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19/12/2024 | FRANCE | N°22BX03008

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 19 décembre 2024, 22BX03008


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... B... et Mme A... E... épouse B... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Martinique à leur verser des indemnités de 24 210,70 en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure D..., de 2 743,03 euros au titre de leurs frais de déplacement, ainsi que de 4 000 euros à M. B... au titre de son préjudice d'affection et de 12 000 euros à Mme B... au titre des souffrances endurées et de s

on préjudice d'affection.



Dans la même instance, la caisse générale de sécur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... et Mme A... E... épouse B... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Martinique à leur verser des indemnités de 24 210,70 en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure D..., de 2 743,03 euros au titre de leurs frais de déplacement, ainsi que de 4 000 euros à M. B... au titre de son préjudice d'affection et de 12 000 euros à Mme B... au titre des souffrances endurées et de son préjudice d'affection.

Dans la même instance, la caisse générale de sécurité sociale de la Martinique a demandé au tribunal de condamner le CHU de Martinique à lui verser la somme de 29 660,19 euros.

Par un jugement n° 2100470 du 6 octobre 2022, le tribunal a condamné le CHU de Martinique à verser à M. et Mme B... des indemnités de 8 215 euros au titre des préjudices de D..., de 736,08 euros au titre de leurs frais de déplacement, ainsi que de 300 euros à M. B... et de 1 500 euros à Mme B... au titre de leur préjudice d'affection, et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 décembre 2022 et un mémoire enregistré le 24 novembre 2023, M. et Mme B..., représentés par Me Jean-Joseph, demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs

demandes ;

2°) de condamner le CHU de Martinique à leur verser des indemnités de 24 210,70

euros en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure D... et de 2 743,03 euros au titre de leurs frais divers, ainsi que de 4 000 euros à M. B... au titre de son préjudice d'affection

et de 12 000 euros à Mme B... au titre des souffrances endurées et de son préjudice d'affection ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Martinique une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Ils soutiennent que :

- le défaut de surveillance fautif dans l'exécution des soins infirmiers retenu par l'expert n'est pas contesté ;

- en ce qui concerne les préjudices de D... :

* les périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par l'expert doivent être évaluées à 4 210,70 euros sur la base de 26 euros par jour de déficit total ; à titre subsidiaire, il est demandé 2 015 euros comme le propose le CHU de Martinique ;

* le préjudice esthétique temporaire doit être indemnisé à hauteur de 12 000 euros,

dont 8 000 euros pour la période à 3,5 sur 7 du 17 janvier au 14 mars 2016 et 4 000 euros pour la période à 2 sur 7 du 15 mars 2016 au 26 octobre 2017 ; la somme de 1 000 euros allouée par le tribunal est inférieure à la proposition de 3 500 euros du CHU ; à tout le moins, l'indemnisation allouée ne saurait être inférieure à 4 000 euros ;

* la somme de 5 200 euros allouée par le tribunal au titre des souffrances endurées est insuffisante et doit être portée à 8 000 euros ;

- Mme B... a présenté un état anxio-dépressif majeur, outre une angoisse extrême lors du diagnostic de la brûlure avec nécessité d'une greffe ; elle est fondée à demander l'indemnisation de ces souffrances, cotées à 3,5 sur 7, à hauteur de 8 000 euros ; par ailleurs, la somme de 1 500 euros allouée au titre de son préjudice d'affection est insuffisante et doit être portée à 4 000 euros ;

- le préjudice d'affection de M. B... n'est pas inférieur à celui de son épouse, alors que tous deux vivent avec leur fille, qu'il a régulièrement rendu visite à l'enfant au CHU de Martinique et qu'il a accompagné son épouse et sa fille en métropole ; la somme de 300 euros allouée par le tribunal doit être portée à 4 000 euros ;

- c'est à tort que le tribunal n'a pas admis les frais de transports en métropole

de 802,87 euros et 1 204,08 euros pour la poursuite des soins de D... ;

- alors que le tribunal ne leur a octroyé aucune somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ils sont fondés à demander 5 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 novembre 2023, le CHU de Martinique, représenté par la SELAS Tamburini-Bonnefoy, conclut au rejet de la requête et demande

à la cour de de mettre à la charge de M. et Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le jugement a été entièrement exécuté par son assureur, lequel a adressé un chèque

de 10 751,08 euros au conseil de M. et Mme B... le 4 novembre 2022 ;

- les sommes allouées par le tribunal au titre des préjudices de D... sont suffisantes ; à titre subsidiaire, l'indemnisation ne saurait excéder 2 015 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire et 3 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, comme il l'a proposé en première instance ;

