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11/12/2024 | FRANCE | N°22BX03007

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 6ème chambre, 11 décembre 2024, 22BX03007


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'EARL Mauro Jean-Christophe a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision n° 100823 du 22 juillet 2020 par laquelle la société Ecocert France a rejeté son recours gracieux dirigé contre la décision du 5 février 2020 portant déclassement de

1 300 hectolitres (hl) de vin destinés à la vente en vrac et de condamner cette société à lui verser la somme globale de 140 906 euros en réparation des préjudices causés par cette décision.
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Par un jugement n° 2003488 en date du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'EARL Mauro Jean-Christophe a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision n° 100823 du 22 juillet 2020 par laquelle la société Ecocert France a rejeté son recours gracieux dirigé contre la décision du 5 février 2020 portant déclassement de

1 300 hectolitres (hl) de vin destinés à la vente en vrac et de condamner cette société à lui verser la somme globale de 140 906 euros en réparation des préjudices causés par cette décision.

Par un jugement n° 2003488 en date du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 6 décembre 2022 et le 3 mai 2023, l'EARL Mauro Jean-Christophe, représentée par la SELARL Thibault Laforcade, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 octobre 2022 ;

2°) d'annuler la décision n° 100823 du 22 juillet 2020 de la société Ecocert France ;

3°) de condamner la société Ecocert France à lui verser la somme totale de 140 906 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de cette décision ;

4°) de mettre la somme de 4 500 euros à la charge de la société Ecocert France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la recevabilité de la requête :

- sa requête d'appel est suffisamment motivée ; elle a procédé à une simplification de ses écritures de première instance et ne soulève aucun autre moyen que ceux développés dans ses écritures en appel.

S'agissant de la régularité du jugement :

- le jugement attaqué méconnait les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- le jugement est entaché d'insuffisance de motivation.

S'agissant des conclusions à fin d'annulation :

- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure ; la société Ecocert France a adopté une décision expresse de rejet le 3 juin 2020 alors qu'une décision implicite de rejet était déjà née à la suite du silence de deux mois ayant suivi la réception de son recours gracieux du 18 février 2020 ;

- la décision du 22 juillet 2020 de rejet du recours gracieux est entachée d'un vice de forme ; l'enveloppe par laquelle elle a reçu notification de cette décision comportait plusieurs pages blanches revêtues de la même signature que celle figurant à la fin de cette décision ; aucun élément ne permet donc de vérifier que la décision a été signée en connaissance de cause par la personne désignée comme son auteure ;

- la décision du 3 juin 2020 n'a pas été signée ;

- la décision s'appuie sur le manquement n° 6 du catalogue des manquements de l'INAO et non sur le n° 26 retenu dans les conclusions certificatives du 5 février 2020 ;

- compte tenu du niveau des pollutions atteint en août 2019, la société Ecocert France aurait dû procéder à des investigations complémentaires ainsi que le prévoit son plan de contrôle ; elle n'a jamais soutenu avoir sollicité une contre-analyse ;

- selon l'article 91 du RCE 889/2008, un " déclassement " est conditionné par les preuves d'une contamination évitable ; en l'absence de preuves, le " maintien en bio " est automatique d'un point de vue certificatif ; si aucune source de contamination n'est mise en évidence, les lots doivent être remis dans le circuit biologique selon le diagramme du Plan d'inspection de la société Ecocert France ;

- l'organisme certificateur Ecocert France a manqué à ses obligations, prévues notamment par son plan de contrôle ; les valeurs analytiques relevées lors du premier signalement de juillet 2019 étant inférieures à la limite maximale de résidus (LMR) et au-dessus du seuil d'investigation (AL), elles auraient dû le conduire à réaliser des analyses complémentaires sur quinze molécules listées par le plan de contrôle ; il aurait dû diligenter des investigations complètes afin de connaître l'étendue réelle de la contamination, s'assurer à la fois de la pertinence des résultats analytiques avant de procéder au second audit, et les rendre opposables à l'opérateur ; la société Ecocert France s'est contentée d'une analyse sur pieds de raisins par l'exploitant pour conclure à une contamination d'origine périphérique et au maintien de la certification ; elle a relancé la commercialisation de son lot en AB, notamment auprès de deux négociants, sans penser que les résultats pouvaient être considérés comme incomplets ;

