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04/03/2025 | FRANCE | N°24BX02581

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 04 mars 2025, 24BX02581


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 16 septembre 2024 par lequel le préfet de la Vienne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.



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Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 31 octobre 2024, le préfet ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 16 septembre 2024 par lequel le préfet de la Vienne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2402522 du 4 octobre 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 octobre 2024, le préfet de la Vienne demande à la cour d'annuler ce jugement du 4 octobre 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers.

Il soutient que c'est à tort que le tribunal a annulé l'arrêté sur le fondement de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la durée du séjour en France de M. A... est à relativiser puisqu'il n'a pas déposé de demande de titre de séjour à sa majorité et s'est ainsi délibérément maintenu en situation irrégulière pendant deux ans ; son comportement représente une menace grave pour l'ordre public eu égard à la particulière gravité des faits pour lesquels il a été placé en détention provisoire et aux multiples interpellations dont il a fait l'objet ; en tout état de cause, il n'apporte aucune élément permettant de démontrer une présence habituelle sur le territoire français depuis son entrée sur le territoire en 2003 ou 2004 selon ses déclarations ; ses conditions de séjour en France ne portent pas davantage atteinte à sa vie privée et familiale ; au titre de l'effet dévolutif, les autres moyens soulevés par le requérant seront écartés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2024, M. A..., représenté par Me Bouillault, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des articles 35 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, dans l'hypothèse où le bénéfice de l'aide juridictionnelle ne lui serait pas accordé, la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que le moyen soulevé par le préfet doit être écarté et s'en remet subsidiairement aux moyens soulevés devant le tribunal administratif de Poitiers.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Nicolas Normand.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né en mars 2002 et de nationalité gambienne, déclare être en France en 2003 ou 2004. Par un arrêté du 16 septembre 2024 le préfet de la Vienne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Le préfet de la Vienne relève appel du jugement du 4 octobre 2024 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a prononcé l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort de la fiche pénale produite par le préfet de la Vienne que M. A... a été mis en examen, écroué et placé en détention provisoire à compter du 31 mai 2023 pour des faits d'assassinat, de recel de bien provenant d'un vol, détention non autorisée d'arme, munition ou de leurs éléments de catégorie B, de violence sur un fonctionnaire de police nationale suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours aggravée par au moins deux circonstances et d'outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique. La circonstance que de tels faits n'ont, à la date de l'arrêté, pas donné lieu à une condamnation pénale parce que leur instruction est toujours en cours n'interdisait pas au préfet de la Vienne de les prendre en compte, alors d'ailleurs que des éléments graves et concordants ont justifié l'incarcération de M. A.... La fiche pénale précitée révèle également que par un jugement du 28 septembre 2023, le président du tribunal judiciaire de Guéret a condamné M. A... à un mois d'emprisonnement pour outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique et que par un jugement du 28 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Guéret l'a condamné à deux mois d'emprisonnement pour usage de stupéfiants. Compte tenu de la nature et de la gravité des infractions précitées, la présence de M. A... sur le territoire français constitue, ainsi que l'a estimé à juste titre, le préfet de la Vienne dans la décision attaquée, une menace à l'ordre public.

4. Il ressort également des pièces du dossier et notamment d'attestations de scolarité et d'attestations de proches que M. A... est entré en France alors qu'il était âgé d'un an, accompagné de ses deux parents, qu'il a été scolarisé en France de l'école maternelle jusqu'à la classe de première, qu'il a 4 frères et sœurs nés en 2004, 2010, 2013 et 2015, que des documents de circulation pour étranger mineur lui ont été délivrés par la préfecture de la Haute-Vienne du 28 avril 2010 au 27 avril 2015 puis par la préfecture de la Seine-Saint-Denis du 6 octobre 2016 au 4 mars 2020 et qu'il réside chez son père. Il est également dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Toutefois, ainsi qu'il a été indiqué, M. A... représente une menace grave pour l'ordre public. En outre, il est célibataire et sans enfant et il n'était pas en situation régulière sur le territoire français durant sa période d'incarcération qui est de 16 mois à la date de l'arrêté attaqué. De même, il n'a demandé que deux ans après sa majorité la délivrance d'un titre de séjour et il ne justifie pas d'une intégration particulière sur le territoire français. Il résulte de ce qui précède, que c'est à tort que le tribunal a accueilli le moyen tiré de ce que la décision du 16 septembre 2024 obligeant M. A... à quitter le territoire français porte, à son droit à une vie privée et familiale protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis. Il appartient à la cour, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens invoqués tant en première instance qu'en appel par M. A....

Sur la légalité de l'arrêté du 16 septembre 2024 :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, par un arrêté n° 16-2024-09-09-00002 du 9 septembre 2024, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de la Charente n° 16-2024-132 du même jour, le préfet de ce département a donné délégation de signature au secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer tous actes, arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département de la Charente, à l'exception de certains actes parmi lesquels ne figurent pas les décisions en matière de police des étrangers. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.

6. En second lieu, il ressort des termes même de la décision litigieuse portant obligation de quitter le territoire français qu'elle est suffisamment motivée en droit et en fait y compris en ce qu'elle n'accorde aucun délai de départ volontaire et qu'elle n'est pas entachée d'un défaut d'examen réel et approfondi de la situation personnelle du requérant.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants:/1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ;/ 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, (...) ;/ 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet " et de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :/ (...) 3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;/ 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ;/ 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes (...) ".

8. Il résulte du point 4 du présent arrêt que le préfet de la Vienne a pu regarder le comportement de M. A... comme représentant une menace grave pour l'ordre public. Par suite, et quand bien sa famille réside en France, en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, le préfet de la Vienne n'a pas méconnu les dispositions précitées des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

9. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.

10. En second lieu, la circonstance que la décision déférée a vocation à renvoyer M. A... en Gambie, pays qu'il a quitté à l'âge d'un an, dont il ne maitrise pas la langue et dans lequel il est exposé à être isolé de sa famille résidant en France n'est pas constitutive d'un traitement inhumain et dégradant. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans :

11. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes des dispositions de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".

12. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

13. D'une part, l'arrêté en litige, qui vise notamment les articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indique les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la société française et précise que l'intéressé est célibataire, sans enfants et ne justifie pas d'une intégration particulière en France. Dans ces conditions, le préfet de la Vienne, a suffisamment motivé sa décision et n'a pas entaché sa décision d'un défaut d'examen de la situation personnelle du requérant.

14. D'autre part, dans les circonstances rappelées aux points précédents, M. A... représente une menace grave pour l'ordre public et il ne justifie pas de l'intensité de ses liens personnels et familiaux sur le territoire français. Ces éléments sont de nature à justifier légalement, dans son principe et sa durée, l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans prononcée à son encontre par le préfet de la Vienne.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Vienne est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers, par le jugement attaqué, a prononcé l'annulation de l'arrêté préfectoral du 16 septembre 2024.

Sur les frais d'instance :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à Me Bouillault, avocat de M. A... ou à M. A... lui-même d'une somme sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE

Article 1er : Le jugement n° 2402522 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Poitiers du 4 octobre 2024 est annulé.

Article 2 : La demande de M. A... devant le tribunal administratif de Poitiers est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 11 février 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Fabienne Zuccarello, présidente de chambre,

M. Nicolas Normand, président-assesseur,

Mme Carine Farault, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mars 2025.

Le rapporteur,

Nicolas Normand

La présidente,

Fabienne Zuccarello

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 24BX02581


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX02581
Date de la décision : 04/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme ZUCCARELLO
Rapporteur ?: M. Nicolas NORMAND
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : BOUILLAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-03-04;24bx02581 ?
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