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11/12/2024 | FRANCE | N°22BX02288

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 6ème chambre, 11 décembre 2024, 22BX02288


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une première requête enregistrée sous le n° 2003389, M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les revenus et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2014 à 2016.



Par une seconde requête enregistrée sous le n° 2104169, M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Bord

eaux de prononcer la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête enregistrée sous le n° 2003389, M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les revenus et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2014 à 2016.

Par une seconde requête enregistrée sous le n° 2104169, M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les revenus et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2015 à 2016.

Par un jugement n° 2003389-2104169 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Bordeaux, après avoir joint les deux requêtes, a déchargé M. et Mme A..., en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 et a rejeté le surplus de leurs demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 22BX02288, le 16 août 2022, le 16 août 2023 et le 15 janvier 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. et Mme A..., représentés par Me Labattut, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 juin 2022 en tant qu'il a rejeté le surplus de leurs demandes ;

2°) de prononcer la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les revenus et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2015 à 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les propositions de rectification du 20 décembre 2017 et du 17 janvier 2018 concernant l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux des années 2015 et 2016 sont insuffisamment motivées : les propositions de rectification de référence relatives à la société vérifiée n'étaient pas jointes ; ces propositions ne sont pas motivées dans leur corps même et ne donnent ni la méthode de rehaussement des recettes sociales ni le détail des recettes taxées en tant que revenus distribués ; les extraits cités mentionnent uniquement le montant global des recettes TTC omises, sans donner ni la méthode de reconstitution ni le détail des recettes ; en outre, la proposition de référence directe pour l'impôt sur le revenu 2015 et indirecte pour l'impôt sur le revenu 2016 a été annulée et remplacée le 15 janvier 2018 ;

- la méthode de reconstitution de recettes des trois années vérifiées par application de la " méthode des boissons " et plus particulièrement sur la prise en compte des bouteilles de 2 L et sur la ventilation du chiffre d'affaires avec ou sans boissons de la société Haadurh Fried Chicken est radicalement viciée ;

- ils sont fondés à demander que les rehaussements se rapportant aux distributions taxables en revenus de capitaux mobiliers soient limités à 73 866 euros au titre de l'année 2015 et à 109 245 euros au titre de l'année 2016 ;

- les pénalités pour manquement délibéré sont insuffisamment motivées et infondées.

Par des mémoires en défense enregistrés le 1er mars 2023 et le 10 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

-les conclusions à fin de décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée sont irrecevables ;

-les moyens invoqués ne sont pas fondés ;

-il y a lieu de substituer l'article 109, 1-1° du code général des impôts à l'article 109, 1-2° uniquement en ce qui concerne la fraction des rehaussements 2015 et 2016 taxable à l'impôt sur les sociétés, l'article 109, 1-2° du même code demeurant appliqué à la fraction des rehaussements qui a conduit à l'annulation des déficits déclarés par les sociétés Haadurh Fried Chicken et Prithy Fried Chicken.

Par une ordonnance du 5 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 janvier 2024.

II. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 22BX02588, le 30 septembre 2022, et le 10 janvier 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 juin 2022 en tant qu'il a fait droit à la demande de M. et Mme A... et de remettre à la charge de ces derniers la totalité des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 pour un montant total en droits et pénalités de 122 853 euros ;

2°) de rejeter l'ensemble de leurs demandes.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que les impositions supplémentaires résultant des rectifications proposées au titre de l'année 2014 étaient prescrites : la proposition de rectification du 20 décembre 2017 a été signifiée par huissier au domicile personnel des époux le 22 décembre 2017, ces derniers ayant le 19 décembre 2017 donné le choix à l'administration d'envoyer la proposition de rectification soit à leur adresse en France soit à l'adresse temporaire où ils se rendaient à Londres ; en refusant de considérer que cette signification par huissier avait interrompu la prescription, le tribunal a commis une erreur de droit ;