- les nouveaux résidus identifiés par la société Ecocert France lors des nouvelles investigations sont ceux qu'elle aurait déjà dû trouver en 2019 ; le plan de contrôle prévoit (p. 151) qu'il appartenait à l'organisme d'exiger de l'opérateur de réaliser des investigations complémentaires dans un délai de quinze jours ;

- le second audit a été mené irrégulièrement ; la décision du 5 février 2020 repose uniquement sur les résultats d'analyses émanant de la société La Fiée des Lois, seul document établissant un dépassement du seuil OL ; cette analyse n'a jamais été produite et est absente des conditions d'audit ; elle aurait dû se voir appliquer le paragraphe du plan de contrôle concernant les résultats d'analyses réalisés par l'opérateur ou un tiers ;

- l'analyse réalisée à la demande de la société La Fiée des Lois n'était pas représentative de la réalité du lot de vin en stock dans ses locaux ni de celle du vin stocké dans le chai de

l'EARL Mauro ; de cette analyse partielle, la société Ecocert France a considéré acquise et homogène, à tort, la contamination du lot audité en août ; la seule analyse valable est celle réalisée par la société GIRPA qui ne constate aucun dépassement du seuil OL, avec application de l'incertitude sur la mesure, et en l'absence de preuve quant au caractère évitable de la contamination, le maintien en bio aurait dû être prononcé, en application du point " 7-1 Valeurs seuils " du plan de contrôle ;

- la décision est entachée d'une erreur de droit ; la ligne 26 du catalogue des mesures sanctionnant les manquements en AB prévoit que le déclassement ne peut intervenir qu'en cas de récidive ; le 1er manquement ne peut donner lieu qu'à un avertissement ;

- la décision de déclassement ne peut intervenir qu'en cas de manquement du producteur à ses obligations de moyen ; la société Ecocert France ne s'est fondée que sur les résultats analytiques alors que l'INAO fait obligation à l'organisme certificateur de renforcer son investigation pour établir qu'il y a un manquement aux obligations de moyens et pour y associer, selon le cas de figure prévu dans le catalogue de manquements et de sanction, la conclusion certificative adéquate ; la société Ecocert France s'est contentée de conclure que les résultats n'étaient pas compatibles avec une contamination tout en reconnaissant n'avoir pu établir l'origine de cette dernière ; les textes indiquent clairement qu'aucun niveau de contamination n'est incompatible avec une certification AB ;

- les résultats d'analyses de son vin sont justifiés par des contaminations des vins bio liées au voisinage, notamment du fait du printemps 2018 particulièrement pluvieux, comme le constate la société Ecocert France ; l'ATMO, organisme agréé par l'Etat et contrôlant la qualité de l'air, estimait que les fongicides étaient quatre fois supérieurs en 2018 par rapport à 2017 ; en raison de cette contamination, la société Ecocert France aurait dû appliquer un coefficient correcteur, comme cela est la norme ;

S'agissant des conclusions indemnitaires :

- la société Ecocert France a fait preuve de légèreté dans l'exercice de ses missions ; un second audit et un déclassement du lot litigieux mettant en péril l'exploitation n'auraient pas été nécessaire si elle n'avait pas été défaillante lors de son premier audit en se dispensant de réaliser une analyse complète de contrôle alors qu'elle était en présence d'une contamination multiple identifiée ; elle est responsable de ces manquements ; cette faute est à l'origine d'une perte de chance de limiter son manque à gagner notamment en liant ses ventes bio 2019 aux volumes 2018 déclassés, en présentant ces mêmes volumes à différents concours pour obtenir une meilleur revalorisation ; elle n'aurait pas eu à opérer un repli de ces volumes en appellation Bordeaux Supérieur ou Bordeaux génériques ;

- au regard de la procédure pendante, qui n'est que la résultante des manquements de la société Ecocert France, l'EARL a donc été contrainte de vendre ces lots en conventionnel, en raison du risque que les vins rouges dépassent le seuil maximal de 100 mg de soufre/L pour une certification AB ;

- la perte financière est importante au regard des volumes et s'élève à 57 548 euros ; de plus, l'EARL a remboursé une somme de 47 500 euros à la Maison le Star ; elle a dû déboucher une palette à deux personnes, à un coût de 858 euros ; elle doit être indemnisée de son préjudice commercial qui s'élève à la somme globale de 105 906 euros ;