- les souffrances psychiques endurées par Mme B..., que l'expert a évaluées à 3,5

sur 7, ne relèvent pas d'un préjudice distinct du préjudice d'affection, comme l'a jugé à bon droit le tribunal ;

- alors que l'expert n'a retenu aucun préjudice d'affection pour M. B..., la somme

de 300 euros allouée à ce titre par le tribunal est suffisante ;

- les frais de déplacement du 15 février au 15 mars 2016 et du 7 au 16 juillet 2016

pour une poursuite des soins en métropole sont la conséquence d'un choix purement personnel

de M. et Mme B..., alors que le CHU avait proposé comme option thérapeutique une greffe de peau qui a été validée par l'expert, et que D... a été soignée à plusieurs reprises au CHU après les faits litigieux ; en outre, les soins dispensés en métropole se rapportaient également à la recherche étiologique des épisodes d'hypoglycémie, ce qui est sans lien avec la faute ;

- dès lors qu'il avait présenté à M. et Mme B... une proposition d'indemnisation à laquelle ils n'ont pas donné suite et qu'il ne conteste pas les sommes allouées par le tribunal, la demande présentée par les requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 13 janvier 2016, l'enfant D... B..., âgée de sept mois et demi, a été adressée au service des urgences du CHU de Martinique par son pédiatre traitant pour une crise épileptique d'une durée de 30 minutes, dans un contexte de gastro-entérite aigüe traitée depuis quatre jours. Une hypoglycémie sévère a été diagnostiquée, et l'enfant a été hospitalisée dans le service de pédiatrie pour traitement et bilan étiologique. Un sérum glucosé à 5 % lui a été administré par voie veineuse périphérique sur le dos de la main gauche, remplacé le 14 janvier 2016 par un sérum glucosé hypertonique à 10 % en raison d'une récidive de l'hypoglycémie. Le 17 janvier au matin, l'infirmière a constaté que le liquide hypertonique avait fortement diffusé, entraînant un important œdème et des troubles de la vascularisation au niveau de la main et de l'avant-bras. Une nécrose cutanée et sous-cutanée de la face dorsale de la main gauche s'est constituée dans les jours suivants, ce qui a nécessité une intervention chirurgicale, réalisée le 29 janvier. Lors d'une consultation externe le 11 février 2016, le chirurgien a indiqué aux parents qu'une greffe cutanée était programmée pour le 15 février. Ils ont alors pris rendez-vous au centre de traitement des brûlures de l'hôpital Trousseau à Paris, où la prise en charge a permis d'aboutir à une cicatrisation complète, constatée le 14 mars 2016.

2. M. et Mme B..., parents de D..., ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique d'une demande d'expertise, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 5 octobre 2017. Dans son rapport déposé le 9 janvier 2019, l'expert a retenu un manquement fautif dans l'exécution des soins infirmiers, à l'origine de la nécrose cutanée du dos de la main gauche. M. et Mme B..., qui n'ont pas accepté la proposition d'indemnisation du CHU de Martinique, ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner cet établissement à leur verser des indemnités de 24 210,70 en leur qualité de représentants légaux

de D..., de 2 743,03 euros au titre de leurs frais de déplacement, ainsi que de 4 000 euros

à M. B... au titre de son préjudice d'affection et de 12 000 euros à Mme B... au titre des souffrances endurées et de son préjudice d'affection. Par un jugement du 6 octobre 2022 dont ils relèvent appel, le tribunal a condamné le CHU de Martinique à leur verser des indemnités

de 8 215 euros au titre des préjudices de D..., de 736,08 euros au titre de leurs frais

de déplacement, ainsi que de 300 euros à M. B... et de 1 500 euros à Mme B... au titre de leur préjudice d'affection, a mis les frais d'expertise à la charge du CHU, et a rejeté le surplus de leurs demandes.

Sur la responsabilité :

3. Selon l'expertise, la règle générale dans les services de pédiatrie, en l'absence de protocole écrit, est de surveiller régulièrement la région perfusée qui doit rester en vue et palpée, et en l'espèce, le jeune âge de l'enfant, le site de perfusion sur la veine du dos de la main et le liquide hypertonique majoraient fortement le risque de diffusion extravasculaire, ce qui nécessitait une surveillance renforcée. Alors que l'enfant avait pleuré toute la nuit du 16 au 17 janvier sans cause retrouvée et que l'œdème était majeur le 17 janvier au matin, l'expert a conclu que l'absence de constatation plus précoce de la diffusion de la perfusion était imputable à un défaut de surveillance fautif, ce qui n'est pas contesté.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices de D... :

4. L'expert a retenu un déficit fonctionnel de 100 % durant l'hospitalisation du 17 au

29 janvier 2016 nécessitée par la prise en charge de la blessure à la main, de 25 % du 30 janvier au 14 mars 2016 correspondant à la phase de cicatrisation, puis de 10 % jusqu'à la consolidation sans séquelle au 27 octobre 2019. Il y a lieu de porter l'indemnisation de ce préjudice

à 3 129 euros sur la base de 20 euros par jour de déficit total.