- aucun des autres moyens soulevés à l'encontre des impositions en litige n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2023, M. et Mme A..., représentés par Me Labattut concluent au rejet du recours du ministre, et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à sa charge en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- ainsi que l'a retenu à bon droit le tribunal, la prescription de l'action de l'administration concernant les rehaussements d'impôts sur le revenu mis à leur charge au titre de l'année 2014 est acquise ;

- subsidiairement, la proposition de rectification du 20 décembre 2017 concernant l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux mis à leur charge au titre de l'année 2014 est insuffisamment motivée : elle n'est pas motivée dans son corps même et ne donne ni la méthode de rehaussement des recettes sociales ni le détail des recettes taxées en tant que revenus distribués ; les extraits cités mentionnent uniquement le montant global des recettes TTC omises, sans donner ni la méthode de reconstitution ni le détail des recettes ;

-la méthode de reconstitution de recettes des années vérifiées par application de la " méthode des boissons " et plus particulièrement sur la prise en compte des bouteilles de 2 litres et sur la ventilation du chiffre d'affaires avec ou sans boissons de la société Haadurth Fried Chicken est radicalement viciée ;

- les pénalités pour manquement délibéré sont infondées.

Par une ordonnance du 5 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de procédure civile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caroline Gaillard,

- et les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Haadurh Fried Chicken exerce une activité de restauration rapide dans trois établissements situés à Cenon, Libourne et Angoulême. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Prithy Fried Chicken exerce cette même activité dans deux établissements situés à Mérignac et à Villenave d'Ornon. Ces sociétés, dont M. A... est le gérant et associé unique, ont fait l'objet d'une vérification de comptabilité sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, concernant l'impôt sur les sociétés, qui a été prolongée en matière de taxe sur la valeur ajoutée jusqu'au 31 mars 2017. A l'issue de cette vérification, le service a rejeté la comptabilité des deux sociétés comme non probante et a procédé à la reconstitution de leurs chiffres d'affaires. Le service a alors mis à la charge des sociétés des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre des années 2014 et 2015 en ce qui concerne la société Haadurh Fried Chicken, et au titre des années 2015 et 2016 pour la société Prithy Fried Chicken, selon la procédure contradictoire. Dans le prolongement de ces vérifications de comptabilité, l'administration a estimé que les minorations de recettes étaient constitutives de revenus distribués entre les mains de M. A... et devaient être imposées dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, pour un montant total de 535 673 euros en droits et pénalités, après admission partielle de leur réclamation par décision du 28 mai 2020, ont ainsi été mises à la charge de M. et Mme A... au titre des années 2014 à 2016. Par deux requêtes distinctes, ces derniers ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la réduction de ces impositions au titre des années 2014 à 2016, en tenant compte de la limitation des revenus distribués.

2. Par un jugement du 7 juin 2022, le tribunal, après avoir joint les deux requêtes, a déchargé M. et Mme A..., en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 et a rejeté le surplus de leurs demandes. Par la requête n° 22BX02288, M. et Mme A... relèvent appel du jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de leurs demandes. Par la requête n° 22BX02588 le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel de ce même jugement en tant qu'il a fait droit à la demande de décharge de M. et Mme A....

Sur la jonction :

3. Les requêtes n° 22BX02288 et n° 22BX02588 concernent un même jugement, il y a donc lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". A cet égard, si le juge est tenu de répondre aux moyens des parties, il n'est pas dans l'obligation de répondre à l'ensemble des arguments soulevés à l'appui de ces moyens.