- elle a également subi un préjudice moral en raison du discrédit et de la suspicion sur les conditions dans lesquelles elle exerce son activité, qui doit être indemnisé à hauteur de 35 000 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés le 10 mars et le 5 juin 2023, la société Ecocert France, représentée par Me de Laforcade, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 500 euros soit mise à la charge de l'EARL Mauro sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions en appel sont insuffisamment motivées compte tenu du simple renvoi aux écritures de première instance ; la production tardive des écritures de première instance ne peut régulariser ce vice ;

- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;

- la société ne peut invoquer un manquement à une obligation de conseil qui ne pèse pas sur les organismes certificateurs ;

- la société ne peut imputer à l'organisme certificateur les manques à gagner subis du fait d'une décision de déclassement ; elle n'est pas fondée à invoquer la lenteur du processus alors qu'elle a été informée dès le courriel du 19 décembre 2018 que le caractère biologique de son vin et de son stock était susceptible de faire l'objet d'un déclassement ;

- en cas de condamnation, les conditions générales de vente la liant à la société requérante prévoient que sa responsabilité ne peut être engagée que dans la limite de vingt fois le montant des honoraires perçus de la part de l'EARL requérante au titre de l'année concernée ;

- la société n'établit pas la réalité de son préjudice par la production d'un tableau qu'elle a établi et d'un contrat non-signé sans justifier du versement des sommes ; les documents comptables produits font état d'une année 2019 bénéficiaire ;

- la société n'établit pas avoir subi un préjudice d'image par la production d'un contrat, au demeurant non signé, par lequel la compensation acceptée par l'acheteur est la livraison de vin du millésime suivant.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques en ce qui concerne la production biologique, l'étiquetage et les contrôles ;

- le règlement n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008 portant modalités d'application du règlement n°834/2007 du Conseil ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Gueguein,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public

- et les observations de Me de Laforcade, représentant la société Ecocert France.

Considérant ce qui suit :

1. L'EARL Mauro s'est engagée dans la certification biologique de sa production viticole en 2009 et a choisi, dans ce cadre, la société Ecocert France en tant qu'organisme certificateur. A l'issue d'un contrôle de ses installations du 23 août 2019, la société Ecocert France lui a délivré et a confirmé, par un certificat du 5 septembre suivant, le caractère biologique de l'ensemble de la production de cette EARL.

2. Parallèlement, en août 2019, après analyses réalisées sur un échantillon par un potentiel acquéreur, la société Mauro a adressé à la société Ecocert France un formulaire de signalement d'un doute sur la conformité d'une denrée biologique concernant le lot en vrac cuve n° 2 de 1300 hl. A la suite d'investigations, la société Ecocert France a informé le producteur, par un courriel du 3 septembre 2019, que la certification biologique des vins concernés n'était pas remise en cause.

3. En décembre 2019, à la suite du signalement, par l'entreprise La Fiée des Lois (FDL), selon lequel l'analyse du lot de vin rouge 2018 destiné à la vente en vrac acquis auprès de la société Mauro en novembre 2019 avait mis en évidence la présence de substances non autorisées en agriculture biologique, la société Ecocert France a demandé à la société Mauro de ne plus commercialiser le vin rouge 2018 toujours en stock avec la mention " agriculture biologique " à titre conservatoire.

4. A l'issue d'un audit sur site le 16 janvier 2020, la société Ecocert France a identifié une contamination faible de substances non autorisées en agriculture biologique des vins 2019 et des vins 2018 destinés à la vente en bouteille et une contamination importante des vins 2018 destinés à la vente en vrac. Par une décision du 5 février 2020, la société Ecocert France a prononcé le déclassement de l'entièreté du lot de vin destiné à la vente en vrac de la cuve n° 2. Par une décision du 22 juillet 2020, la société Ecocert France a rejeté le recours gracieux de la société Mauro reçu le 12 février 2020. L'EARL Mauro a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions des 5 février et 22 juillet 2020 et de condamner la société Ecocert France à lui verser la somme de 140 906 euros en réparation des préjudices subis. Elle relève appel du jugement du 6 octobre 2022 rejetant sa demande.

Sur la régularité du jugement :

5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

6. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée à la société Mauro ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.

