Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du préfet de la Vienne du 19 juillet 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2302240 du 30 avril 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a renvoyé à une formation collégiale les conclusions tendant à l'annulation de la décision portant refus de délivrer un titre de séjour, ainsi que les conclusions accessoires correspondantes, et a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire et fixant le pays de renvoi.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 mai 2024, le préfet de la Vienne demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 30 avril 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. D... devant le tribunal administratif de Poitiers.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a considéré que la décision portant refus de délivrer un titre de séjour est entachée d'erreur de droit dès lors que le motif tiré de l'absence de présentation par l'intéressé d'un visa de long séjour justifie, à lui seul, légalement la décision ; c'est donc également à tort qu'il a regardé l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi comme privées de base légale ;
- les décisions litigieuses ne sont pas entachées d'incompétence ;
- les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
- les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ne sont pas disproportionnées quant au droit de M. D... au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination n'est pas privée de base légale.
Par un mémoire enregistré le 24 octobre 2024, M. D..., représenté par Me Ago Simmala, demande que lui soit accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- en conséquence la mesure d'éloignement est privée de base légale ;
- cette mesure méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination est elle-même privée de base légale.
Par une décision du 7 novembre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle partielle à M. D....
Des pièces ont été enregistrées le 16 janvier 2025 et le 10 février 2025 pour M. D... mais n'ont pas été communiquées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Laurent Pouget a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., de nationalité tunisienne, est entré régulièrement sur le territoire national le 12 août 2019 muni d'un visa de court séjour qui a expiré le 28 septembre 2019. Il a présenté une demande de titre de séjour en qualité de salarié le 17 janvier 2023. Par un arrêté du 19 juillet 2023, le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire de trente jours et a désigné la Tunisie comme pays de renvoi. Par un jugement du 30 avril 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a renvoyé à une formation collégiale les conclusions de M. D... tendant à l'annulation de la décision par laquelle le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour ainsi que les conclusions accessoires correspondantes, a annulé les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination, et a enjoint au préfet de la Vienne de délivrer à M. D... une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail valable jusqu'à ce que le tribunal ait statué sur son droit au séjour. Par une requête enregistrée le 29 mai 2024, le préfet de la Vienne doit être regardé comme relevant appel des articles 2 à 4 de ce jugement.
Sur la demande d'aide juridictionnelle à titre provisoire :
2. Par une décision du 7 novembre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle partielle à M. D.... Par suite, la demande de ce dernier tendant à se voir admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire est devenue sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur le motif d'annulation retenu pas le jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 3 de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an et renouvelable et portant la mention ''salarié''. (...) ". L'article 11 de l'accord du 17 mars 1988 stipule que : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord ". Aux termes du point 2.3.3 du protocole du 28 avril 2008 : " Le titre de séjour portant la mention ''salarié'', prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'Accord du 17 mars 1988 modifié, est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent Protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi ". Aux termes de l'article L.412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411- 1 ".
4. Pour annuler la mesure d'éloignement prise à l'encontre de M. D... ainsi que la décision fixant le pays de renvoi, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers s'est fondé sur le motif tiré de ce qu'en opposant à l'intéressé l'application de la condition relative à la situation de l'emploi prévue par le 1° de l'article R. 5221-20 du code du travail, le préfet de la Vienne a entaché d'une erreur de droit le refus de titre de séjour servant de base légale à ces décisions, ce que cette autorité ne conteste pas en appel. Il ressort toutefois des termes mêmes de l'arrêté contesté du 19 juillet 2023 que, pour refuser de délivrer à M. D... un titre de séjour en qualité de salarié, le préfet s'est également fondé sur l'absence de présentation par l'intéressé du visa de long séjour exigé par les dispositions précitées de l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'absence de présentation d'un tel document constitue un motif qui justifiait à lui seul le refus de titre de séjour et il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision s'il avait pris en compte ce seul motif. Par conséquent, le préfet de la Vienne est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge, par le jugement attaqué, a annulé les décisions contestées en raison de l'illégalité, par voie d'exception, de la décision portant refus de titre de séjour.
5. Il appartient dès lors à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... en première instance.
Sur les autres moyens de la demande de M. D... :
6. En premier lieu, par un arrêté du 7 juillet 2023 régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Vienne a donné délégation de signature à Mme Pascale Pin, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer tous actes et décisions relevant des attributions de l'État dans le département, à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions contestées. Ce même arrêté précise qu'en cas d'absence ou d'empêchement de Mme A..., la délégation de signature qui lui est consentie est exercée par Madame B... E..., directrice de cabinet du préfet de la Vienne et signataire de l'arrêté contesté. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées sont entachées d'incompétence manque en fait et doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. M. D... est entré sur le territoire national le 12 août 2019 muni d'un visa de court séjour qui a expiré le 28 septembre 2019. Ainsi, l'intéressé s'est maintenu de manière irrégulière sur le territoire pendant près de trois ans avant de procéder aux démarches de régularisation de sa situation par une demande de titre de séjour en qualité de salarié présentée le 17 janvier 2023. Par ailleurs, s'il justifie d'une activité professionnelle sur le territoire national depuis le 9 mars 2020 par la production de contrats à durée déterminée et d'un contrat à durée indéterminée, il est constant que son employeur n'a pas procédé à une demande d'autorisation de travail avant le 21 mars 2023. Par suite, l'intéressé ne peut se prévaloir d'une insertion professionnelle aboutie. Par ailleurs, s'il affirme entretenir une relation de couple avec une ressortissante française, il n'établit pas l'ancienneté de leur communauté de vie et la stabilité de leur relation par les seules pièces qu'il produit, et notamment une attestation de cette dernière déclarant être une amie et le connaitre depuis un an. M. D... a d'ailleurs déclaré dans sa demande de titre de séjour du 17 janvier 2023 être célibataire et sans enfants. En outre, il ne justifie pas de l'intensité de ses liens familiaux en France et d'une insertion sociale particulière en faisant valoir que l'un de ses oncles réside sur le territoire national et en produisant des attestations de personnes le connaissant depuis au plus trois ans. Dans ces conditions, et alors que M. D... a conservé des attaches familiales dans son pays d'origine, dans lequel il a vécu jusqu'à l'âge de 29 ans et où résident ses parents, son frère et sa sœur, il n'est pas fondé à soutenir que les décisions du préfet de la Vienne du 19 juillet 2023 refusant de lui délivrer un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français porteraient une atteinte disproportionnée à son droit à la vie privée et familiale. Pour les mêmes motifs, ces décisions ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.
9. En troisième lieu, eu égard à ce qui précède, M. D... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité du refus de titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre la mesure d'éloignement et contre la décision fixant le pays de renvoi.
10. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Vienne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de la Vienne a annulé les décisions du 19 juillet 2023 obligeant M. D... à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixant le pays de renvoi, lui a enjoint de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, et a mis une somme de 900 euros à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
11. Le présent arrêt rejetant les conclusions en annulation présentées par M. D... devant le tribunal, il ne saurait être fait droit aux conclusions présentées par ce dernier à fin d'injonction et sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'octroi du bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire présentée par M. D....
Article 2 : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2402240 du 30 avril 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers sont annulés.
Article 3 : La demande présentée par M. C... D... devant le tribunal administratif de Poitiers, en tant qu'elle est dirigée contre la mesure d'éloignement et la décision fixant le pays de renvoi, est rejetée, y compris en ses conclusions accessoires.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de la Vienne et à M. C... D....
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Valérie Réaut, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 février 2025.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy Le président,
Laurent Pouget
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 24BX01300 2