Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 27 octobre 2020 par laquelle le président de la communauté de communes des Savanes l'a affecté à la direction de la commande publique en qualité de chargé de mission marchés publics, et d'enjoindre à l'établissement de prendre toutes les mesures pour le rétablir dans ses droits, de rétablir son régime indemnitaire et de lui rembourser les sommes correspondantes.
Par un jugement n°2100182 du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de la Guyane a annulé la décision du 27 octobre 2020 et a enjoint à la communauté de communes des Savanes de réintégrer l'intéressé dans ses fonctions et de reconstituer sa carrière, à compter du 2 novembre 2020.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 8 février 2023, 16 janvier 2024 et 19 mars 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la communauté de communes des Savanes, représentée par Me Petit, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 15 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a annulé sa décision du 27 octobre 2020 affectant M. B... à la direction de la commande publique en qualité de chargé de mission marchés publics et lui a enjoint de réintégrer l'intéressé dans ses fonctions et de reconstituer sa carrière.
2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête de M. B... devant le tribunal était irrecevable car la note du 27 octobre 2020 constitue une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours dès lors qu'elle ne modifie pas sa rémunération, que le poste correspond à son grade et à ses qualifications et que la décision a été prise dans l'urgence au regard des relations conflictuelles entretenues entre le requérant et sa supérieure hiérarchique ; en outre cette note ne constitue pas une décision mais annonce l'arrêté du 28 octobre suivant notifié le 10 novembre 2020, seule décision pouvant être contestée ;
- la mesure n'était ni constitutive, ni la conséquence d'un harcèlement moral de sa supérieure qui n'a pas excédé les limites de l'exercice de son pouvoir hiérarchique en lui demandant d'exécuter son travail et de respecter les horaires ; les faits doivent être qualifiés de rapports conflictuels réciproques ;
- la mesure a été prise dans l'intérêt de M. B..., afin de le protéger, dans l'urgence, à titre temporaire et dans l'intérêt du service ;
- sur la légalité externe de la note du 27 octobre 2020 : la CCDS n'avait pas à le mettre en mesure de consulter son dossier, et l'a fait, en tout état de cause ; elle n'avait pas davantage à procéder à la déclaration de création du poste sur lequel il a été ré affecté et l'a fait, en tout état de cause.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 juin 2023 et le 17 février 2024, M. B..., représenté par Me Page, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la communauté de communes des Savanes d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la communauté de communes des Savanes n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- Vu la loi du 22 avril 1905, notamment son article 65 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 87-1099 du 30 décembre 1987 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fabienne Zuccarello,
- les conclusions de M. Sébastien Ellie, rapporteur public,
- et les observations de Me Masson, représentant la communauté de communes des Savanes.
Une note en délibéré, présentée pour la CCDS a été enregistrée le 17 janvier 2025.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., attaché principal à la communauté de communes des Savanes (CCDS), a été affecté à compter du 1er décembre 2019 sur le poste de directeur du développement du territoire. Par des courriers des 1er mai, 22 mai et 27 octobre 2020 adressés au président de la CCDS, il a indiqué être victime d'agissements malveillants, constitutifs d'un harcèlement moral, de la part de la directrice générale des services. Par une note du 27 octobre 2020, le président de la CCDS a affecté M. B... à la direction de la commande publique en qualité de chargé de mission marché public sous l'autorité d'une autre supérieure hiérarchique. M. B... a saisi le tribunal administratif de la Guyane d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 27 octobre 2020 ainsi que de la décision rejetant son recours contre cette décision. Par la présente requête, la CCDS demande l'annulation du jugement du 15 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a annulé la décision du 27 octobre 2020 ainsi que la décision de rejet du recours gracieux de M. B....
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Si la circonstance qu'un agent a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral ne saurait légalement justifier que lui soit imposée une mesure relative à son affectation, à sa mutation ou à son détachement, elles ne font pas obstacle à ce que l'administration prenne, à l'égard de cet agent, dans son intérêt ou dans l'intérêt du service, une telle mesure si aucune autre mesure relevant de sa compétence, prise notamment à l'égard des auteurs des agissements en cause, n'est de nature à atteindre le même but.
3. Lorsqu'une telle mesure est contestée devant lui par un agent public au motif qu'elle méconnaît les dispositions précitées, il incombe d'abord au juge administratif d'apprécier si l'agent a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral. S'il estime que tel est le cas, il lui appartient, dans un second temps, d'apprécier si l'administration justifie n'avoir pu prendre, pour préserver l'intérêt du service ou celui de l'agent, aucune autre mesure, notamment à l'égard des auteurs du harcèlement moral.
4. Pour annuler la note du 27 octobre 2020 affectant M. B... à la direction de la commande publique, le tribunal administratif de la Guyane a estimé que cette décision constituait une mutation faisant suite à des faits de harcèlement moral.