7. En second lieu, il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Bordeaux a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produit par la requérante. En particulier, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, n'a pas omis de répondre, notamment à ses points 9, 12 et 13, aux moyens tirés de la prise d'une décision expresse plus de deux mois après réception du recours gracieux et de ce que le déclassement a été prononcé sans que la société Ecocert France ne procède à une analyse complémentaire à la suite du signalement effectué en août 2019. Par suite, la société Mauro n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité sur ce point.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

8. Premièrement, en vertu des dispositions combinées des articles 2 et 27 du règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques en ce qui concerne la production biologique, l'étiquetage et les contrôles, il appartient aux Etats membres de désigner une autorité centrale compétente pour l'organisation des contrôles, laquelle peut déléguer des tâches de contrôle à un ou plusieurs organismes de contrôles privés procédant aux inspections et à la certification. Aux termes du premier alinéa du 1 de l'article 30 de ce règlement, intitulé " Mesures à prendre en cas d'infractions et d'irrégularités " : " Lorsqu'une irrégularité est constatée en ce qui concerne le respect des exigences fixées dans le présent règlement, l'autorité ou l'organisme de contrôle veille à ce qu'aucune référence au mode de production biologique ne figure sur l'étiquetage et dans la publicité relatifs à l'ensemble du lot ou de la production concerné par cette irrégularité, pour autant que cette mesure soit proportionnée à l'exigence ayant fait l'objet de l'infraction ainsi qu'à la nature et aux circonstances particulières des activités concernées ".

9. Deuxièmement, l'article L. 642-27 du code rural et de la pêche maritime prévoit que les opérations de contrôle du respect des règles applicables aux signes d'identification de la qualité et de l'origine, au nombre desquels figure la mention " agriculture biologique ", sont effectuées par des organismes tiers agréés, pour le compte ou sous l'autorité de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO). En vertu de l'article L. 642-28 du même code, les organismes certificateurs ont notamment pour mission d'assurer la certification des produits bénéficiant du signe " agriculture biologique ". L'article L. 642-30 du même code prévoit que l'organisme certificateur décide l'octroi, le maintien et l'extension de la certification, prend les mesures sanctionnant les manquements au cahier des charges et peut prononcer la suspension ou le retrait de la certification.

10. Troisièmement, aux termes de l'article L. 641-13 de ce code : " Peuvent bénéficier de la mention "agriculture biologique" les produits agricoles, transformés ou non, qui satisfont aux exigences de la réglementation communautaire relative à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques ou, le cas échéant, aux conditions définies par les cahiers des charges homologués par arrêté du ou des ministres intéressés sur proposition de l'Institut national de l'origine et de la qualité ". Aux termes de l'article L.642-27 du même code : " Le contrôle du respect du cahier des charges d'un produit bénéficiant d'un signe d'identification de la qualité et de l'origine est effectué, sur la base du plan de contrôle ou d'inspection approuvé, par un organisme tiers offrant des garanties de compétence, d'impartialité et d'indépendance agréé dans les conditions prévues par la présente section, pour le compte ou sous l'autorité de l'Institut national de l'origine et de la qualité ".

11. En premier lieu, d'une part, selon le point 1 de la décision de la directrice de l'INAO référencée INAO-DEC-CONT-AB 1, du 3 juillet 2019, qui fixe les dispositions de contrôle communes relatives à la stratégie analytique à mettre en œuvre dans le cadre du contrôle des opérateurs de la production biologique, d'application immédiate à la situation juridique de la requérante en cours de constitution à la date de son entrée en vigueur le 1er janvier 2020, l'organisme certificateur doit prélever et analyser des échantillons à chaque fois que l'utilisation de technique ou de produits non autorisés par les règles de la production biologique est suspectée. Il peut, également, être conduit à diligenter des prélèvements en vue d'analyses dans le cadre de l'application de l'article 91 du règlement n° 889/2008, afin de dissiper un doute sur la conformité d'un produit suite à une information transmise par l'opérateur. Le point 4 de cette même décision prévoit qu'un " nombre suffisant d'échantillons doit être prélevé, et conservé par l'OC, pour faire en sorte que l'opérateur puisse obtenir un rapport d'analyse complémentaire (...) ".

