Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... D... et M. B... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler l'arrêté du 23 octobre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé à Mme A... D... la délivrance d'un titre de séjour, et, d'autre part, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un jugement n° 2306660 du 23 mai 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande d'annulation et a jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité présentée par Mme A... D....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 juillet 2024, Mme A... D... et M. B..., représentés par Me Saint-Martin, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 23 mai 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 octobre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé à Mme A... D... la délivrance d'un titre de séjour ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler dans le délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou à défaut de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire au séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
Sur la régularité du jugement :
- en indiquant qu'elle n'est pas entrée régulièrement, le tribunal a commis une erreur de fait, une erreur de droit et une erreur d'appréciation entachant le jugement d'irrégularité.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
- c'est à tort que le tribunal n'a pas transmis cette question qui présentait un caractère sérieux, les dispositions de l'article L.423-2 portant atteinte au principe d'égalité et au respect de la vie privée et familiale ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
- l'arrêté est insuffisamment motivé et entaché d'un défaut d'examen réel et sérieux de la situation personnelle de Mme A... D... ;
- il est entaché d'une erreur de fait liée à l'ancienneté de sa présence en France et de la vie commune avec son époux ;
- il est entaché d'une erreur d'appréciation ;
- il méconnaît les articles L. 423-1, L. 423-2 et L. 423-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- il méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les articles L. 412-1, L .423-1 et L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction actuelle, portent une atteinte manifestement disproportionnée et discriminatoire, en violation des stipulations des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au droit au respect de la vie privée et familiale des ressortissants français mariés avec un étranger dans un état tiers, ainsi qu'à celui du conjoint étranger du ressortissant français.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 septembre 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il s'en remet à son mémoire de première instance.
Par un mémoire distinct enregistré le 23 juillet 2024, Mme C... A... D... et M. B... contestent le refus opposé par le tribunal administratif de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité et réitèrent devant la cour la demande de Mme A... D..., présentée en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021.
Ils soutiennent que :
- la question prioritaire de constitutionnalité est présentée par mémoire distinct ;
- l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont inconstitutionnelles, est applicable au litige ;
- ces dispositions n'ont pas fait l'objet d'une déclaration de conformité à la Constitution par le Conseil Constitutionnel ;
- la question prioritaire de constitutionnalité soulevée n'est pas dépourvue de caractère sérieux, au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance de 1958 ;
- les dispositions de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont contraires au principe d'égalité devant la loi protégé par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 dès lors qu'elles instituent une différence de traitement selon que le mariage a été célébré en France ou à l'étranger ;
- elles sont contraires au droit au respect de la vie privée et familiale normale ainsi qu'au droit au respect de la vie privée, garantis par la Constitution et plus précisément par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946, dès lors qu'elles obligent le ressortissant conjoint de français a retourner dans son pays d'origine pour demander un visa de long séjour, impliquant des démarches longues, complexes et couteuses ;
- la question à transmettre au Conseil d'Etat doit être formulée en ces termes : les dispositions de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en sa version actuelle issue de la loi n°2021-1109 du 24 août 2021, en ce qu'elles excluent les conjoints de français dont le mariage a été célébré hors de France, quand bien même ce dernier aurait été retranscrit sur les registres d'état civil français, du bénéfice de la dérogation à la présentation d'un visa de long séjour pour l'obtention d'une première carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, portent-elles atteinte au principe constitutionnel d'égalité ainsi qu'au droit au respect de la vie privée et au droit à mener une vie familiale normale des citoyens français mariés à l'étranger et de leur conjoint étranger '.
Le mémoire distinct a été régulièrement communiqué au préfet de la Gironde, qui n'a pas présenté de mémoire en défense sur la question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance du 21 août 2024, la clôture de l'instruction a été fixée le 27 septembre 2024 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-brésilien du 28 mai 1996, publié par le décret n° 96-664 du 22 juillet 1996 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Caroline Gaillard,
- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,
- et les observations de Me Choplin substituant Me Saint-Martin, représentant Mme A... D... et M. E... B..., présents à l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... D..., ressortissante brésilienne née en 1985, a épousé au Brésil le 19 juillet 2019 M. E... B..., citoyen français. Le mariage a été transcrit sur les registres de l'état civil français le 29 décembre 2022. Elle est, selon ses déclarations, entrée en France en 2019 après être régulièrement arrivée dans l'espace Schengen par le Portugal cette même année, en compagnie de son époux. Elle a déposé le 14 avril 2022 une première demande de titre de séjour qui n'a pas été instruite en raison d'un dossier incomplet, puis une seconde demande sur le fondement des articles L. 423-1, L. 423-2 et L. 423-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour par un arrêté en date du 23 octobre 2023. Mme A... D... a alors demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler cet arrêté préfectoral du 23 octobre 2023, et, d'autre part, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle relève appel du jugement par lequel ce tribunal a rejeté sa demande d'annulation et a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant lui, et réitère sa demande de transmission par mémoire distinct.
