La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/02/2025 | FRANCE | N°22BX03111

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 13 février 2025, 22BX03111


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La communauté d'agglomération Pays basque (CAPB) a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser la somme de 836 740, 58 euros correspondant aux frais engagés au titre de l'accueil d'urgence de migrants au cours de l'année 2018, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2019.



Par un jugement n°2000455 du 18 octobre 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté la requête de la communauté d'agglomératio

n Pays basque.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 19 déce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté d'agglomération Pays basque (CAPB) a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner l'Etat à lui verser la somme de 836 740, 58 euros correspondant aux frais engagés au titre de l'accueil d'urgence de migrants au cours de l'année 2018, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2019.

Par un jugement n°2000455 du 18 octobre 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté la requête de la communauté d'agglomération Pays basque.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 décembre 2022, sous le n°2203111, et un mémoire enregistré le 29 juin 2023, la communauté d'agglomération Pays basque, représentée par Me Cambot, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau en date du 18 octobre 2022 ;

2°) d'annuler la décision implicite de refus du 25 décembre 2019 opposée par les services de l'Etat à la demande préalable du 24 octobre 2019 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 836 740,58 euros assortie des intérêts dus au titre de l'article 1231-6 du code civil à compter du 25 octobre 2019 ;

4°) de diligenter, le cas échéant, une expertise avant-dire droit aux fins que soit déterminé de manière contradictoire le préjudice subi par la communauté d'agglomération Pays basque du fait de la défaillance de l'Etat ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3.000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la réalité du phénomène migratoire de grande ampleur touchant son territoire et le rôle essentiel du centre d'accueil Pausa sont démontrés et ne sont pas contestés par l'Etat ;

- l'Etat est responsable du fait de sa carence fautive dans l'exercice de sa mission concernant l'hébergement d'urgence et la prise en charge des personnes sans-abri dans le contexte d'un afflux migratoire important, en méconnaissance des articles L. 345-2, L. 345-2-2, L. 345-2-3 et L. 121-7 du code de l'action sociale et des familles ;

- la communauté d'agglomération Pays basque est titulaire d'une compétence supplétive en matière d'hébergement d'urgence en vertu de la compétence " action sociale d'intérêt communautaire " fondée sur l'article L. 5216-5 II 6° du code général des collectivités territoriales dont elle a décidé d'assurer l'exercice, le phénomène touchant l'ensemble de son territoire ;

-la communauté d'agglomération Pays basque était fondée à agir pour assurer le respect de la dignité de la personne humaine telle qu'elle est consacrée par la Constitution et l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) ;

- il en est résulté un préjudice causé par les coûts que lui ont occasionné la prise en charge des migrants concernés, en particulier l'organisation de l'hébergement d'urgence qu'elle justifie par la production des relevés de dépenses.

Par mémoire en défense enregistré le 21 juillet 2023, le ministère des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés dans la mesure où aucun principe ni aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à la communauté d'agglomération d'assurer l'hébergement d'urgence en cas de carence des autorités compétentes alors même qu'elle exerce la compétence d'action sociale d'intérêt communautaire selon l'article L5216-5 du code général des collectivités territoriales ;

- il n'est pas démontré que le défaut d'hébergement des migrants était constitutif d'un traitement inhumain ou dégradant ou contraire à la sauvegarde de la dignité humaine protégée par la Constitution ;

- la carence de l'Etat n'est pas caractérisée ;

- la communauté d'agglomération Pays basque est à l'origine du préjudice qu'elle allègue dans la mesure où elle a agi volontairement et s'est placée sciemment dans une situation dont elle cherche à être indemnisée ;

- la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée de façon générale pour tous les cas où la communauté d'agglomération a pris en charge l'hébergement d'urgence.

Par ordonnance du 3 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 avril 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evelyne Balzamo ;

- les conclusions de M. Mickaël Kauffmann, rapporteur public ;

- les observations de Me Coto, représentant la communauté d'agglomération du Pays basque.