12. D'autre part, aux termes du point 6.1 de cette décision : " Chaque résultat d'analyse qui révèle la présence de produit(s) ou substance(s) interdit(s) en AB doit être évalué par l'organisme de contrôle avec la participation de l'opérateur et une enquête doit être menée par l'OC. Une enquête doit aussi être menée pour les produits/substances pour lesquels une limite de concentration ou des conditions d'utilisation ont été établies dans le Règlement (CE) n° 889/2008. / L'enquête peut être : - l'évaluation du résultat de l'analyse par l'OC, et/ou / - une enquête documentée auprès de l'opérateur ou de l'OC du fournisseur, et/ou / - une inspection terrain faite par l'OC (...) " et aux termes de son point 6.2, relatif à la procédure de gestion, " En cas de présence de produit(s) ou substance(s) non autorisé(s) en AB, l'OC en informe immédiatement l'opérateur concerné, par écrit, lui transmet le rapport d'analyse et l'OC mène une enquête (...) / L'opérateur peut dans un délai de quinze jours à compter de la notification demander à ce que le deuxième échantillon soit analysé par un laboratoire habilité par l'INAO ". Selon le point 2.2. du document dénommé Grille d'interprétation et de gestion des analyses figurant en annexe du plan de contrôle de la société Ecocert France, l'opérateur a la possibilité de demander un deuxième résultat s'il conteste la validité du premier sous réserve de son accord pour la prise en charge des frais.

13. Enfin, aux termes du point 6.3 de la décision de la directrice de l'INAO du

3 juillet 2019 précitée relatif aux cas des pesticides " L'utilisation de pesticides, à l'exception des substances listées à l'Annexe II du R (CE) n° 889/2008 est interdite en agriculture biologique ". Aux termes du point 6.3.1 Évaluation des résultats : " L'OC doit évaluer tous les résultats des rapports d'analyse reçus. / En tout état de cause, si le rapport d'analyse révèle la présence d'une seule substance interdite en AB à une concentration supérieure ou égale à 0.02 mg/kg sans prise en compte de l'incertitude de la mesure (= valeur de référence) un doute substantiel/avéré existe et l'OC doit demander à l'opérateur de bloquer les lots concernés. / Cette valeur de référence ne s'applique pas et est ramenée à la limite de quantification (sans prise en compte de l'incertitude de la mesure), dans les cas suivants : (...) -prélèvement suite à une alerte reçue, -substance retrouvée est un herbicide (localisé), ou un insecticide sur une matrice prélevée en post-récolte -présence de plusieurs substances (...) ". Selon le point 6.3.2 relatif à l'enquête sur l'origine de la contamination, l'enquête a pour but de déterminer l'origine de la contamination et notamment si elle est fortuite, accidentelle, évitable, intentionnelle ou non identifiable et que pour ce faire l'organisme certificateur peut s'appuyer sur l'examen de la traçabilité et des mouvements physiques de marchandises, le respect des pratiques d'autocontrôle et l'examen des causes possibles de la présence de la substance. Ces dispositions sont déclinées au point 7 du document dénommé Grille d'interprétation et de gestion des analyses figurant en annexe du plan de contrôle de la société Ecocert France.

14. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la réception du signalement opéré par la société FDL, accompagné d'un rapport d'analyses identifiant la présence de plusieurs substances relevant de la catégorie des pesticides dans un lot de vin en vrac de la société Mauro, la société Ecocert France a initié une procédure d'enquête sur place au cours de laquelle elle a notamment procédé à cinq prélèvements sur les 393 hl de vin 2018 encore en stock dont les résultats, traduisant une contamination importante, ont été communiqués à la société requérante le 5 février 2020. Cette contamination du lot de vin rouge 2018 a été confirmée par les analyses que la société Mauro a pris l'initiative de faire réaliser sur les mêmes 393 hl de vin rouge 2018 toujours en stock. La société Mauro n'est donc pas fondée à soutenir que la société Ecocert France n'aurait pas procédé aux investigations prévues au point 6.3 de la décision de la directrice de l'INAO du 3 juillet 2019.

15. Dans ces conditions, la seule circonstance que seuls les taux de contamination révélés par le rapport d'analyses produit par la société FDL à l'appui de son signalement aient été communiqués à la société Mauro, laquelle a assisté à la procédure diligentée par la société Ecocert France et a reçu communication des rapports d'analyses effectués à cette occasion, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie. De même, il est constant que les stocks de vin 2018 conservés par la société Mauro présentent également des signes de contamination par des pesticides dont l'utilisation est interdite en agriculture biologique et que cela infirme l'hypothèse d'une contamination croisée de ce vin dans les installations de la société FDL. De plus, et alors que l'existence d'une contamination du lot de vin rouge 2018 déclassé est confirmée par l'ensemble des rapports d'analyses dont ceux que la société requérante a fait réaliser, l'existence de variations dans les taux de contamination constatés de ce vin, inhérente à la performance analytique des laboratoires et de leurs appareillages, et la supposée absence de représentativité des taux de contamination figurant dans le rapport d'analyses produit par la société FDL, n'entachent pas d'irrégularité la procédure d'adoption de la décision de déclassement. Enfin, si la société requérante soutient qu'elle n'a pu bénéficier d'une contre analyse, en méconnaissance du point 6 de la décision précitée, il n'est pas établi, ni même allégué, qu'elle aurait sollicité, en vain, le bénéfice de ces dispositions.

16. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la société Mauro, la décision du 5 février 2020 de déclassement de l'intégralité du lot de 1 300 hl de vin rouge Bordeaux 2018 ne repose pas sur une méconnaissance de ses obligations déclaratives mentionnées à la ligne 26 du catalogue des mesures à appliquer en cas d'irrégularité ou d'infraction aux règles de la production biologique annexé à la directive du conseil des agréments et contrôles de l'INAO référencé INAO-DIR-CAC-3. Le moyen tiré de ce que le déclassement de lot ne pouvait intervenir qu'en cas de récidive doit donc être écarté.

17. En troisième lieu, selon le point 7 du document dénommé " Grille d'interprétation et de gestion des analyses " figurant en annexe de son plan de contrôle, la société Ecocert France a fixé un seuil d'investigation (AL) en dessous duquel les investigations sont laissées à l'appréciation de l'opérateur et au-dessus duquel ces investigations sont réalisées sous sa responsabilité, un seuil d'orientation (OL) au-dessus duquel les contaminations sont considérées comme non-fortuites, ainsi que des exceptions à ce dernier seuil, dont la liste figure dans le plan. Ce document précise également que, lorsque l'origine de la contamination est indéterminée, le déclassement est prononcé si le taux de contamination dépasse le seuil OL.

18. En l'espèce, la société Ecocert France a adopté la décision de déclassement du lot de vin rouge 2018 de la cuve Inox 02 destiné à la vente en vrac au motif que les analyses avaient mis en évidence la présence de résidus de pesticides dont l'utilisation est interdite en agriculture biologique à des teneurs dépassant le seuil OL et correspondant à celles constatées dans le circuit conventionnel et que l'origine de la contamination n'a pu être déterminée.

19. D'une part, la société Mauro n'est pas fondée à soutenir que la mention au point 6.1 de la décision de la directrice INAO - DEC - CONT - AB-1 du 3 juillet 2019, laquelle a pour objet d'encadrer la stratégie analytique devant être mise en œuvre par les organismes certificateurs, dont il résulte qu'il n'existe aucun seuil de déclassement fixé par les autorités françaises, empêchait la société Ecocert France de déterminer, au sein de son plan de contrôle, un seuil d'investigation (AL) en dessous duquel les investigations sont laissées à l'appréciation de l'opérateur et au-dessus duquel ces investigations sont réalisées sous sa responsabilité, et un seuil d'orientation (OL) au-dessus duquel les contaminations sont considérées comme non-fortuites, ainsi que des exceptions à ce dernier seuil, dont la liste figure dans le plan. Cette mention n'empêche pas non plus la société Ecocert France de prévoir, au sein du même plan de contrôle, l'application de la sanction du déclassement de lot dans l'hypothèse où l'origine de la contamination d'un lot par des pesticides dont l'usage est interdit en agriculture biologique à un taux dépassant le seuil OL n'a pu être déterminée et est donc considérée comme devant être imputée à l'opérateur.

20. D'autre part, contrairement à ce que soutient la société Mauro, il ressort des pièces du dossier, et notamment des résultats des analyses de décembre 2019 ayant donné lieu au signalement ainsi que des analyses diligentées par la société Ecocert France, dès janvier 2020, dans le cadre de son audit, que plusieurs substances non autorisées en agriculture biologique ont été détectées dans le vin 2018 destiné à la vente en vrac, à des valeurs supérieures au seuil OL applicable, après application de l'incertitude de mesure.

