Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de La Réunion à lui verser une somme totale de 30 000 euros, au titre des préjudices subis du fait de son exposition à l'amiante dans le cadre des activités professionnelles qu'il a exercées au sein de l'aéroport Roland Garros au cours des années 2000 à 2009.
Par un jugement n° 2101003 du 15 février 2023, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 avril 2023, M. B..., représenté par le cabinet Teissonière Topaloff Lafforgue Andreu et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 15 février 2023 ;
2°) de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de La Réunion à lui verser une somme totale de 30 000 euros, au titre des préjudices subis du fait de son exposition à l'amiante dans le cadre des activités professionnelles qu'il a exercées au sein de l'aéroport Roland Garros au cours des années 2000 à 2009, avec intérêts et capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de la CCI de La Réunion une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'il démontre avoir été exposé de façon habituelle à l'amiante entre 2000 et 2009 et justifie d'un préjudice moral d'anxiété et de troubles dans les conditions d'existence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2023, la CCI de La Réunion, représentée par Me Avril, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la créance est prescrite au regard de l'article L. 1471-1 du code du travail ;
- la jurisprudence relative à la prescription des créances liées au préjudice d'anxiété en raison d'une exposition à l'amiante est transposable à sa situation ;
- le requérant n'apporte pas d'éléments personnels et circonstanciés démontrant son préjudice d'anxiété alors que son exposition a été occasionnelle pendant un an et sporadique jusqu'en 2009 et qu'il disposait d'un masque à poussières lors de son exposition.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;
- le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Clémentine Voillemot,
- et les conclusions de M. Sébastien Ellie, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., a été employé par la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion, à compter du 13 juin 2000, en qualité de menuisier puis de technicien de maintenance et a été mis à disposition de la société aéroportuaire de La Réunion Roland Garros à l'été 2011. M. B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de La Réunion à lui verser une somme totale de 30 000 euros, au titre des préjudices subis du fait de son exposition à l'amiante dans le cadre des activités professionnelles qu'il a exercées au sein de l'aéroport Roland Garros au cours des années 2000 à 2009. Il relève appel du jugement du tribunal administratif de La Réunion du 15 février 2023 rejetant sa requête.
2. La personne qui recherche la responsabilité d'une personne publique en sa qualité d'employeur et qui fait état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de l'exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Dès lors qu'elle établit que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves, la personne a droit à l'indemnisation de ce préjudice, sans avoir à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave.
3. Doivent ainsi être regardées comme faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir qu'elles ont été exposées à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de leur espérance de vie, dont la conscience suffit à justifier l'existence d'un préjudice d'anxiété indemnisable, les personnes qui justifient avoir été, dans l'exercice de leurs fonctions, conduites à intervenir sur des matériaux contenant de l'amiante et, par suite, directement exposées à respirer des quantités importantes de poussières issues de ces matériaux.
4. Le montant de l'indemnisation du préjudice d'anxiété prend notamment en compte, parmi les autres éléments y concourant, la nature des fonctions exercées par l'intéressé et la durée de son exposition aux poussières d'amiante.
5. Il résulte de l'attestation d'exposition à l'amiante du 4 juillet 2017 que M. B... a été exposé à l'amiante, malgré le port d'un masque à poussières, en qualité de menuisier, de façon occasionnelle de 2000 à 2001 en effectuant des travaux de maintenance tels que la découpe de fibro ciment, la réparation des cloisons, de faux plafond, de revêtement de sol de type dalfex et, de façon sporadique de 2000 à 2009 pour des travaux de découpage et de percement de carrelage de marbre contenant de l'amiante d'origine géographique. Ainsi, au regard des fonctions occupées, des travaux effectués et de la durée de neuf années d'exposition, M. B... justifie avoir été, dans l'exercice de ses fonctions, conduit à intervenir sur des matériaux contenant de l'amiante et, par suite, directement exposé à respirer des quantités importantes de poussières issues de ces matériaux et doit être regardé comme faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir qu'il a été exposé à un risque élevé de pathologie grave et de diminution de son espérance de vie, dont la conscience suffit à justifier l'existence d'un préjudice d'anxiété indemnisable. Dès lors, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande d'indemnisation de son préjudice moral.
6. Au regard des fonctions exercées et de son exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante de façon occasionnelle pendant un an et de façon sporadique pendant neuf ans, il serait fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en fixant à 2 000 euros l'évaluation du préjudice moral subi par M. B..., tous intérêts compris.
7. En revanche, en produisant une attestation de sa conjointe et les résultats d'un scanner thoracique effectué en 2019, M. B... ne justifie pas être soumis à un suivi médical post-professionnel, dont la fréquence éventuelle des contrôles serait telle qu'elle entraînerait pour lui un trouble dans ses conditions d'existence, ni éprouver une détresse telle qu'elle témoigne d'une perte d'élan vital accompagnée de perturbation dans son projet de vie. Dans ces conditions, c'est à juste titre que le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande d'indemnisation au titre de ce préjudice.
8. La CCI de La Réunion fait valoir que la créance de M. B... est prescrite en invoquant l'article L. 1471-1 du code du travail, et reprend en appel, sans invoquer d'éléments de fait ou de droit nouveaux par rapport à l'argumentation développée en première instance et sans critiquer utilement la réponse qui a été apportée par le tribunal administratif sur ce point. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à obtenir l'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 2 000 euros.
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la CCI de La Réunion une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée sur ce fondement par la CCI de La Réunion.
DECIDE :
Article 1er : La CCI de La Réunion est condamnée à verser à M. B... une somme de 2 000 euros, tous intérêts compris, en réparation de son préjudice moral.
Article 2 : Le jugement du 15 février 2023 du tribunal administratif de La Réunion est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : La CCI de La Réunion versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la CCI de La Réunion présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Nicolas Normand, président-assesseur,
Mme Clémentine Voillemot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2024.
La rapporteure,
Clémentine VoillemotLa présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en ce qui le concerne, et à tous commissaire de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01065