5. Contrairement à ce que soutient le ministre, le tribunal, en indiquant au point 15 du jugement attaqué, qu'" en se fondant sur l'importance des sommes distribuées et leur caractère répété tout au long de la période vérifiée, traduisant une intention délibérée de la part de M. A..., l'administration apporte la preuve du bien-fondé de la majoration pour manquement délibéré ", a répondu de manière suffisamment précise au moyen tiré de l'absence de bien-fondé des pénalités. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les rectifications au titre de l'exercice clos en 2014 :

S'agissant du bien-fondé du moyen retenu par les premiers juges :

6. D'une part, aux termes de l'article L. 169 du code général des impôts : " Pour l'impôt sur le revenu (...), le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due (...) " et de l'article L. 189 du même code, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de redressement (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 651 du code de procédure civile : " Les actes sont portés à la connaissance des intéressés par la notification qui leur en est faite. La notification faite par acte d'huissier de justice est une signification. La notification peut toujours être faite par voie de signification alors même que la loi l'aurait prévue sous une autre forme ". Aux termes de l'article 654 du même code : " La signification doit être faite à personne (...) ". Aux termes de l'article 655 du même code : " Si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence. (...) La copie peut être remise à toute personne présente, au domicile ou à la résidence du destinataire. La copie ne peut être laissée qu'à la condition que la personne présente, le gardien ou le voisin l'accepte, déclare ses nom, prénoms, qualité. L'huissier de justice doit laisser, dans tous ces cas, au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage daté l'avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l'acte, le nom du requérant ainsi que les indications relatives à la personne à laquelle la copie a été remise ". Dès lors que le livre des procédures fiscales ne détermine pas les modalités prescrites pour la notification d'une proposition de rectification, rien n'interdit qu'elle intervienne par la voie d'une signification par acte d'huissier.

7. Pour accorder la décharge des impositions de l'année 2014, le tribunal administratif s'est fondé sur le moyen tiré de ce que les impositions litigieuses avaient été mises en recouvrement après l'expiration du délai de reprise prévu à l'article L. 169 du code général des impôts en l'absence d'acte ayant interrompu ce délai avant cette mise en recouvrement, la proposition de rectification n'ayant pas été effectivement notifiée aux contribuables avant le 31 décembre 2017.

8. Il résulte toutefois de l'instruction que la proposition de rectification du 20 décembre 2017 relative à l'année 2014 a été adressée par le service, le 23 décembre 2017, par pli recommandé avec accusé de réception, au domicile de M. et Mme A... à Carbon Blanc (Gironde) puis une première fois réexpédiée à Londres, chez un ami de M. A... qui avait reçu procuration pour recevoir son courrier en son absence, en exécution d'un ordre de réexpédition daté du 19 décembre 2017, et une seconde fois réexpédiée au Sri Lanka en exécution d'un autre ordre de réexpédition mis en place à compter du 23 décembre 2017. Il résulte également de l'instruction que l'administration a toutefois également fait signifier le pli contenant la proposition de rectification par voie d'huissier le 22 décembre 2017 à l'adresse du domicile girondin des contribuables conformément au courrier de M. A... adressé au service le 19 décembre 2017 informant l'administration de son absence et précisant que les courriers éventuels pouvaient " soit être envoyés à l'adresse qui figure en haut à gauche du présent courrier et les services postaux feront suivre, soit envoyés directement à l'adresse en Angleterre ". Ainsi, en l'absence de M. A..., un avis de passage daté du 22 décembre 2017 a été laissé à son domicile mentionnant la nature de l'acte, son nom et le fait que la copie de l'acte devait être retirée à l'étude de l'huissier. Dans ces conditions et dans les circonstances particulières de l'espèce, et alors même que le contribuable avait signé un contrat de réexpédition, la notification de la proposition de rectification le 22 décembre 2017 au domicile girondin de M. et Mme A... a interrompu la prescription avant l'expiration, le 31 décembre 2017, du délai de reprise.

9. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a accueilli le moyen tiré de ce que la prescription du droit de reprise de l'administration relatif à l'année 2014 n'a pas été interrompue avant le 31 décembre 2017 par la notification d'une proposition de rectification et a en conséquence prononcé la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles M. et Mme A... ont été assujettis au titre de l'année 2014 pour un montant de 122 853 euros.

10. Il y a lieu pour la cour, de statuer, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, sur les autres moyens présentés par les requérants à l'appui de leurs conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2014 et sur le surplus des conclusions présentés par M. et Mme A....