5. Le préjudice esthétique temporaire, caractérisé par le port d'un pansement puis

d'un gant en permanence, a été coté à 3,5 sur 7 du 17 janvier au 14 mars 2016, puis à 2 sur 7 jusqu'au 26 octobre 2017. Alors que le juge n'est pas tenu par l'évaluation à 3 500 euros que le CHU avait admise lors de la procédure amiable à laquelle M. et Mme B... n'ont pas donné suite, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en portant son indemnisation à 2 000 euros.

6. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation des souffrances endurées, évaluées à 3,5 sur 7, en fixant leur indemnisation à 5 200 euros.

En ce qui concerne les préjudices de M. et Mme B... :

7. Outre les frais de déplacement de 736,08 euros pour se rendre à la réunion d'expertise, que le tribunal a admis, M. et Mme B... sollicitent l'indemnisation de ceux qu'ils ont exposés pour se rendre à Paris du 15 février au 15 mars 2016 et du 7 au 16 juillet 2017. Il résulte de l'instruction qu'en février 2016, M. et Mme B... ont demandé et obtenu une prise en charge au centre de traitement des brûlures de l'hôpital Trousseau afin d'éviter à leur enfant la greffe cutanée programmée par le CHU de Martinique, lequel n'envisageait pas de poursuivre

la tentative d'obtenir une cicatrisation spontanée. Si le séjour en métropole du 15 février

au 15 mars 2016 a aussi été l'occasion d'un bilan de l'hypoglycémie qui a permis de poser un diagnostic d'hyperinsulinisme congénital, il correspond à la prise en charge de la plaie à l'hôpital Trousseau jusqu'à la cicatrisation. Il y a donc lieu d'admettre le coût des billets d'avion

de 802,87 euros. En revanche, la demande relative au voyage en métropole du 7 au 16 juillet 2017 ne peut être accueillie dès lors que la nécessité d'un suivi à l'hôpital Trousseau après

la cicatrisation n'est pas démontrée. Les frais de déplacement doivent ainsi être fixés

à 1 538,95 euros.

8. Il résulte de l'instruction que Mme B..., notamment très affectée par l'état de la main de sa fille âgée de sept mois et demi et par la perspective d'une greffe de peau, a présenté un état anxio-dépressif et a été placée en congé de longue maladie durant six mois à compter du 13 janvier 2016, en lien avec " les difficultés médicales rencontrées " par D..., comme en atteste la psychologue qui l'a prise en charge. Alors que le diagnostic d'hyperinsulinisme congénital a nécessairement eu une incidence sur les souffrances psychiques endurées par Mme B..., cotées par l'expert à 3,5 sur 7, la part de ce préjudice en lien avec la seule blessure de la main gauche peut être évaluée à 1 000 euros. Par ailleurs, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de Mme B... en fixant son indemnisation à 1 500 euros.

9. La circonstance que le rapport d'expertise indique que les éventuels préjudices

par ricochet du père et du frère de D... n'ont pas été renseignés est sans incidence sur le fait que M. B... a nécessairement subi un préjudice d'affection, dont il sera fait une juste appréciation en portant son indemnisation à 1 500 euros.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... sont seulement fondés à demander que les sommes que le CHU de Martinique a été condamné à leur verser soient portées à 10 329 euros au titre des préjudices de D..., à 1 538,95 euros au titre des frais de déplacement, à 2 500 euros au titre des préjudices de Mme B... et à 1 500 euros au titre du préjudice d'affection de M. B....

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Martinique une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le CHU, qui est la partie perdante, n'est pas fondé à demander l'allocation d'une somme au titre des frais qu'il a exposés à l'occasion du présent litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Les sommes que le CHU de Martinique a été condamné à verser à M. et Mme B... sont portées à 10 329 euros au titre des préjudices de D..., à 1 538,95 euros au titre des frais de déplacement, à 2 500 euros au titre des préjudices de Mme B... et à 1 500 euros au titre du préjudice d'affection de M. B....

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique n° 2100470 du 6 octobre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le CHU de Martinique versera à M. et Mme B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B... et Mme A... E... épouse B..., au centre hospitalier universitaire de la Martinique et à la caisse générale de sécurité sociale de la Martinique.

Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.

La rapporteure,

Anne C...

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX03008


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX03008
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : JEAN-JOSEPH

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;22bx03008 ?
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