21. Il ressort enfin des pièces du dossier, et des nombreux échanges ayant eu lieu pendant l'instruction du recours gracieux de la société Mauro, que, si la société Ecocert France a reconnu en août 2019 que l'année de production du lot concerné était une année extrêmement particulière, eu égard aux conditions météorologiques et à la recrudescence des cas de contaminations de voisinages subies par les exploitants bénéficiant de la certification en agriculture biologique, l'audit qu'elle a mené conclut néanmoins que le risque faible à important de dérive des traitements utilisés sur les parcelles voisines de celles des parcelles de vin destiné à la vente en vrac ne peut être à l'origine d'une contamination aussi importante dont le niveau est en réalité comparable à celui observé dans l'agriculture conventionnelle ou chez des opérateurs dont il a pu être démontré qu'ils avaient eu recours à des produits phytosanitaires interdits en agriculture biologique. La société Mauro, qui fait de nouveau valoir en appel les seules particularités météorologiques de l'année 2018, n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que la société Ecocert France a exclu l'existence d'une contamination involontaire de ses parcelles.

22. En quatrième lieu, ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges, les moyens tirés de ce que la société Ecocert France n'aurait pas respecté ses obligations lors du signalement par la société Mauro de la présence de substances dont l'utilisation est interdite en agriculture biologique en août 2019 ne sont pas de nature à entacher d'irrégularité la décision critiquée.

23. En dernier lieu, en prenant la décision attaquée du 22 juillet 2020, par laquelle elle a rejeté le recours gracieux formé par la société requérante contre la décision du 5 février 2020, la société Ecocert France ne peut être regardée comme ayant entendu retirer ou modifier sa décision initiale et n'a pas eu à se prononcer au vu de circonstances de fait ou de droit nouvelles. La société Mauro n'étant pas fondée à demander l'annulation de la décision du 5 février 2020, ses conclusions dirigées contre la décision du 22 juillet 2020, qui se borne à la confirmer sur recours gracieux, doivent être également rejetées, sans qu'elle puisse utilement se prévaloir des vices propres dont cette seconde décision serait entachée. De la même façon, les moyens tirées des vices dont seraient entachées le courrier du 3 juin 2020 par lequel la société Ecocert France a informé la société Mauro des motifs pour lesquels elle envisageait de rejeter son recours gracieux ne sont pas susceptibles d'entraîner l'annulation de la décision du 5 février 2020.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

24. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la société Mauro ne peut invoquer l'existence d'une faute résultant de l'illégalité de la décision de déclassement de lot du

5 février 2020 ou de celle du 22 juillet 2020 rejetant le recours gracieux exercé.

25. En deuxième lieu, la société Mauro soutient que la société Ecocert France aurait commis une faute en manquant à ses obligations lors du signalement intervenu en août 2019, notamment en ne conduisant pas d'investigations supplémentaires sous sa responsabilité, ainsi que le prévoit le plan de contrôle lorsque le niveau de concentration des substances dépasse le seuil AL, et en ne détectant pas dès cette date la présence des autres substances détectées lors du signalement de décembre 2019 et à l'origine de la décision de déclassement de lot du

5 février 2020. Toutefois, ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges, il résulte de l'instruction, d'une part, que, malgré la demande chargeant la société Mauro de procéder à des prélèvements sur pieds de raisin, les investigations mises en œuvre en août 2019 ont bien été exécutées sous la responsabilité de la société Ecocert France et, d'autre part, qu'aucun élément ne permet d'établir l'insuffisance des mesures mises en œuvre au regard des informations dont elle disposait à cette date alors notamment que ne pesait sur elle aucune obligation d'étendre le champ des investigations à tous le spectres des produits phytopharmaceutiques dont l'utilisation est interdite en agriculture biologique. La société Mauro n'est donc pas fondée à invoquer l'existence d'une faute à ce titre.

26. En dernier lieu, en l'absence d'erreur dans la conduite des investigations menées, la société Mauro n'est pas fondée à soutenir que la décision du 3 septembre 2019 par laquelle la société Ecocert France n'a pas remis en cause la certification biologique des vins concernés, qui précise par ailleurs que cette position ne présage pas du positionnement futur dans un contexte différent, serait constitutive d'une faute.

27. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la société Ecocert France, la société Mauro n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Sur les frais liés au litige :

28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Ecocert France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Mauro demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Mauro une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Ecocert France et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Mauro est rejetée.

Article 2 : La société Mauro versera à la société Ecocert France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL Mauro Jean B..., à la société Ecocert France et à l'Institut national de l'origine et de la qualité.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Stéphane Gueguein, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 décembre 2024.

Le rapporteur,

Stéphane Gueguein La présidente,

Karine Butéri

Le greffier,

M. B... A...

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX03007


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX03007
Date de la décision : 11/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: M. Stéphane GUEGUEIN
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-11;22bx03007 ?
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