Sur la régularité du jugement :
2. Si la requérante soutient qu'en indiquant qu'elle n'est pas entrée régulièrement sur le territoire français, le tribunal a commis une erreur de fait, une erreur de droit et une erreur d'appréciation, cette circonstance relève du bien-fondé du jugement et, par suite, ne l'entache pas d'irrégularité.
Sur les conclusions dirigées contre le refus de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité :
3. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. (...) ". Aux termes de l'article 23-2 de ladite ordonnance : " (...) Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige. ". Aux termes de l'article R. 771-12 du code de justice administrative : " Lorsque, en application du dernier alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, l'une des parties entend contester, à l'appui d'un appel formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le premier juge, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai d'appel dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un tribunal administratif a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion du recours formé contre le jugement qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, que le refus de transmission précédemment opposé l'ait été par une décision distincte du jugement, dont il joint alors une copie, ou directement par ce jugement. Saisie de la contestation de ce refus, la cour procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
5. Par un mémoire distinct produit en appel, Mme A... D... conteste le refus des premiers juges de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Aux termes de l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1 ". Aux termes de l'article L. 423-1 du même code : " L'étranger marié avec un ressortissant français, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an lorsque les conditions suivantes sont réunies : / 1° La communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; / 2° Le conjoint a conservé la nationalité française ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 : " L'étranger, entré régulièrement et marié en France avec un ressortissant français avec lequel il justifie d'une vie commune et effective de six mois en France, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".
7. Mme A... D... persiste à soutenir en appel que les dispositions précitées de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui réservent la dispense de la production d'un visa de long séjour aux conjoints de français ayant célébré leur mariage en France, empêchent un étranger ayant célébré son mariage à l'étranger de se prévaloir de la réalité de sa vie commune en France depuis plus de six mois et de la transcription à l'état civil de son acte de mariage, sont inconstitutionnelles en ce qu'elles sont contraires au principe d'égalité devant la loi inscrit à l'article 1er de la Constitution de 1958 ainsi qu'au respect du droit de mener une vie privée et familiale normale découlant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ces dispositions législatives, applicables au litige, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
8. En premier lieu, il est constant que le législateur a prévu de nombreuses garanties attachées à la célébration du mariage en France au regard notamment des possibilités offertes à l'administration française par les dispositions des articles 63 et 175-2 du code civil pour prévenir les fraudes, les mariages forcés et les mariages de complaisance. Si la requérante se prévaut de l'encadrement juridique lié à la procédure de transcription sur les registres de l'état civil de l'acte de mariage célébré à l'étranger, issu de la loi du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages, qui a instauré, en vue de l'obtention de la transcription du mariage, des formalités comparables à celles exigées pour les mariages célébrés en France, telles que l'article 171-2 du code civil qui exige que les futurs époux obtiennent de l'autorité diplomatique ou consulaire un certificat de capacité à mariage, la délivrance de ce document étant subordonnée à l'accomplissement des mêmes formalités que celles prévues par l'article 63 du code civil pour la célébration d'un mariage en France, ou encore telles que l'article 171-4 qui prescrit à l'autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente de saisir le procureur de la République dans le cas où des indices sérieux laissent présumer que le mariage encourt la nullité, de telles formalités, bien que constituant des garanties indéniables pour lutter contre la fraude, demeurent incomplètes. Ainsi, notamment, il résulte de l'article 171-7 du code civil que la circonstance que le mariage ait été célébré à l'étranger sans que le certificat de capacité n'ait été délivré ne fait pas définitivement obstacle à sa transcription sur le registre de l'état civil. De même, selon l'article 171-8 du même code, si le procureur de la République saisi par l'autorité diplomatique ou consulaire en raison d'indices laissant présumer un mariage frauduleux ne s'est pas prononcé dans le délai de six mois, l'autorité est tenue de transcrire l'acte. Il s'ensuit que la différence de traitement des étrangers tenant à l'obligation ou à la dispense de production d'un visa de long séjour en fonction du lieu de célébration du mariage est justifiée par l'objectif d'intérêt général de lutter contre les mariages forcés ou de complaisance, ainsi que contre l'obtention frauduleuse d'actes d'état civil étrangers, et est en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.
9. En second lieu, les circonstances tenant au coût, à la relative complexité ou à la durée des démarches matérielles à accomplir pour l'obtention d'un visa de long séjour telles que le retour temporaire de l'intéressé dans son pays d'origine, compte tenu des raisons d'intérêt général ci-dessus évoquées qui justifient une telle obligation, ne peuvent être regardées comme portant une atteinte disproportionnée au droit de mener une vie familiale normale notamment garanti par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
10. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité présentée par Mme A... D... est dépourvue de caractère sérieux. Dans ces conditions, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal n'a pas fait droit à sa demande de transmission de sa question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
11. En premier lieu, la requérante reprend en appel, dans des termes similaires et sans critique utile du jugement, ses moyens de première instance tirés du défaut de motivation de la décision litigieuse et de l'absence d'examen réel et sérieux de sa situation, au soutien desquels elle n'apporte aucun élément de droit ou de fait nouveau. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges.
12. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger marié avec un ressortissant français, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an lorsque les conditions suivantes sont réunies : / 1° La communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; / 2° Le conjoint a conservé la nationalité française ; / 3° Lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, il a été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ". Aux termes de l'article L. 423-2 du même code : " L'étranger, entré régulièrement et marié en France avec un ressortissant français avec lequel il justifie d'une vie commune et effective de six mois en France, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". Aux termes de l'article L. 412-1 de ce même code : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1. ". D'autre part, aux termes de l'accord franco-brésilien du 28 mai 1996, publié par le décret n° 96-664 du 22 juillet 1996 : " 1. Les ressortissants de la République fédérative du Brésil auront accès au territoire européen de la République française sans visa, sur présentation d'un passeport national diplomatique, officiel, de service ou ordinaire en cours de validité, pour des séjours d'une durée maximale de trois mois par période de six mois. / (...) ".
13. Il résulte de ces dispositions que la requérante, dispensée de visa de court séjour pour pénétrer sur le territoire français, a pu régulièrement entrer sur ce territoire munie de son passeport en décembre 2019, comme d'ailleurs l'indique le préfet de la Gironde dans l'arrêté litigieux.
14. Mme A... D..., ressortissante brésilienne née en 1985, a épousé au Brésil le 19 juillet 2019 M. E... B..., citoyen français. Le mariage a été transcrit sur les registres de l'état civil français le 29 décembre 2022. Elle est, selon ses déclarations, entrée en France en 2019 après être régulièrement arrivée dans l'espace Schengen par le Portugal cette même année, en compagnie de son époux. Elle a déposé le 14 avril 2022 une première demande de titre de séjour qui n'a pas été instruite en raison d'un dossier incomplet, puis une seconde demande sur le fondement des articles L. 423-1, L. 423-2 et L. 423-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour par un arrêté en date du 23 octobre 2023. Toutefois, la requérante ne remplissait pas les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 423-1 et L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors, d'une part, qu'elle était démunie du visa de long séjour exigible selon l'article L. 412-1 du même code et, d'autre part, que, bien qu'entrée régulièrement en France, elle ne pouvait prétendre à une régularisation sur place en application de l'article L. 423-2, son mariage n'ayant pas été célébré en France. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 423-1 et L. 423-2 précités doit être écarté.
15. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14 (...) ".
16. Si la requérante se prévaut de son union avec un ressortissant français qu'elle a épousé en 2019 au Brésil, elle ne fait toutefois état d'aucune circonstance exceptionnelle ou motif humanitaire justifiant son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale en application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
17. En sixième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ". Aux termes de l'article 14 de cette même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
18. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des factures et quittances de loyers produites, que la requérante ne justifie de la vie commune avec son époux que depuis l'année 2021 alors que leur mariage a été célébré en 2019. Si elle produit de nombreuses attestations, et notamment en appel une attestation du maire de la commune de Castelnau de Médoc, indiquant qu'elle réside avec son époux en 2024 et une attestation d'un propriétaire indiquant qu'elle résidait avec son époux depuis 2020, ces pièces ne permettent pas de l'établir alors que son passeport révèle qu'elle fait de nombreux aller-retours entre la France et le Brésil. En outre, elle ne justifie pas de son intégration en France et n'est pas dépourvue de lien dans son pays d'origine où elle a résidé jusqu'à l'âge de 34 ans et où demeure sa famille dont ses deux enfants mineurs. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions de séjour en France de l'intéressée, l'arrêté attaqué, qui n'est pas entaché d'erreur de fait quant à l'ancienneté de sa présence sur le territoire français ni à la durée de vie commune, n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris et n'a, dès lors, pas méconnu les dispositions des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni celles de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La décision attaquée n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme A... D....
19. Enfin, la requérante soutient que la circonstance que les dispositions des articles L. 412-1 et L. 423-1 exigent de la part d'un ressortissant étranger marié à un français qu'il entre sur le territoire muni d'un visa long séjour, alors que les dispositions de l'article L. 423-2 de ce même code exempte le ressortissant étranger ayant épousé un ressortissant français sur le territoire national, constitue une discrimination au sens de l'article 14 de convention européenne des droits de l'homme et sont contraires à l'article 8 de la même convention. Cependant, ainsi qu'il a été dit, les demandeurs ayant célébré leur mariage en France et ceux ayant célébré leur mariage à l'étranger ne se trouvent pas dans une situation comparable dès lors qu'ils ne sont pas soumis aux mêmes garanties, ni aux mêmes règles et interdictions s'agissant notamment du droit à la polygamie, à l'existence de mariage de complaisance ou de mariage forcé. Par suite, l'exception d'inconventionnalité doit être écartée.
20. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête en tant qu'elle est présentée par M. B..., que Mme A... D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
21. Le présent arrêt, qui rejette l'ensemble des conclusions de la requête, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction doivent être également rejetées.
Sur les frais liés au litige :
22. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par Mme A... D... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité opposé à Mme A... D... par le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 2 : La requête de Mme A... D... est rejetée pour le surplus.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D..., à M. F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
M. Stéphane Guéguein, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 décembre 2024.
La rapporteure,
Caroline Gaillard
La présidente,
Karine Butéri
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24BX01771