part, le dommage résultant de l'abstention des autorités administratives de recourir à la force publique pour permettre l'utilisation normale du domaine public, s'il excède une certaine durée, peut ouvrir droit à réparation à condition de présenter un caractère grave et spécial, alors même que l'abstention des autorités administratives ne présenterait pas de caractère fautif.
5. La société Auch Hyper distribution, qui allègue avoir subi un préjudice constitué par une perte d'exploitation, une perte nette liée à la destruction de marchandises périssables, des frais de publicité et de promotion et les frais de justice et de sécurisation qu'elle a dû exposer, induits par les situations de blocage, n'établit pas, alors que son chiffre d'affaires sur la période du 17 novembre 2018 au 31 décembre 2018 a été supérieur à celui de l'année précédente sur la même période, avoir subi un préjudice grave et spécial dont elle serait fondée à demander réparation. Par suite, la société Auch Hyper distribution n'est pas fondée à soutenir que les conditions d'engagement de la responsabilité sans faute de l'État sur le fondement de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution sont remplies.
6. En second lieu, et d'une part, aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ". L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés. En outre, ne peuvent être regardés comme étant le fait d'un attroupement ou rassemblement au sens de ces dispositions les actes délictuels ne procédant pas d'une action spontanée dans le cadre ou le prolongement d'un attroupement ou rassemblement mais d'une action préméditée et organisée par un groupe structuré à seule fin de les commettre.
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 412-1 du code de la route : " Le fait, en vue d'entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d'employer, ou de tenter d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende. / (...) ".
8. Il résulte de l'instruction, et notamment des constats d'huissier produits par la société appelante, que des actions de blocage et de filtrage de la circulation ont été menées entre le 17 novembre 2018 et le 15 décembre 2018 au niveau du rond-point desservant les accès de l'établissement qu'elle exploite. À cet effet, des manifestants, revêtus de gilets jaunes ont notamment mis en place des barrages filtrants. Ces actions, qui se sont succédées pendant presque un mois, s'inscrivaient alors dans le cadre d'un mouvement national de contestation en réaction à la hausse du prix des carburants, qui a conduit à la mise en place de nombreux barrages routiers visant à paralyser l'économie française. Elles ont constitué des délits d'entrave à la circulation réprimés par l'article L. 412-1 du code de la route et ont été commis de manière concertée et préméditée. Par conséquent, les préjudices qui en ont résulté pour la société Auch Hyper Distribution ne sauraient, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, être considérés comme imputables à un attroupement ou à un rassemblement au sens des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure et ne sauraient donc engager la responsabilité de l'État sur ce fondement.
9. Il résulte de ce qui précède que la société Auch Hyper Distribution n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande de condamnation de l'État.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, sur leur fondement, à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Auch Hyper Distribution est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Auch Hyper Distribution et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 11 février 2025, à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Vincent Bureau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2025.
Le rapporteur,
Vincent Bureau
Le président,
Laurent Pouget
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 23BX02208