Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du
13 mai 2024 par lequel le préfet de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel le préfet de la Gironde l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2403136 du 21 mai 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 13 mai 2024 portant assignation à résidence et a rejeté le surplus des demandes de M. C....
Procédure devant la cour administrative d'appel :
Par une requête, enregistrée le 10 juillet 2024, M. C..., représenté par Me Duten, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 mai 2024 en ce qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 13 mai 2024 par lequel le préfet de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de le munir, dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de prendre sans délai toute mesure propre à mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen ;
5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle a été prise par une autorité incompétente, à défaut pour le préfet de justifier d'une délégation de signature régulièrement publiée ;
- elle est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne fait pas état de son ancienneté de présence sur le territoire français, de sa situation familiale et des éléments relatifs à son insertion professionnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ; il vit en France avec l'ensemble de sa famille depuis sept ans et ne dispose plus d'aucun lien en Russie, pays qu'il a dû fuir ; il justifie d'une insertion sociale et professionnelle attestée en particulier par une promesse d'embauche en date du 11 mars 2024 en qualité d'installateur photovoltaïque dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps plein ; la faiblesse de ses revenus s'explique par l'irrégularité de son séjour ; son père est gravement malade et bénéficie d'un titre de séjour au titre de son état de santé ;
- le tribunal n'a pas relevé que la société viticole Activiti's avait présenté une demande de déclaration à l'embauche dès le mois de juin 2019 ;
- en le renvoyant en Russie, où il sera soumis à la conscription obligatoire et devra combattre sur le front ukrainien, elle méconnaît les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 19 de la charte de droits fondamentaux de l'Union européenne ;
En ce qui concerne la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de séjour qui la fonde ;
- il appartiendra au préfet de justifier des démarches administratives effectuées pour l'exécution de la mesure d'éloignement ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu qu'il ne démontrait pas justifier de garanties de représentation suffisantes ; il vit auprès de sa famille et dispose d'une promesse d'embauche actualisée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, à temps complet, pour une rémunération mensuelle brute de 1 766,92 euros ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de séjour qui la fonde ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; c'est à tort que le tribunal a écarté ce moyen en relevant qu'il ne démontrait pas être effectivement soumis à une obligation militaire qui l'amènerait à participer, directement ou indirectement, à la commission de crimes de guerre ;
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
- elle a été prise par une autorité incompétente ;
- le préfet a insuffisamment motivé sa décision et n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation personnelle.
Par une décision du 27 juin 2024, M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les observations de Me Lavallée, représentant M.C....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., ressortissant russe, né le 18 mars 1992, est entré en France le
20 juillet 2017. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides le 22 mars 2018 et par la Cour nationale du droit d'asile le 10 septembre 2018. Par un arrêté du 13 mai 2024, le préfet de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé la Russie comme pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par un second arrêté du même jour, le préfet de la Gironde l'a assigné à résidence dans le département de la Gironde pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 21 mai 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision portant assignation à résidence et a rejeté les conclusions présentées par M. C... tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français sans délai et de l'interdiction de retour sur le territoire français. M. C... relève appel de ce jugement en ce qu'il a rejeté le surplus de sa demande.
2. Il ressort des pièces du dossier que M. C... réside depuis le 20 juillet 2017sur le territoire français, où il vit avec ses parents et son frère. Il y a exercé une activité professionnelle en qualité d'ouvrier agricole entre décembre 2019 et janvier 2020, d'avril à juillet 2020 puis en mai 2022. Par une lettre du 15 août 2021, le gérant d'un domaine viticole s'est déclaré disposé à le recruter compte tenu de ses grandes qualités professionnelles et a également fait état des difficultés de recrutement auxquelles il est confronté. M. C... produit de nombreuses attestations faisant pour la plupart état de ses qualités humaines et des liens amicaux qu'il a pu nouer depuis son arrivée en France et il ressort par ailleurs des pièces du dossier que son père, ressortissant russe atteint du VIH et d'un cancer du poumon, y réside régulièrement sous couvert d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade. En outre, par un arrêt du même jour, la cour a fait droit à la requête d'appel du frère du requérant dirigée contre le refus de séjour et la mesure d'éloignement dont il a fait l'objet le 21 février 2024. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, et compte tenu notamment de la durée de son séjour et des attaches qu'il conserve en France, M. C... est fondé à soutenir que la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
3. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
4. L'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français, implique seulement le réexamen de la situation de M. C... et qu'il soit mis fin à son inscription dans le système d'information Schengen. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de se prononcer sur le droit au séjour de l'intéressé dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte, et de faire procéder à l'effacement du signalement de l'intéressé dans le système d'information Schengen.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État
une somme de 1 200 euros à verser à Me Duten en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2403136 du 21 mai 2024 et l'arrêté du 13 mai 2024 du préfet de la Gironde sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de prendre une décision sur le droit au séjour de M. C... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour et de faire procéder à l'effacement du signalement de l'intéressé dans le système d'information Schengen.
Article 3 : L'État versera à Me Duten une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et à Me Axelle Duten. Une copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
Le rapporteur,
Antoine B...
La présidente,
Catherine Girault, La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24BX01705