Considérant ce qui suit :

1. Confrontée durant l'année 2018, à l'afflux de personnes sans-abri dans l'espace public en raison d'une intensification des flux migratoires en provenance de l'Espagne, la communauté d'agglomération Pays basque soutient avoir dû mettre en place à compter de l'automne 2018 un dispositif d'hébergement d'urgence de ces personnes migrantes. La communauté d'agglomération Pays basque après avoir adressé vainement au ministre de l'Intérieur, une demande d'indemnisation le 25 octobre 2019, a recherché devant le tribunal administratif de Pau la responsabilité de l'Etat du fait de sa carence fautive dans la mise en œuvre de sa compétence en matière d'hébergement d'urgence. Par la présente requête, la communauté d'agglomération Pays basque relève appel du jugement du 18 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 121-7 du code de l'action sociale et des familles : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 ; (...) ". Aux termes de l'article L. 345-1 du même code : " Bénéficient, sur leur demande, de l'aide sociale pour être accueillies dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale publics ou privés les personnes et les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d'insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale. (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2-2 du même code : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales : " [...] II.-La communauté d'agglomération peut par ailleurs exercer en lieu et place des communes les compétences relevant des groupes suivants : [...] 6° Action sociale d'intérêt communautaire. Lorsque la communauté d'agglomération exerce la compétence action sociale d'intérêt communautaire, elle peut en confier la responsabilité pour tout ou partie à un centre intercommunal d'action sociale constitué dans les conditions fixées à l'article L 123-4-1 du code de l'action sociale et des familles [...] ".

3. Il résulte des dispositions précitées des articles L. 121-7 et L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles que sont en principe à la charge de l'Etat les mesures d'aide sociale relatives à l'hébergement d'urgence de toute personne sans abri et en détresse, à l'exception des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin, notamment parce qu'elles sont sans domicile, d'un soutien matériel et psychologique, dont la prise en charge incombe au département au titre de l'aide sociale à l'enfance, en vertu de l'article L. 222-5 du même code. Toutefois, cette compétence de l'Etat en matière d'hébergement d'urgence n'exclut pas l'intervention de la communauté d'agglomération, dès lors qu'elle a décidé par délibération l'exercice de la compétence optionnelle " action sociale d'intérêt communautaire " sur le fondement de l'article L 5216-5 précité du code général des collectivités territoriales. Cette intervention revêt toutefois un caractère supplétif et n'impose pas à cet établissement public de coopération intercommunale de prendre définitivement à sa charge des dépenses qui incombent à l'Etat.

4. Il ressort des pièces du dossier que, par délibération en date du 16 décembre 2017, la communauté d'agglomération Pays basque a décidé d'exercer, en lieu et place des communes membres, la compétence intitulée " action sociale d'intérêt communautaire ", en application des dispositions de l'article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales. En outre, par délibération du 3 novembre 2018, la communauté d'agglomération Pays basque a défini l'intérêt communautaire de la compétence " action sociale " notamment, au titre de la compétence " A.2 précarité ", comme la prise en charge de " La coordination et/ou le soutien financier de dispositifs liés à la grande précarité (point d'accueil jour, hôtel social, aide alimentaire)" ou encore " La création, la gestion et /ou la mise à disposition d'équipements liés à la grande précarité sur l'ensemble du Pays Basque, [...] ". Dès lors que la communauté d'agglomération Pays basque était titulaire de cette compétence sur son territoire, en application des dispositions législatives précitées, et alors même qu'elle ne détient aucun pouvoir de police générale, c'est à tort que le tribunal administratif de Pau a estimé qu'elle n'était pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat du fait de sa carence avérée et prolongée dans l'exercice de sa compétence obligatoire d'accueil des populations en situation de détresse dans des hébergements d'urgence.

5. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté en défense que, face à une réorientation des routes migratoires ayant abouti à l'afflux de près de 9000 personnes sur son territoire à partir de l'été 2018, la communauté d'agglomération Pays basque a mis en place, à compter de l'automne 2018, un dispositif d'hébergement d'urgence dénommé " PAUSA " afin d'accueillir temporairement ces migrants en situation de grande précarité et sans-abri qui erraient dans l'espace public. A cet égard, l'Etat ne peut utilement faire valoir en défense la circonstance que ces migrants sans abri n'étaient qu'en transit, dans l'attente de moyens de transport à destination d'autres régions. Il est par ailleurs constant que le dispositif d'hébergement d'urgence dont se prévaut l'Etat dans le département, doté, d'une part, de 214 places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), auxquelles 30 places supplémentaires ont été ajoutées en 2019, et d'autre part, de 50 places spécifiques pour la période hivernale, n'était pas proportionné à l'arrivée de plusieurs milliers de personnes par an sur le territoire de l'agglomération et l'Etat ne saurait utilement invoquer en défense, en l'absence de dispositif d'orientation ayant démontré son efficacité, les différents dispositifs d'hébergement ainsi mis en place dans le département des Pyrénées Atlantiques et au niveau national, notamment à l'égard des demandeurs d'asile, pour soutenir que sa carence n'était pas caractérisée. Il en va de même de l'argument selon lequel " l'état de vulnérabilité " des personnes accueillies ne serait pas démontré par la communauté d'agglomération au regard des nombreux éléments produits en ce sens. Or, et alors qu'il appartient seulement à la communauté d'agglomération d'établir l'existence d'une carence avérée et prolongée de l'Etat, outre son préjudice et le lien de causalité, il résulte de l'instruction qu'elle établit suffisamment qu'elle a dû prendre en charge, au titre de sa compétence supplétive, pendant une durée significative l'hébergement d'urgence des migrants sans abri qui affluaient sur son territoire en raison de l'insuffisance des capacités d'accueil non contestée des dispositifs d'hébergement gérés par les services de l'Etat. Dès lors, la carence de l'Etat concernant l'accueil de ces populations en situation de précarité, et notamment leur hébergement d'urgence, doit être regardée comme caractérisée.

6. Il découle de ce qui précède que la communauté d'agglomération Pays basque est fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat en raison de sa propre prise en charge de personnes en situation de précarité relevant de l'hébergement d'urgence, la carence de l'Etat étant avérée et prolongée.

Sur le préjudice :

7. Il résulte de l'instruction qu'en vue d'assurer l'hébergement d'urgence des migrants sans abri transitant sur son territoire, la communauté d'agglomération Pays Basque a tout d'abord, de novembre 2018 à novembre 2019, confié la prise en charge de l'accueil de ces migrants à une association Atherbea qui lui a facturé ses prestations, puis, a assuré seule la gestion du point d'accueil Pausa. La communauté d'agglomération justifie suffisamment et précisément la réalité de son préjudice et son quantum par la production de diverses factures correspondant aux frais d'hébergement et d'entretien de ce centre d'hébergement d'urgence, de tableaux récapitulatifs de dépenses et par la production de l'extrait du grand livre des comptes des dépenses exposées à ce titre durant la période en litige, qui ne sont d'ailleurs pas contestées en défense, pour un montant total de 836 740, 58 euros correspondant à hauteur de 787 660, 58 euros aux dépenses de sécurité, de repas et de nettoyage exposées par l'association Atherbea entre novembre 2018 et septembre 2019, et pour un montant de 49 079 euros, au recrutement en février 2019 d'une personne pour superviser l'organisation du site. Eu égard à l'ensemble des éléments produits, en se bornant à soutenir que la communauté d'agglomération n'établit pas que chaque personne accueillie relevait bien de l'hébergement d'urgence, le ministre ne conteste pas sérieusement la réalité et le montant du préjudice que la communauté d'agglomération invoque. Il y a lieu, par suite, de condamner l'Etat à verser à la communauté d'agglomération Pays Basque cette somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2019.

Sur les frais liés au litige :

8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2000 euros au titre des frais exposés par la communauté d'agglomération Pays basque et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Pau est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la communauté d'agglomération Pays basque la somme de 836 740,58 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2019.

Article 3 : L'Etat versera à la communauté d'agglomération Pays basque une somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Pays basque et au ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure,

Mme Héloise Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 février 2025.

La présidente-assesseure,

Béatrice Molina-Andreo La présidente, rapporteure,

Evelyne Balzamo

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX03111 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22BX03111
Date de la décision : 13/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Evelyne BALZAMO
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : SELARL CABINET CAMBOT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-13;22bx03111 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award