En ce qui concerne les autres moyens dirigés contre le bien-fondé des impositions au titre de 2014 ainsi que sur les impositions au titre de 2015 et 2016 :

S'agissant de la régularité de la procédure d'imposition :

11. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) ". L'article R. 57-1 du même livre prévoit que : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article ".

12. Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées. Hormis le cas où elle se réfère à un document qu'elle joint à la proposition de rectification ou à la réponse aux observations du contribuable, l'administration peut satisfaire à cette obligation en se bornant à se référer aux motifs retenus dans une proposition de rectification, ou une réponse à ses observations, consécutive à un précédent contrôle et qui lui a été régulièrement notifiée, à la condition qu'elle identifie précisément la proposition ou la réponse en cause et que celle-ci soit elle-même suffisamment motivée.

13. M. et Mme A... soutiennent que les propositions de rectification relatives aux impositions sur le revenu mises à leur charge au titre des années 2014, 2015 et 2016 sont insuffisamment motivées. Il résulte toutefois de l'instruction que les propositions de rectification n° 2120 des 20 décembre 2017 et 17 janvier 2018, adressées à M. et Mme A..., mettant à leurs charges des impositions supplémentaires en matière d'impôt sur le revenu au titre des années 2014, 2015 et 2016, font référence à la vérification de comptabilité des EURL Haadurh Fried Chicken, Prithy Fried Chicken et Kavitha Fried Chicken, indiquent que M. A... avait été désigné comme bénéficiaire des sommes réputées distribuées en application de l'article 109-1-2° du code général des impôts, et précisent les sommes qu'elle proposait de soumettre à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Elles identifient précisément les propositions de rectification auxquelles elles font référence, et dont des extraits sont cités, à savoir, s'agissant de la proposition de rectification du 20 décembre 2017, la proposition de rectification n° 3924 du 20 décembre 2017 concernant la société " Haadurh Fried Chicken ", et, s'agissant de la proposition de rectification n° 2120 du 17 janvier 2018, celle n° 2120 du 20 décembre 2017 identifiée comme étant celle adressée à la société " Prithy Fried Chicken ". La circonstance tenant à ce que la proposition de rectification du 20 décembre 2017 concernant la société Prithy Fried Chicken à laquelle il est fait référence a été annulée et remplacée par une nouvelle proposition de rectification du 15 janvier 2018 est sans incidence sur la régularité de la motivation de la proposition de rectification du 20 décembre 2017 concernant la situation personnelle des requérants qui n'est pas affectée par les revenus distribués par cette société s'agissant de l'année 2014. Si la proposition de rectification du 15 janvier 2018 mentionne la proposition de rectification n° 2120 du 20 décembre 2017 sans préciser directement qu'elle concerne la société Prithy Fried Chicken, cette circonstance n'est pas de nature à entraîner une confusion pour les contribuables.

14. Dans ces conditions, les contribuables devaient être regardés comme ayant disposé des informations auxquelles ils avaient droit, en application des dispositions de l'article L. 57 et leur permettant de présenter utilement leurs observations sur les rehaussements envisagés de leurs bases d'imposition à l'impôt sur le revenu. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des propositions des rectification en cause doit être écarté.

S'agissant du bien-fondé des impositions :

Quant à la reconstitution de recettes :

15. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. Elle incombe également au contribuable à défaut de comptabilité ou de pièces en tenant lieu (...) ".

