Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 11 novembre 2023 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée.
Par un jugement n° 2400022 du 24 juin 2024, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe Haïti comme pays à destination duquel Mme A... épouse B... est susceptible d'être éloignée d'office et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 août 2024, Mme A... épouse B..., représentée par Me Hervet, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 24 juin 2024 en tant qu'il n'a pas annulé l'arrêté du 11 novembre 2023 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;
2°) d'annuler l'arrêté du 11 novembre 2023 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle doit être renvoyée et l'a assignée à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de la décision à intervenir, sous astreinte, passé ce délai, de 150 euros par jour de retard ou, " alternativement ", de procéder au réexamen de sa situation, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français est entachée d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'un vice de procédure par méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle est entrée sur le territoire national le 30 novembre 2013, et s'est maintenue en Guadeloupe depuis, soit pour une durée continue et ininterrompue de presque 11 années ;
- elle méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle justifie de motifs exceptionnels ou humanitaires ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est illégale par exception d'illégalité de la décision portant refus de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale par exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par ordonnance du 18 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 7 novembre 2024 à 12 heures.
Par un courrier du 5 février 2025, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever l'irrecevabilité des conclusions en annulation dirigées contre la décision du préfet de la Guadeloupe fixant le pays de destination à destination duquel M. A... doit être éloigné, le jugement attaqué du 24 juin 2024 ayant déjà annulé cet arrêté.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Nicolas Normand.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... A... épouse B..., ressortissante haïtienne née en 1970 à Gressier (Haïti), est entrée irrégulièrement sur le territoire français le 30 novembre 2013, selon ses déclarations. Le 4 avril 2023, elle a sollicité son admission exceptionnelle au séjour au titre de sa vie privée et familiale, sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 11 novembre 2023, le préfet de la Guadeloupe a refusé de faire droit à cette demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée. Par un jugement du 24 juin 2024, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe Haïti comme pays à destination duquel Mme A... épouse B... est susceptible d'être éloignée d'office et a rejeté le surplus de la demande. Mme C... A... épouse B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'arrêté dans son ensemble :
2. La décision attaquée indique que Mme A... a sollicité son admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au titre de sa vie privée et familiale, qu'elle déclare être entrée irrégulièrement le 30 novembre 2013, qu'elle ne justifie pas de considérations humanitaires ou exceptionnelles appréciées notamment en prenant en compte l'ancienneté de sa résidence habituelle en France, que si elle déclare être mariée à un ressortissant haïtien et avoir eu des enfants, trois d'entre eux sont majeurs et seul l'un des enfants est né en Guadeloupe. Elle en déduit, sans contradiction de motifs, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à la situation personnelle et à la vie familiale de l'intéressée et qu'en application de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet peut obliger Mme A... à quitter le territoire français. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que le refus de séjour et la décision portant obligation de quitter le territoire français seraient entachés d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle doivent être écartés.
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. / Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat ".
4. En présence d'une demande de régularisation présentée sur le fondement de ces dispositions par un étranger qui n'est pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne représente pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale" répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire ". Dans cette dernière hypothèse, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour. Les dispositions précitées de l'article L. 435-l laissent enfin à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels que celui-ci fait valoir.
5. Mme A... se prévaut uniquement d'éléments de nature à justifier, selon elle, la régularisation de son séjour à titre exceptionnel par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale ". Elle produit, à ce titre, une attestation du 31 décembre 2023 selon laquelle elle occupe la fonction de diaconesse au sein d'une église, ses avis d'imposition postérieures à 2013 à l'exception notable des avis d'imposition 2017 et 2019, des factures d'électricité et de dépenses de scolarité postérieures à 2019 et quelques rares documents médicaux sur les années 2014 à 2017. Elle fait aussi valoir, en réponse au préfet qui constate que " son passeport lui a été délivré le 19/09/2018 en Haïti, [circonstance] pouvant porter à croire que son arrivée sur le territoire français serait ultérieure à sa déclaration " qu'elle n'est pas rentrée en Haïti mais s'est rendue au Consulat d'Haïti pour récupérer un passeport ayant été produit en Haïti au 19/09/2018 puis envoyé au Consulat en Guadeloupe. Il ne ressort pas de l'ensemble de ces éléments que l'intéressée, entrée irrégulièrement sur le territoire français le 30 novembre 2013 selon ses déclarations, justifie depuis cette date d'une présence continue en France et d'une intégration suffisante. En outre, son conjoint, de même nationalité, est en situation irrégulière et leur cellule familiale qui comprend 4 enfants nés en 1998, 2003, 2005 et 2016, dont un seul est d'ailleurs mineur, peut se reconstituer hors de France. Dans ces conditions, en l'absence de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels, et sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé, par un jugement devenu définitif, l'arrêté attaqué en tant qu'il fixe Haïti comme pays à destination duquel Mme A... est susceptible d'être éloignée d'office en raison de la situation de violence aveugle généralisée atteignant un niveau d'intensité exceptionnelle que rencontre ce pays, le préfet de la Guadeloupe n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En second lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le préfet n'est tenu de saisir la commission du titre de séjour que du seul cas des étrangers qui justifient effectivement, dans le cadre d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour, résider habituellement en France depuis plus de dix ans auxquels il envisage de refuser le titre de séjour sollicité. Mme A... ne justifie pas, ainsi qu'il a été précisé au point 5, résider en France habituellement depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté litigieux. Par suite, le préfet de la Guadeloupe n'était pas tenu de consulter la commission du titre de séjour avant de lui refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions. Dès lors, le moyen tiré du défaut de saisine préalable de la commission du titre de séjour doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 6 que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision refusant un titre de séjour, ne peut qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure (...) nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre (...) " et aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".
9. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 5, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme A... une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise alors même que son dernier enfant est scolarisé en classe de CE2. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. Dirigé contre l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
12. Mme A..., qui a obtenu satisfaction par le dispositif du jugement critiqué, lequel a annulé la décision du préfet fixant le pays de destination, ne présente pas d'intérêt à faire appel, sur ce point de ce jugement. Dès lors, ses conclusions sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées aux fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... épouse B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... épouse B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 11 février 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Fabienne Zuccarello, présidente de chambre,
M. Nicolas Normand, président-assesseur,
Mme Carine Farault, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mars 2025.
Le rapporteur,
Nicolas Normand
La présidente,
Fabienne Zuccarello
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX02031