5. Toutefois, pour reconnaitre des faits constitutifs de harcèlement moral à l'égard de M. B..., le tribunal administratif de la Guyane s'est fondé sur la circonstance que l'intéressé aurait été violement interpellé le 13 mai 2020 en réunion de direction, ainsi que le 23 octobre 2020 en réunion, le 26 octobre 2020 en présence de collègues, et que sa supérieure lui a adressé des courriels humiliants en mettant en copie des collègues. Cependant, il ressort des pièces du dossier d'appel, et notamment des très nombreux courriels échangés entre M. B... et sa supérieure, que les propos tenus par la directrice selon lesquels " un directeur peut être en même temps chargé de mission ", n'ont pas dépassé le cadre de la discussion professionnelle et s'insèrent dans un contexte de restriction des effectifs de la collectivité et de réorganisation, alors que M. B... demandait des agents supplémentaires pour son service. Quant aux courriels qui contiennent des propos désobligeants à l'égard de l'intéressé et qui sont adressés en copie à d'autres agents, il ressort également des pièces du dossier, d'une part que M. B... agissait de même en adressant ses courriels en copie à d'autres agents, et d'autre part que si ces propos peuvent être tenus pour maladroits ou indélicats, ils s'inscrivent dans un contexte de conflit relationnel entre les intéressés. En effet, peu après son affectation en qualité de directeur du développement du territoire, la directrice générale des services reprochait à M. B... divers manquements professionnels, et notamment ne pas respecter les horaires de travail, ne pas répondre à ses appels, ne pas lui rendre compte de l'avancée des travaux dont il avait la charge, et ne pas gérer son équipe. M. B... quant à lui estimait que son statut de directeur lui permettait des horaires libres, communiquait directement avec les élus et tenait également des propos maladroits et brutaux à l'égard de sa supérieure. Enfin si la directrice générale des services invitait M. B... à trouver d'autres postes s'il pensait ne pas être à la hauteur du sien, ces propos ont été tenus en réponse au courriel de M. B... qui indiquait qu'il était " prêt à rendre son tablier ". Aussi, les faits invoqués par l'intéressé ne sauraient, dans ce contexte conflictuel, être regardés comme ayant excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique et ne sont pas constitutifs de harcèlement moral. Il résulte de ce qui précède, que c'est à tort que le tribunal a annulé la décision du 27 octobre 2020 changeant M. B... d'affectation au motif que cette mutation s'inscrivait dans un contexte de harcèlement moral. Il appartient à la cour, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens invoqués tant en première instance qu'en appel par M. B....
6. En premier lieu, M. B... fait valoir que la mesure qu'il conteste a été prise en méconnaissance de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 selon lequel un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même d'obtenir communication de son dossier. Toutefois, si la mesure en cause peut être regardée comme prise en considération de la personne, la méconnaissance de la loi de 1905 n'a pas, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, privé ce dernier de la garantie érigée à son profit, ni d'avantage exercé une influence sur le sens de la décision. En effet, il ressort des pièces du dossier, d'une part que le dossier de l'intéressé ne contenait aucune pièce relative au conflit, lequel repose sur des courriels échangés entre les protagonistes, sur la base de laquelle la mesure contestée aurait été prise. D'autre part, il ressort des mêmes pièces du dossier que la mesure a été prise dans l'urgence le 27 octobre 2020, en réponse à son courriel du même jour par lequel M. B... indiquait que les faits qu'il subissaient étaient devenus insupportables que " la coupe est pleine (...) Chaque jour je m'attends au pire et il faut mettre un terme à cette situation ". Par suite, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, M. B... n'est pas fondé à soutenir, alors que l'urgence nécessitait son changement d'affectation, que la méconnaissance de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 est de nature à entacher d'illégalité la décision contestée.
7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier qu'alors que M. B... a été affecté en décembre 2019 au poste de directeur du développement du territoire, les relations avec la directrice générale des services se sont rapidement dégradées dès le mois de mars 2020. Il ressort de ces mêmes pièces du dossier, que devant l'ampleur des tensions et leurs conséquences sur le fonctionnement du service, M. B..., a été affecté sur le poste de chargé de mission - marché public. Si ce nouveau poste ne comportait plus de fonctions d'encadrement, son niveau de rémunération n'avait pas baissé et les missions confiées relevaient de son cadre d'emploi. Dans ces conditions, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la CCDS ait eu l'intention de sanctionner M. B..., la décision en litige du 27 octobre 2020 a été prise dans l'intérêt du service afin de mettre fin à une situation préjudiciable au fonctionnement du service, et ne constitue pas une sanction déguisée. La mesure en litige n'est pas davantage entachée d'un détournement de pouvoir. Enfin, à supposer même que la déclaration de vacance du poste de chargé de mission - marché public, n'ait pas été publiée par le centre de gestion, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la mesure de mutation dans l'intérêt du service de M. B....
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la demande de première instance, que la CCDS est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif a annulé la note du 27 octobre 2020 et la décision implicite de rejet du recours gracieux de M. B....
Sur les frais d'instance :
9. La CCDS n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de M. B... tendant à ce qu'une somme soit mise à sa charge en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. B... une somme à verser à la CCDS au titre de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°2100182 du 15 décembre 2022 du tribunal administratif de la Guyane est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de la Guyane est rejetée.
Article 3 : Les conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes des Savanes et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Fabienne Zuccarello, présidente,
M. Nicolas Normand, président assesseur,
Mme Clémentine Voillemot, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025
Le président assesseur,
Nicolas NormandLa présidente-rapporteure
Fabienne Zuccarello
La greffière
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX00364