16. Il résulte de l'instruction, notamment des termes de la proposition de rectification du 20 décembre 2017, que, pour procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de la société Haadurh Fried Chicken, l'administration a tout d'abord déterminé le montant des achats de boissons revendues après application de la variation des stocks par contenance de bouteilles (inférieure à 33 cl, 33 cl, 50 cl, 1,5l et plus). Ensuite, la répartition du chiffre d'affaires par produit par rapport au chiffre d'affaires total a été déterminée à partir de l'analyse des tickets statistiques par produits, émis par la caisse enregistreuse de l'établissement de Cenon sur toute la période vérifiée. Le service a alors réparti les ventes en fonction des produits vendus avec ou sans boisson et a pu déterminer le nombre de boissons revendues dans le cadre de menus ou de vente de boissons seules. Le chiffre d'affaires avec boisson a été reconstitué en appliquant le prix moyen pondéré ou le prix du produit vendu au nombre de boissons revendues dans le cadre de menus et de ventes de boissons seules précédemment obtenu. Pour déterminer le chiffre d'affaires total, le service a enfin divisé le chiffre d'affaires avec boisson reconstitué par le pourcentage de répartition par produits vendus avec boisson et a pris en compte une somme de 15% correspondant aux pertes et offerts estimés par la société.

17. Il résulte de l'instruction que, pour déterminer la répartition des ventes de menus avec ou sans boisson, la vérificatrice s'est fondée sur les éléments produits par la société Haadurh Fried Chicken, à savoir les factures d'achats de boissons, les tickets statistiques issus de la caisse enregistreuse de l'établissement de Cenon, et a tenu compte de la diversité des menus et produits proposés à la vente. Ainsi qu'elle le précise, en répartissant par moitié le produit wrap à 5 euros dans les ventes avec ou sans boisson, elle a pu rétablir une proportion plus importante des ventes de menus avec boisson par rapport aux ventes de produits sans boisson. Ce qui a induit une répartition globale correspondant à 75% de menus avec boisson et à 25 % de menus sans boisson. Toutefois, alors que l'administration supporte sur ce point la charge de la preuve dès lors que dans son avis du 5 octobre 2018 la commission départementale des impôts a invité les parties à se rencontrer afin de déterminer le pourcentage des ventes de menus avec boisson et de celles sans boisson, l'administration n'a pas proposé de rencontre, la répartition opérée n'est fondée sur aucune donnée précise quant à la répartition pour moitié du menu " wrap " au prix de 5 euros dans les ventes avec boisson et les ventes sans boisson et rend donc sur ce point la méthode de reconstitution de l'administration excessivement sommaire.

18. Le gérant de la société remet en cause le bien-fondé de la reconstitution opérée en soutenant que le service aurait dû retenir une répartition des ventes de menus avec ou sans boisson selon le ratio 90% pour les menus avec boisson et de 10% pour les menus sans boisson en s'appuyant sur les éléments d'une étude chiffrée relative à d'autres sociétés du même gérant dont il résulte que la quasi-totalité des menus " wrap " vendus sont des menus à 5 euros comportant un sandwich, des frites et une boisson. S'il est vrai que de tels éléments ne reposent que sur les données des autres sociétés du gérant et ne sont par conséquent pas totalement transposables, il demeure que les éléments du dossier permettent de considérer qu'en toute logique commerciale, la plupart des menus " wrap " à 5 euros sont vendus avec boisson. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en fixant le pourcentage de répartition des ventes de menus avec boisson à 85% et des menus sans boisson à 15%. Par suite, les requérants sont fondés, dans cette limite, à demander la réduction en base des impositions en litige et à demander la réformation du jugement en tant qu'il retient un ratio différent.

19. Pour justifier la prise en compte des bouteilles d'une contenance de deux litres dans la reconstitution des recettes de la société, l'administration fait valoir sans être contredite que si ces bouteilles n'apparaissent plus sur la carte des produits vendus par la société requérante, elles sont toutefois proposées à la vente et qu'elle a en outre pris en compte la consommation par le personnel de ces bouteilles dans la somme déduite correspondant aux pertes et offerts estimés par la société à 15%. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a pris en compte les bouteilles d'une contenance de deux litres pour reconstituer les recettes de la société.

Quant aux revenus distribués :

20. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices. (...) ".

21. Il résulte de l'instruction que la reconstitution du chiffre d'affaires des sociétés Haadurh Fried Chicken et Pithy Fried Chicken dont M. A... est le gérant a conduit à une rectification de recettes déclarées, au titre de chacune des années vérifiées. En sa qualité de gérant-associé unique, il a été considéré comme le bénéficiaire de ces sommes en application de l'article 109 1- 2° du code général des impôts. Il résulte de l'instruction que les sociétés Haadurh Fried Chicken et Prithy Fried Chicken avaient déclaré, au titre de l'exercice 2015, un déficit de respectivement 11 072 euros et 4 930 euros.

22. L'administration demande que sa décision soit fondée sur les dispositions de l'article 109 1-1° uniquement en ce qui concerne la fraction des rehaussements au titre des années 2015 et 2016 taxable à l'impôt sur les sociétés tandis que l'article 109 1-2° du même code demeure appliqué à la fraction des rehaussements qui a conduit à l'annulation des déficits déclarés par les sociétés Haadurh Fried Chicken et Prithy Fried Chicken en 2015 à savoir, pour la première de ces sociétés, un déficit déclaré en 2015 pour 11 072 euros et, pour la seconde, un déficit déclaré en 2015 pour 4 930 euros.

23. Si l'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, une telle substitution de base légale ne saurait avoir pour effet de priver le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi compte tenu de la base légale substituée. Au cas d'espèce, comme le relève l'administration, M. A... détient la totalité des parts de deux sociétés et l'unique signature sur les comptes bancaires ouverts au nom de ces sociétés. L'administration apporte la preuve que l'intéressé est le maître de l'affaire et que, par conséquent, il est présumé être le bénéficiaire des revenus distribués par les sociétés Haadurh Fried Chicken et Prithy Fried Chicken en application du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts. Par suite, la demande de substitution de base légale présentée par le ministre, qui ne fait l'objet d'aucune contestation sur le fond, peut être accueillie dès lors qu'elle ne prive le contribuable d'aucune garantie procédurale.

En ce qui concerne les pénalités pour manquement délibéré :

24. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de (...) / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ". Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable à la procédure de sanction en litige : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. / (...)".

25. D'une part, il résulte de l'instruction que, dans les deux propositions de rectification notifiées à M. et Mme A... qui comportent la base légale de l'article 1729 du code général des impôts et le montant détaillé des pénalités infligées, l'application des majorations pour manquement délibéré a été motivée par l'importance des sommes distribuées et leur caractère répété tout au long de la période vérifiée. Le service, qui a ainsi notamment indiqué la nature précise des faits constatés, a par conséquent suffisamment motivé l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts.

26. D'autre p art, en se fondant sur l'importance des sommes distribuées et leur caractère répété tout au long de la période vérifiée, traduisant une intention délibérée de la part de M. A... d'éluder l'impôt, l'administration apporte la preuve du bien-fondé des majorations pour manquement délibéré.

27. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à demander la réduction des cotisations à l'impôt sur le revenu, en droits et pénalités, auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2014 à 2016 résultant de l'application d'un pourcentage de 85% de ventes de menus avec boissons et de 15% de ventes de menus sans boisson pour la reconstitution du chiffre d'affaires de la société Haadurh Fried Chicken. Le montant des distributions mises à la charge des requérants sera réduit à due concurrence.

Sur les frais liés au litige :

28. Il y a lieu, en l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. et Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : M. et Mme A... sont déchargés, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux mises à leur charge pour les années 2014 à 2016 correspondant à la réduction des bases d'imposition mentionnée à l'article 27 du présent arrêt.

Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme A... une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles les époux A... ont été assujettis au titre de l'année 2014 sont remis, en droits et majorations, à leur charge dans la limite fixée à l'article 1er du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... A... et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Stéphane Guéguein, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 décembre 2024.

La rapporteure,

Caroline Gaillard

La présidente,

Karine Butéri

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX02288, 22BX02588


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02288
Date de la décision : 11/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : LABATTUT & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-11;22bx02288 ?
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